Ploumanach. 25 février 2001.
Je me rappelle très bien avoir serré le nœud de ma queue de cheval, et avoir dévalé les escaliers en attrapant mon cartable au vol.
_ A tout à l'heure Man' !
Elle me répond qu'elle m'aime, comme tous les matins quand je quitte la maison. Une sorte de rituel instauré depuis que je suis en CE1, et que j'ai l'autorisation de parcourir seule les quelques 600 mètres qui me séparent de l’école.
Ma mère, Laurence De valentin, c'est la gentillesse incarnée. D'un naturel rieur et chaleureux, elle est douce et attentive aux autres. Elle exerce depuis 14 ans en tant qu’infirmière libérale dans notre beau village de Ploumanach.
Tout le monde connaît "Lolo"et la plupart des gens, l'aime vraiment.
L'air est frais quand je sors sous le porche de l'entrée. Je remonte mon cache cou, dernier cadeau de Nana ma grand mère adorée, et ferme correctement mon blouson. Je remarque que le 4x4 de papa n'est plus dans l'allée en gravier. Il a dû partir tôt ce matin, pour marquer les arbres qui doivent être abattus. Je l'entends encore dire à ma mère, qu'il est débordé , que les journées ne sont pas assez longues. Son travail de garde forestier, c'est sa passion , même s'il ne compte pas ses heures. Il a dernièrement été chargé par Monsieur le Maire de faire une étude sur les végétaux et conifères du coin, afin d'obtenir des certifications qui placeront nos bois en zone protégée. Une aubaine pour mon père qui met tout son cœur et toute son énergie à préserver l'environnement .
La matinée à l’école passe à toute allure. Mon institutrice, Mme Le Goff, ne sait plus ou donner de la tête tant il y a d'élèves dans sa classe de CM2. Elle a dû faire face à l'absence de son collègue Mr Robertini, instituteur en classe de CP, et accessoirement directeur de l’école « Des Lys » de Ploumanach, qui n'est pas venu travailler ce matin, et qui n'a pas jugé utile de prévenir qu'il ne serait pas présent .« Ce n'est pourtant pas dans ses habitudes ! » s'affole t-elle en levant les bras au ciel, et en tourbillonnant dans la classe au milieu de nous, comme une feuille s'envolant dans les airs en plein automne.
Lorsque l'heure afficha 11h30, elle nous libéra pour rentrer déjeuner. En partant je fais signe à Jenny, ma meilleur copine, et traverse la cour pour rejoindre le portail. Je ne mange jamais à la cantine avec elle, j'ai pour habitude de retrouver Nana et de dévorer les délicieux plats qu'elle me prépare.
Mais aujourd’hui, c'est un peu particulier, je mange à la maison. Maman a préparé des spaghettis à la bolognaise, pour fêter le retour de mon frère Théo. Lui et moi avons un faible pour ses délicieuses spaghettis , dont la recette lui a été transmise par sa grand mère italienne, et qui la tenait elle même de son aïeul.
C'est assez rare d'avoir Théo parmi nous durant la semaine, puisqu'il est interne dans un lycée professionnel à une centaine de kilomètres de là. Le voir peu souvent, c'est moins de chamailleries, comme dirait papa, mais son absence nous pèse à tous.
Je décide d’accélérer le pas, quand, en passant la grille, je remarque que deux fourgons de gendarmerie se garent de part et d'autre. Une équipe de 4 gendarmes, descend du premier véhicule et trois policiers en uniforme sortent du deuxième. Tous se dirigent hâtivement vers l'entrée de l'école. Puis dans un crissement de pneus, une berline noire se gare en travers du trottoir. C'est Mr Blein, le maire, je le reconnais. Son air est grave, ses yeux embués, je jurerai qu'il est prêt à vomir ses tripes . Il s'arrête net quand il m'aperçois.
_ Elisa, ma pauvre petite.. rentre vite à la maison auprès de ta mère.
Mon sang se glace. Son regard est empli de tristesse, et je sais que quelque chose est arrivé..
Le silence sent la mort et la désolation. Je reste immobile, recroquevillée sur le rocking-chair du salon. Tremblante de tristesse et dévastée.
Maman à éteint la télévision, dont toutes les chaînes sont focalisées sur les horribles assassinats de Ploumanach.
Trois corps, retrouvés pendus, dans la nef de l’église du village.
L'instituteur Eric Robertini, la factrice Éliane Morvan, et le garde forestier Marc De Valentin...
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