Naissance de Fée
Je suis née de la première goutte de pluie tombée sur la baronnie de Dabah, lors de la Mémorable Crue. Celle-ci dura neuf semaines et demie, au terme desquelles elle remplit une douce déclivité. Sur une rive, le baron, mon père, avait planté un saule pleureur.
Je passais mes premières années à nager gaiement dans la mare, la quittant peu souvent : j'aimais tant folâtrer avec les grenouilles bavardes. Parfois, d'autres enfants me rejoignaient et se baignaient dans mes eaux. Je les observais avec curiosité, sans prendre part à leurs jeux, sinon pour égarer leurs vêtements et épuisettes.
Mes moments préférés étaient ceux où le baron me rejoignait. Les beaux matins d'hiver, alors que le soleil me caressait, la brume se condensait près de moi sous l'effet de sa magie. Il prenait alors corps et tenait ma petite main de fée. Il m'effleurait tendrement la joue et m'offrait des perles de rosée, m'expliquant l'herbe et le vol des oiseaux, le firmament et l'ondée.
De plus en plus souvent, je sortais de la mare pour dormir dans la cabane abandonnée. Elle offrait une jolie vue sur la mare, qui, lentement, se parait de la plus colorée et musicale des végétations. Mais surtout, j'y retrouvais Mimie, mon unique compagne. Mais elle aurait trouvé cette présentation par trop féminine, elle qui me rappelait toujours à l'ordre d'un : "Je m'appelle Jean-Roger, bordel !" Mimie avait une bien grosse voix pour une si petite araignée...
Ah ! Douce et lunatique Mimie. Elle qui était si proprette que cela lui était un véritable calvaire que de vivre dans la poussière d'une ruine. Elle ne ménageait pourtant pas ses efforts pour nettoyer notre cabane et traquait la saleté sans relâche. Déprimée par un travail qui lui semblait sans fin, elle buvait pour soutenir son courage. À la fin de la journée, elle était si soule qu'elle tissait des toiles dans les moindres recoins. Et au matin tout était à recommencer.
Et les enfants continuaient à jouer et grandir. Le premier baiser donné à l'ombre du saule pleureur provoqua des remous jusque dans mes profondeurs. La surface frémissante, je m'approchai d'eux, attentive à leurs soupirs, leurs promesses d'amour et leur peau chaude. J'aimais alors m'allonger de longues heures sous le soleil d'été, perdue dans les herbes hautes et dansantes dans la brise. La nuit venue, les amants se donnaient rendez-vous sur ma rive. Charmée par leur respiration mêlée aux stridulations des insectes, qui parvenaient jusque dans les secrets de la mare, j'ondoyais et bondissais. Me voyant de plus en plus souvent voleter sur les eaux, Mimie me demandant ce qui pouvait me donner des ailes :
- "L'amour ! lui répondis-je.
- Mais de qui donc ? Nous sommes seules ici ! ... Si tu veux me faire une déclaration, oublie tout de suite fillette : tu n'es pas mon genre !
- Je crois que je suis amoureuse de l'amour Mimie...
- Jean-Roger, bordel ! Faudra que je te le dise combien de fois ! Ce n'est pas parce qu'on dit "une" araignée que tu peux m'affubler de ce ridicule sobriquet !"
La mare devint soudain trop petite et j’eus envie de déposer mon regard sur d’autres horizons. Je partis donc, Mimie sur mon épaule et une ancolie entre les lèvres. Je pensais aussi que cela serait plus agréable pour Mimie de vivre dans un château, loin des courants d’air de notre cabane, avec des serviteurs. Mais je n’avais pas pensé qu’un château hanté se compose d’une multitude de pièces, chambres obscures et immenses couloirs, entretenus par un Igor ayant suivi des cours d’arts ménagers chez un scientifique à l’équilibre mental plus que précaire. Lors de notre arrivée, lorsque la lourde porte ouvragée s'ouvrit sur Igor, c’est avec une joie bien inconsciente que je pénétrai dans la demeure, Mimie toujours juchée sur mon épaule. À la seule vue de l’entrée, elle s’évanouit en poussant un petit cri.
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