Chapitre XXIII : La première fois

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Où l’on ne peut pas compter sur l’amour pour se protéger de la barbarie

Dès l’instant où la boiteuse était entrée dans son enclos, Radigan l’avait trouvée franchement laide. Bien qu’elle lui sembla assez jeune, son visage accusait plusieurs vies. Et elle boitait !

Il n’en revenait pas. Comment pouvait-on encore souffrir de telles difformités ! La culture des cellules souches n’était pas réservée aux hommes. Il revenait à tous de s’approprier les progrès de la civilisation autant que de les partager. Manquer à ce devoir relevait de la barbarie. Ce n’était pas seulement incompréhensible, c’était inacceptable.

Elle s’approcha pour mieux le voir. Attaché à un pieu par une corde l’étranger ressemblait plus à un dromadane privé de bosse et de fourrure qu’à un homme véritable. Providence l’imaginait vulnérable. Il lui rappelait les lièvres des sables rapportés de la chasse. D’un geste vif, elle fendait puis retournait leur peau soyeuse révélant l’agencement subtil de la chair et des muscles. Aucun voile d’honneur, aucune arme n’indiquait sa condition. Il était nu et il la fixait de ses yeux écarquillés comme si c’était elle la bête curieuse. Il lui sembla même y déceler un éclair d’indignation. N’était-ce pas plutôt à elle d’être choquée ?

Certes, elle portait le voile gris, mais être en présence d’une femme, même la plus humble de toute, impliquait certaines obligations. L’étranger n’était en mesure d’en respecter aucune. Aussi misérable soit-elle, cette première rencontre indiquait clairement à Providence qu’elle avait l’ascendant. Elle se redressa légèrement en reniflant bruyamment comme le faisait Burla en sa présence.

Son regard glissa ensuite sur Nicophène. La créature somnolait à l’ombre du Rocher Bleu. Mélange informe de plumes et de poils, on devinait en fonction de l’endroit où l’on posait les yeux une tête d’oiseau, un museau, une carapace…Un monstre. Providence frissonna. La bête ne ressemblait à rien de connu. Elle aurait pu en avoir peur. Mais c’est un dégout profond qui lui soulevait le cœur. Aussi fantastique qu’il soit, l’animal n’était qu’un serviteur. La révolte tapie derrière le rideau de ses soumissions enrageait. L’animal possédait tous les attributs de la puissance et de la liberté, la sauvagerie en moins. Elle, elle mesurait chaque jour le poids de son handicap. Chaque ordre, chaque humiliation, venait peser sur sa cheville fragile, accentuant la courbure incertaine de son pied difforme, la maigreur anormale de son tibia trop court. Sans cette jambe malade… elle aurait pu courir, et courir c’est déjà presque comme avoir des ailes.

Providence cracha par terre. Avec deux belles jambes, elle aurait pu accéder au statut d’épouse. Elle aurait eu plusieurs enfants. Elle veillerait sur les garçons, elle apprendrait les couleurs à ses filles. Elle ne sortirait du kuva familial qu’en de très rares occasions. Il serait indécent qu’elle adresse la parole à un homme. Son mari lui parlerait seulement s’il le souhaitait, elle ne pourrait que répondre et jamais ne devrait le questionner. Quant à avoir un avis c’était malséant. Beaucoup de choses étaient malséantes quand on était une femme, encore plus quand on était une épouse. A tout bien considérer, le voile gris qui la désignait comme servante indigne de porter les couleurs lui octroyait, en contrepartie des tâches les plus ingrates, une liberté étrangère à son sexe. Aux ordres de tout le monde et en particulier des hommes, elle pouvait circuler quasi librement dans le campement. Chargée des initiations, elle connaissait parfois mieux que leurs épouses ceux de l’autre sexe dont elle avait habilement su gagner l’estime en leur transmettant un savoir qu’elle n’avait pourtant acquis qu’à force d’humiliations et d’abnégation. En fait, elle courait plus vite sur un seul pied qu’elle ne l’aurait fait sur deux jambes.

Elle abandonna son air arrogant et reconsidéra la créature qui gisait au pied du rocher bleu. Etait-elle enchaînée plus sûrement par ses qualités que par les liens qui la maintenaient solidement attachée au sol ? Le vers nu était-il un maître attentif ? Dépendait-il d’elle plus qu’elle ne dépendait de lui ?

— Tu bayes aux corneilles ! la railla soudain un jeune homme brun à la silhouette râblée, nonchalamment accoudé à la barrière de l’enclos.

Providence reconnut Youpur. Elle ne l’appréciait pas. Il se démarquait par ses qualités militaires et était presque unanimement vanté pour celles-ci. Mais elle décelait en lui une volonté de puissance propre à ceux dont le cœur est poli par la frustration jusqu’à devenir impénétrable. Elle appréhendait le moment où elle devrait l’initier. Plus âgée que lui de quelques lunes, elle l’avait vu grandir car elle servait dans la maison de sa mère Burla, la première épouse de Craon. Son ton autoritaire, son air méprisant, cela ne faisait pas de doute, il les tenait d’elle. S’il n’avait pas vraiment l’étoffe d’un chef, il en avait l’ambition et il avait l’habitude de donner des ordres.

— Maître, vous désirez ? s’empressa-t-elle de dire en courbant l’échine.

— Rien, lui répondit dédaigneusement Youpur. Juste une idée, une expérience qui pourrait être intéressante.

Elle se garda de répondre. C’était rarement à elle de prendre l’initiative. Elle parcourut encore une fois des yeux l’enclos, jaugeant le ver nu puis la créature étrange. Enfin, elle se retira en claudiquant piteusement. Youpur la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse derrière les toiles du kuva réservé aux membres du conseil.

Providence débarrassait les gobelets de kwa sous les rires gras des hommes. Ils venaient de décider qu’elle participerait à l’initiation des membres de la formation dirigée par Youpur. Le moment où il le lui avait annoncé repassait dans sa tête. Il n’y avait pourtant rien d’inhabituel. C’était là son office, et cela contentait sa maîtresse qui y trouvait une rémunération substantielle. Quant aux membres du conseil, ils se montraient particulièrement enjoués. Ils se remémoraient leur jeune temps, les émois de leur initiation. Ils étaient tous comblés d’honneurs et le nombre de couleurs de leur voile bariolé indiquait qu’ils avaient suffisamment d’épouses pour jouir d’un simple moment de camaraderie virile autour d’une tasse de kwa. Providence en fut soulagée.

Elle se remémorait les étapes de l’initiation cherchant d’où lui venait l’angoisse qui grandissait au creux de son ventre. Elle devrait se dévêtir devant chacun des jeunes hommes. Leur expliquer comment était fait le corps d’une femme puis comment l’un et l’autre s’emboîtaient pour accéder au plaisir. Elle aurait tout le temps nécessaire pour se consacrer à chacun d’entre eux et les poudres et potions préparée par le vieil Andelka pour éviter de passer les portes qui mènent à l’enfantement. Il était le seul dans la tribu du Coq à maîtriser parfaitement l’art des breuvages et des poisons.

Le temps de l’initiation était l’un des rares moments où elle n’avait d’ordre à recevoir de personne. Elle connaissait sa tâche et l’accomplissait avec application, voire avec ferveur. Elle avait l’impression que, dans l’oubli extrême de soi que ce service exigeait, elle avait su inverser l’ordre des choses. En général, le premier regard que les futurs initiés posaient sur elle était très différent de ceux, goguenards, qu’ils jetaient habituellement sur la servante au voile gris. Ils étaient intimidés, respectueux même, en amour, ils étaient aussi novices que des nouveau-nés. Qu’ils fussent orgueilleux ou fiers, c’était elle qui guidait leurs gestes car elle était l’initiatrice.

A l’issue de la période, elle leur remettrait leur foulard d’honneur bardé d’orange, la couleur des premières passions. Sans ces oripeaux, ils ne seraient pas autorisés à prendre femme.

L’anxiété éprouvée par Providence se révéla prémonitoire. Les jeunes hommes qui composaient la formation n’étaient pourtant pas si différents des autres. Le premier qu’elle reçut sous le kuva sacré était surnommé Petite Plume. Il était agile, bien fait de sa personne, tout en finesse. Il aimait plaisanter. D’une parfaite ignorance vis-à-vis des femmes, il l’avait écouté avec attention. Lorsqu’elle s’était dévêtue, il l’avait contemplée avec gourmandise. Confronté au choix, il avait préféré réserver sa « naïveté » à sa première épouse. Touchée par le respect qu’il lui témoignait malgré sa condition et sa difformité, elle lui avait prodigué moult conseils à l’oreille dont certain l’avait délicieusement fait rougir. Ensuite, toujours avec la plus grande délicatesse, elle lui avait posé maintes questions, parfois d’une extrême indécence. Il lui avait répondu avec une grande honnêteté même si parfois, il lui semblait bien que les réponses qu’il donnait un peu honteux n’étaient pas à son avantage. Ce n’était pas un simple bavardage.

Providence retenait chaque parole et transmettrait ses conclusions au conseil des anciens. Fort de ses confidences, les patriarches réfléchiraient aux alliances et aux appariements les plus profitables à la tribu. Si beaucoup d’éléments de natures différentes intervenaient dans leur décision, la voix de Providence était déterminante car de la réussite d’un premier mariage dépend généralement la paix des suivants.

Ainsi, la plus humble des servantes jouait un rôle décisif au sein du groupe et tous dépendaient d’elle au moment le plus crucial de leur vie. Son voile gris la vouait au sacrifice mais il la protégeait tout autant. Lors des guerres ou des batailles entre les hordes, les voiles gris ne pouvaient subir aucun mauvais traitement. Les tuer était tabou. On disait même que toute engeance qui procéderait d’une manière ou d’une autre à un crime aussi odieux dépérirait sur deux générations avant peut-être de disparaître. Nul châtiment divin dans cette malédiction car les tribus n’entretenaient aucun sentiment religieux, mais une logique implacable. Dans la chaîne du vivant, chaque animal dépend d’un plus petit et d’un plus faible que soi. S’attaquer à une servante en gris, c’était s’en prendre au plus fragile d’entre tous. C’était mettre en péril l’ensemble de l’édifice social que le peuple des plaines ourlées avait construit sur une terre aride et inhospitalière.

Karlan était un homme comme elle en avait rarement vu. D’une force extraordinaire, il paraissait maîtriser tous les aspects de la question avant même qu’on les lui révèle. Il offrit à Providence une démonstration de ses talents qui la laissa exsangue. Loin d’être une brute épaisse, il avait un humour un peu rude qui habillait en fait une grande simplicité. Guerrier au cœur droit, il pourrait satisfaire de nombreuses femmes. Etant donné sa musculature et sa constitution, il aurait sûrement par ses faits d’armes l’occasion d’ajouter une myriade de couleurs à son foulard, et d’agrandir son foyer à sa guise. Providence recommanderait des épouses robustes et point calculatrices, ainsi la paix règnerait dans un foyer où pour maintenir l’ordre, il suffirait à Karlan de les contenter toutes.

Elle fut émue par Bacurian dont les préférences de toute évidence le conduisaient vers le genre masculin. Quoiqu’elle ne soit pas certaine qu’il ne fût déjà épris d’un seul être. Elle ne parvint pas à découvrir de qui mais, prenant conscience des regards affolés qu’il lançait en direction de la tente des autres recrues, elle comprit qu’il s’agissait d’un de ses compagnons. L’ignorance de Bacurian et l’état d’égarement dans lequel elle trouva ses sentiments lui apprirent que son amour n’était pas payé de retour. Elle le réconforta autant qu’elle le put et se montra d’une gentillesse extrême. Il en fut touché et l’assura de sa reconnaissance. Elle hocha la tête, il ne le savait pas encore, mais à l’avenir c’est elle qui pourrait l’aider. De par son rôle, elle connaissait les penchants les plus secrets des uns et des autres. Si, un jour, il souhaitait l’informer du nom de son aimé, elle pourrait intercéder en sa faveur. Sous son office, au prétexte d’un service rendu, elle pourrait même organiser la rencontre des amants. Elle conseillerait pour Bacurian une épouse trop jeune ou trop vieille pour rechercher les plaisirs de l’enfantement, mais elle lui enseigna néanmoins à contenter une femme de multiples manières.

Le temps passait et Youpur tournait dans sa tente comme un lion en cage. Ses camarades revenaient tous de leur entrevue avec Providence avec un drôle d’air. Certains semblaient transportés, d’autres, la figure grave, empoignaient les objets avec une force nouvelle et chacun de leur geste témoignait qu’ils avaient prise sur leur vie. Bacurian était revenu pensif. Il avait quitté cette attitude de repli, conséquence des moqueries cruelles dont il avait été la cible. Il avait gagné en assurance et tentait d’échanger quelques mots aimables. Youpur, se sentit incommodé par sa présence. Son air serein l’exaspérait, lui qui bouillait de comprendre ce qu’avait bien pu faire cette souillon à ses hommes.

Depuis des années, il l’avait vue se plier sans rechigner aux ordres de sa mère Burla. La matrone se plaignait en permanence de la boiteuse et naturellement Youpur en avait déduit qu’elle était une bonne à rien. Elle ne savait pas s’y prendre pour préparer le Kwa, ni pour racler une peau de gnouzk sans l’écorcher. A peine savait-elle faire cuire correctement un lapin des sables.

Tous les matins, lorsqu’il s’éveillait sa mère houspillait la jeune fille pour qu’elle vienne s’agenouiller à son chevet. « Touche lui l’épaule avant de poser le pied par terre, ça porte bonheur ». De plus ou moins mauvaise grâce, il accomplissait ce rituel sans y croire. Presque du même âge que lui, Providence s’accroupissait au pied du lit, pareille à un tas de vieilles hardes abandonnées dont on se saisit avec dédain au matin, elle s’abandonnait au rituel instauré par l’autoritaire Burla, devenant le témoin muet et transparent de tous les réveils de l’enfant, de l’adolescent puis du jeune homme qu’il était devenu. Cette proximité qu’il jugeait ridicule l’irritait et il ne s’y soumettait que pour complaire à sa mère. Aussi ne comprenait-il pas comment et pourquoi cette jeune femme avait soudain le pouvoir de lui apporter, à lui et à ses hommes, quelque chose qui puisse, en quelques jours à peine, les révéler à eux-mêmes. Il ne pouvait même s’y résoudre.

Il échafaudait les projets les plus fous. Il voulait prouver à ses hommes que quoi qu’ait pu leur montrer Providence, cela n’était que leurres et mensonges. Lui, il la connaissait bien. En quelque sorte, elle lui appartenait. Elle avait été l’objet de ses caprices d’enfant. Il n’avait pas de penchant pour la mélancolie. Pas de temps à perdre avec la nostalgie. Plutôt que de voir son bien lui glisser entre les mains et revenir à d’autres, il préférait le briser. Quel besoin avait-il de cette femme ? Qu’avait-elle à lui apporter qu’il ne connaisse déjà ? Celle dont il contrôlait les moindres gestes, avait-elle pu penser ? Connaître des choses qu’il ignorait ? La perfide ! Découvrir tant de duplicité lui faisait l’effet d’une gifle. Quels gloussements railleurs avait-elle dû émettre à l’idée de son ignorance !

Elle était une menteuse, une infidèle qui s’était jouée de lui et qui trompait ses hommes par son impudence. Il devait la démasquer, leur ouvrir les yeux. Elle les détournait de lui de la manière la plus abjecte qui soit, celle du sexe faible. La douceur, que lui témoigna Bacurian, comparée à l’indifférence de ses hommes en cette semaine particulière lui parut le comble du mépris. Celui avec lequel il s’était montré injuste et méchant venait lui faire l’aumône de son nouvel état comme pour mieux le narguer.

Il n’en supporterait pas davantage. Il devait remettre les choses en ordre. Il allait leur en offrir une, d’initiation ! Une comme ils n’en avaient jamais vu, ni même imaginé. Chacun y retrouverait sa vraie place. Loin des sornettes qui brouillaient les esprits et menaçaient la juste répartition des rôles. Il n’avait que faire de l’amour ou des conseils d’une boiteuse.

La veille, Burla s’était longuement entretenue avec lui. Elle lui avait conseillé d’écouter attentivement Providence et de ne plus la considérer comme une domestique. Fadaise ! Mais pour qui le prenait-on ? Si sa mère voulait se plier à ces jeux stupides, grand bien lui fasse ! Lui n’avait pas ces faiblesses de femme. Il était un héros, il avait ramené le ver nu et le monstre à deux têtes ! Il avait fait valoir sa position. Pour amadouer son fils Burla lui avait assuré qu’elle était, en ce moment même, en train d’intriguer pour le marier avec la belle Luanda.

Elle allait recevoir la jeune fille, lui vanter les mérites de son fils. Il n’était pas d’usage que deux membres d’un même clan s’appareillent, mais cela s’était déjà vu dans des circonstances exceptionnelles. Elle était confiante sur ce point car elle pensait s’être trouvé un allié en la personne de Rabundar, le père de la jeune fille. Il était un piètre stratège, mais un habile radoteur. Pour ne plus l’entendre maugréer, le conseil serait bien obligé de céder.

Youpur fut agréablement surpris. La belle Luanda ne le laissait pas indifférent. Il savait par ailleurs que Rabundar ne l’appréciait pas, ce dont il ne se cachait pas surtout depuis que la caravane s’était immobilisée au pied du rocher bleu. Il en conclut que la belle Luanda avait tant et tant supplié son père qu’il s’était rangé à ses vues en envisageant une union entre elle et le fier combattant qu’elle convoitait... Il ne soupçonna pas un instant que le vieil homme le méprisait toujours cordialement et que Burla pour le convaincre, lui avait fait miroiter tous les avantages qu’il aurait à voir sa fille rester dans la tribu du Coq. Elle s’était engagée à ce que sa bru puisse continuer à prendre soin de lui. Usant des bénéfices de sa position, c’est Craon lui-même qui exposa au vieil homme les avantages qu’il retirerait de cette union. Pouvait-on laisser un vieillard qui n’avait pas eu de garçon finir seul ses jours après avoir élevé ses filles avec autant d’attention ? Ne devrait-il pas intégrer au seuil de la vieillesse une famille aimante en logeant sous le kuva des Rince-Coq s’il en ressentait le besoin ? Rabundar en avait eu le sifflet coupé. Il n’avait rien trouvé à dire, et depuis quelques jours on ne l’entendait plus critiquer le choix d’organiser le grand rassemblement au pied du rocher bleu. A peine bougonnait-il un peu car il faisait bien trop chaud, et que cela n’augurait rien de bon.

Fort de ses certitudes, se sentant désiré avant même d’aimer, Youpur se fichait de son initiation. Il convint plutôt d'utiliser ce moment particulier pour dessiller les yeux de ses hommes et raviver la camaraderie qui les liait à lui. Il lui sembla judicieux d’affirmer sa place de chef en humiliant le ver nu et, du même coup, en matant Providence .

Sous le kuva sacré, il reçut Providence seul. Mais, après qu’elle se fut dévêtue, il la saisit de ses bras noueux et la déposa dans l’enclos du vers nu, devant ses hommes abasourdis. Il la laissa choir aux pieds de l’étranger. Puis, se tournant vers ses hommes, il annonça :

— Il ne sera pas dit qu’une servante puisse m’apprendre quelque chose. Si cette femelle peut appartenir à tous, c’est qu’elle n’a pas de vertu. Et moi, Youpur, je n’ai que faire d’une femme sans vertu ! Qu’elle nous amuse donc, puisqu’elle ne peut m’être d’aucun usage et qu’elle nous instruise des mœurs étrangères. Nous avons vu ce que valait le ver nu sur un champ de bataille, voyons aujourd’hui comment il se débrouille aux jeux de l’amour. »

Les soldats restèrent interdits. Leurs yeux allaient de la femme nue, boiteuse accroupie dans la poussière, dont le visage crispé était devenu aussi gris que le voile qui la couvrait tantôt, au corps fier de Youpur qui, dressé face à l’enclos, retrouvait sa stature. Bacurian n’en pouvait supporter autant, il détourna la tête.

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