Chapitre 37 - Zek
☼ Chapitre 37 - Zek ☼
Je t’aime.
Ces trois mots résonnent au fond de ma tête jusqu’à notre arrivée en Italie. C’était une évidence, dès le départ, de l’emmener dans ce pays qui nous lie tous les deux. Heureusement, ni mes parents, ni les quelques moments de mon enfance que j’y ai passés n’ont entaché l’amour que je porte à cet endroit et à sa langue, que je ne cesserai jamais de parler.
Tout au long du trajet, Pia a tenté de deviner notre destination. J’ai tenu bon, malgré ses supplications et ses moues boudeuses pour me faire craquer. Il fallait que ce soit une surprise, une vraie. Alors que nous passions la frontière, quelques heures plus tôt, j’observais avec émotion la joie se peindre sur son visage, et j’ai passé les heures qui ont suivi à l’écouter parler des vacances de son enfance dans les Abruzzes, le récit de ses sorties familiales entre mer et montagne. Je n’ai pas osé lui raconter mes souvenirs, mais je sais qu’elle comprend, et je suis persuadé que je trouverai un jour le bon moment pour lui confier ces quelques passages de ma vie. Si je veux qu’elle en fasse partie, alors je dois pouvoir lui partager le pire, si elle est prête à l’entendre.
— Allora, dove andiamo ?
* Alors, on va où ?
Je tourne la tête lentement vers elle, et le sourire que je lui adresse reflète la joie démesurée qui m’habite à cet instant-là. Son italien est parfait, je m’en doutais déjà, mais l’entendre parler, c’est autre chose. C’est comme si ces sons que j’aime tant passent enfin des lèvres qui me veulent du bien, et ça m’émeut plus que je ne l’aurais cru.
— Nella città dell’amore, mia cara.
* Dans la ville de l’amour, ma chérie.
Après un trajet interminable, je cède et laisse Pia prendre le volant, épuisé par la dizaine d’heures de conduite que je viens d’effectuer. À peine installé sur le siège passager, je m’endors profondément, complètement exténué par l'enchaînement d'événements de ces vingt-quatre dernières heures. À mon réveil, je me rends compte que nous sommes garés, et que le moteur est arrêté.
— Je crois qu’on y est, chuchote Pia en pivotant vers moi.
J’ai rentré l’adresse de l’hôtel dans mon téléphone au moment du départ, et Pia l’a suivie, me laissant dormir pendant deux bonnes heures.
— Merci d’avoir pris le relais, dis-je en étouffant un bâillement. Et… oui. C’est là.
Pourtant, je comprends son hésitation. Nous nous trouvons aux abords de Venise, dans un parking que j’ai pris le soin de réserver avant notre départ. Je ne voulais oublier aucun détail, ne rien laisser au hasard, pour que cette semaine soit la plus agréable possible. Tant pis pour mon porte-monnaie.
Je récupère nos bagages dans le coffre, et il nous faut marcher une vingtaine de minutes pour arriver jusqu’à notre hôtel. Sur le chemin, Pia s’extasie devant les célèbres canaux vénitiens, bordés de jolies façades colorées. De mon côté, j’y fais à peine attention, trop concentré sur son regard émerveillé et son sourire, malgré la fatigue qui commence à se faire sentir pour nous deux.
Nous arrivons alors au pied d’un magnifique bâtiment aux allures luxueuses. Rien de ce à quoi nous sommes habitués, et bien au-delà de mes moyens. Mais, il y a quelques avantages à vivre seul, dans un petit appartement à la campagne : les économies se font plutôt rapidement, surtout lorsque l’on est aussi peu dépensier que moi.
Pia m’interroge du regard, un peu perplexe en observant cette façade si joliment ornée, et surtout, devant les quatre étoiles qui trônent fièrement à côté de la porte d’entrée.
— Tu… tu as réservé la semaine ici ? me demande-t-elle, un peu inquiète.
— Non, trois jours. Je t’emmène à Florence en fin de semaine.
J’ai à peine le temps d’apercevoir un nouveau sourire, que Pia se jette dans mes bras, se blottissant aussitôt contre mon torse. L’odeur de son shampoing parvient à mes narines, et j’aimerais que l’on reste là, figés dans cette position pour toujours. Son corps pressé contre le mien, le tumulte aux consonances italiennes des locaux qui se mêle à celui des touristes, la chaleur de la fin de journée qui réchauffe mon dos.
— J’ai hâte de découvrir la ville, tu sais, mais je crois que je vais avoir besoin d’une petite sieste, avant ça, m’explique Pia d’un air fatigué.
J’acquiesce, et après avoir récupéré notre badge, nous déposons rapidement nos bagages dans une chambre somptueuse, dont les fenêtres encadrées de fer forgé donnent sur le grand canal, juste en dessous de l’hôtel.
Pia s’allonge sur le lit et ferme les yeux, et je me rends soudain compte de la chance que j’ai. Elle est là, avec moi. Elle ne m’a pas laissé tomber, malgré les erreurs, malgré tout ce que j’ai pu faire, tout ce que j’ai craint, tout ce que j’ai cru pouvoir mettre de côté. Peut-être qu’il m’a fallu traverser tout ça, pour arriver là où nous sommes maintenant. En moi, flotte cette drôle de certitude. Cette petite voix qui m’intime que, ça y est, nous nous sommes trouvés. Pour de vrai, pour de bon.
— Pourquoi est-ce qu’on est là, Zek ? chuchote Pia.
Sa voix est douce, sa question est uniquement guidée par une curiosité bienveillante.
— Heu, et bien, c’est un peu notre pays à tous les deux, je me suis dit que… commencé-je.
— Non, je veux dire… Pourquoi est-ce que tu as voulu partir ? Je sais qu’en dehors de nos vacances avec Arlo et Zoé, tu ne voyages que très peu.
Je la regarde un instant, puis inspire profondément. Je veux qu’elle sache, lui laisser cet accès vers mes pensées dès qu’elle ressent le besoin de me sonder. Je lui dois la vérité, chaque jour qui viendra pour nous.
— Je voulais que tu voies cette partie de moi. Que tu saches qu’il y a d’autres facettes que celle que tu as toujours connue. Je sais qu’à tes yeux, je suis le Zek du lycée, du village drômois, du verger. Mais, je suis tous les autres aussi, celui qui te suivra dans tes aventures, qui te soutiendra quand tu seras à Paris et partout ailleurs…
Je m’interromps, me rappelant alors que la fin de l’été sonnera aussi le départ de Pia pour la capitale, pour l’Europe, et pour toutes ces autres destinations qui nous éloigneront inévitablement.
Pia hoche la tête, émue. Elle aussi, je le sais, pense à la fin de l’été et à son départ déjà programmé. Ce sont ces quelques mots, qui, la semaine dernière, m’ont fait lui avouer mes sentiments pour elle. Cet instant de réalisation. Oui, je l’aimais depuis dix ans, et non, elle n’allait pas m’attendre pour toujours, surtout sans avoir jamais su ce que je ressentais pour elle.
À peine trois semaines depuis son arrivée. Et pourtant, je n’ai jamais été aussi sûr de moi. Je la suivrai jusqu’au bout du monde si c’est ce qu’elle souhaite. Je la laisserai partir, seule, si c’est ce qu’elle désire.
— Je comprends, souffle Pia. Je suis très heureuse à l’idée de rencontrer Zek l’aventurier, sourit-elle.
Je me jette sur le lit, m’allongeant à côté d’elle. Nous nous regardons un instant, peut-être encore un peu intimidés d’être si proches, après avoir passé tant d’années à nous connaître sans jamais l’être.
— Il nous reste encore un mois et demi dans la Drôme. Et une semaine en Italie. Je veux me concentrer là-dessus, affirme Pia. Pour la suite… J’ai encore le temps d’y réfléchir.
Je hoche la tête, m’imprégnant de ses mots, de la douceur de ses yeux verts, de son odeur de pêche et de camomille. Cet instant a un goût d’éternité, et lorsque je pose mes lèvres sur les siennes, plus rien d’autre ne compte… Car nous nous sommes enfin trouvés.
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