Chapitre 14
Giselle comprit qu’elle ne vivait pas un rêve lorsqu’elle sentit la main de son père s’abattre sur son visage.
— Comment avez-vous pu ! hurla le Duc, le visage déformé par la rancoeur.
Jetée au sol, se tenant la joue, elle n’entendit pas les mots qui fusaient contre elle, tant la jeune femme était choquée de la situation.
Sans ménagement, son père l’enferma dans sa chambre.
— Tout ceci est absurde et ridicule, je suis innocente, et je vous le prouverai. Faites-moi passer à nouveau les examens médicaux, avait-elle réclamé en essayant de conserver son calme.
Sa porte demeura close. Coupée de tout dans sa propre maison, elle contempla les suites de son affaire dans les journaux. La jeune femme fut horrifiée de voir à quel point son nom était traîné dans la boue. Du jour au lendemain, il lui sembla que Dalstein avait oublié toutes ses dernières années studieuses. Impitoyablement, les gros titres n’avaient de cesse de parler d’elle. Ses photos, autrefois impirmées de manière avantageuse, étaient à présent terriblement vilaines. Son visage étroit et grêlé de cicatrices, ses cheveux gonflés de frisures… Giselle réalisa à quel point elle s’était éloignée des mesquineries du monde.
J’ai travaillé dur… j’ai tellement fait d’efforts… Pour finir ainsi !
À son grand soulagement, elle vit que les dalsteinis réclamaient également un examen médical, afin de lever tout soupçon. En voyant cette demande, elle retrouva la tête froide. Giselle passa des heures à réfléchir, cherchant qui pourrait lui nuire.
Cela ne peut pas être Dusan, cette histoire est trop humiliante pour lui… Ni Iphigénie, elle est bien trop stupide… Et Léonie, elle ne saurait même pas rédiger un courrier à un homme de loi.
Dusan lui avait envoyé un simple mot, accompagné d’un bouquet de gentianes et de pois de senteur : tu m’as brisé le cœur.
La rage l’avait envahi en lisant ces quelques lettres, lâchement écrites sur le papier blanc.
Mais ce qui peina profondément la jeune femme fut l’attitude glaciale de son père. Les jours suivants, la colère avait laissé sa place à un abandon total de soutien un et son regard, était aujourd'hui remplis de tristesse et d’une indifférence forcée.
Voyant à quel point le Duc était sourd à ses paroles, Giselle exigea de voir les preuves à son encontre. Un homme vint la voir, portant sur lui une partie des dossiers compromettants. Ce fut le seul moment où on accepta de la faire sortir de ses appartements.
En voyant les feuilles posées sur la table, Giselle fut pris d’un malaise. Dans d’autres circonstances, elle-même aurait pu jurer que les caractères couchés sur le papier étaient de sa main. La falsification était parfaite.
— Reconnaissez-vous là votre écriture ? Et votre signature, ici ?
— C’est bien mon écriture… Ou plutôt ma manière d’écrire, mais ce n’est pas moi qui aie rédigé ces lignes… Je le jure sur Ménée !
On lui décrivit en détail les témoignages, les preuves de pots-de-vin, les commandes passées… Elle n’avait de cesse de réfuter chaque détail, essayant tant bien que mal de se souvenir de quelque chose. Mais rien n’y fit. Le dossier était compromettant au possible.
La jeune femme demanda alors à planifier sa défense et réclama un avocat. Elle passa de longues minutes à lire et relire le dossier qu'on avait bien accepté de lui fournir, prit des notes dans un petit carnet, recopia la liste des noms des témoins.
Cependant, sa trahison était trop violente ; le soir de l’annonce du mariage, elle avait donné sa parole devant le rouleau écarlate et la famille Madalberth apprit qu'elle n'aurait pas droit à un procès. L’Empereur décida de la juger lui-même. Giselle demeura longtemps interdite à cette nouvelle, elle allait subir la procédure encourue pour les pires scélérats de l'Histoire de Dalstein.
Alors, c'est ce que mon pays va juste retenir de moi ? Personne n'est présent pour me croire ?
La nuit, l'émotion lui prenait la gorge et débordait de ses yeux. Elle adressait toutes ses pières aux Dieux et aux Saints Parents. Giselle avait comprit que la colère d'Auguste était impitoyable car Carolina lui avait fait une confiance aveugle. Ecrasée par la peine, elle perdit l'appétit.
Quand les bonnes alertèrent que son état de santé allait en se déteriorant, le Duc et Iphigénie entrèrent dans sa chambre :
— Il faut vous confesser, sinon, c’est l’exil. Prenez le voile, retrouvez votre mère à Sanvre et laissez-nous rétablir le nom de notre famille que vous avez souillé.
— Vos pêchés ne se laverons pas tout seul, c’est certain, la Mère vous regarde ! ajouta Iphigénie d’un ton acide.
— Refaites-moi donc passer un examen médical ! ordonna-t-elle en ravalant sa fierté, demandez à ma bonne, Constance, j’ai mes lunes une semaine par mois, je ne suis pas stérile ! Père, vous savez que tout ceci n'est pas possible, pas après la discussion que nous avons eu et ce que je vous ai demandé ! Je ne veux plus épouser Dusan !
Durant quelques instant, Giselle vit la volontée de son père vasciller. Il grimaca, se remémorant la fureur de sa fille lorsqu'elle avait découvert la tromperie du Troisième Prince.
— Sottises ! Mensonges ! s'écria Iphigénie d'une voix tremblotante, vous, ne plus vouloir l'épouser ?
Le regard de Giselle se remplit de fureur, elle se redressa, prête à répliquer.
Elle sait...Elle le sait depuis le début. Léonie a pu entrer dans le lit de Dusan avec son accord. Cette harpie au cou pelé !
Durant un instant, Giselle éprouva l'envie de se jeter sur Iphigénie pour lui faire avouer toute ses dissimulations mais son père éleva la voix :
— Très bien, les sujets de Dalstein ont également déposé une requête pour cela. Vous irez de nouveau vous faire examiner par des médecins. Nous verrons alors si ce qui sort de votre bouche est la vérité...
Giselle baissa la tête, soulagée. Elle regarda partir Iphigénie avec un regard aussi dur que possible et pleine de ressentiments, n'accorda aucune attention à son père.
Quelques jours plus tard, Giselle partit donc pour un hôpital choisi par le Ministre de la Justice lui-même. L’affaire faisant grand bruit, la localité de l’établissement fut tenue secrète de la population et ce fut encore toute une épopée dans les journaux. Peu désireuse de partager le même toit avec sa famille une fois son innocence démontrée, elle prit avec elle toutes ses économies personnelles. Elle se jura de partir séjourner dans une de leur résidence en bord de mer à son retour. Le trajet lui parut terriblement long.
Après plusieurs jours de voyage, Giselle, sûre d’elle, s’appliqua à répondre à toutes les questions des médecins, et se plia à tous les examens possibles pour prouver sa fertilité. Impassibles, les médecins indiquèrent aux personnes qui l’escortaient que leur réponse serait rapide et officiellement annoncée dans les jours à venir. Délestée d’un grand poids, elle prit la route du retour, le cœur plus léger mais l'esprit toujours assombrit par cette horrible conspiration. Perdues dans de sinistres pensées, elle ne remarqua pas le paysage défilé sous ses yeux et s'enfonça dans des rêveries tourmentées.
Giselle se réveilla en sursaut, en regardant par la fenêtre, elle reconnut la route menant au Chateau de Comblaine. Elle se redressa, endolorie. Les chevaux s’arrêtèrent brusquement devant la grille du parc et une voix se fit entendre. Giselle ouvrit la fenêtre et passa la tête dehors, ignorant le froid du petit jour. Derrière l’entrée fermée se tenaient deux hommes. L’un était le nouveau régisseur du domaine, qu'elle avait rencontré à son arrivée ; l’autre était un émissaire impérial, portant à la main un rouleau de tissu écarlate.
Son coeur explosa dans sa poitrine. L’émissaire déroula la proclamation et lut dans une clameur :
— Moi, Empereur Auguste souverain du Saint Empire de Dalstein, neuvième de ma lignée, rédige ici ma parole et ma décision. Après les examens et l’enquête qui a été menée sur votre personne, Giselle Prunille le Tholy de Madalberth, vos mensonges ont de nouveau été démontrés. Vous êtes dès cet instant déchue de votre titre et interdite de fouler la terre du Saint Empire de Dalstein.
— Mais c’est impossible ! Nous venons à peine de rentrer, les résultats des médecins…
— Nous ont été communiqués avant votre arrivée, répliqua l’homme en livrée tout en enroulant consciencieusement le tissu écarlate sur lui-même. Tout sera publié demain officiellement.
L’émissaire, gonflé d’autorité, lui tourna le dos et prit la route du château. Le cocher ouvrit la porte de la voiture, et sous les yeux horrifiés de Giselle, prit sa valise et la posa au sol.
— C’est… Ce n’est pas possible, enfin ! s’écria-t-elle, cherchant ses mots. Il faut que j’aille à Lengelbronn pour…
Je ne suis pas stérile ! Par les Dieux, je ne suis pas stérile ! Ménée, aide-moi ! Sainte Mère !
Le cocher, qu’elle avait connu toute sa vie, évita son regard. Les oreilles écarlates, l’homme retourna à sa place et demanda aux chevaux d’avancer.
Les portes s'ouvrirent pour le laisser passer, Giselle fit plusieurs pas pour traverser, mais le régisseur se plaça en face d’elle de toute sa hauteur.
— Écartez-vous ! ordonna-t-elle, alors que les grilles se refermaient dans un grincement.
— Vous n’êtes plus la bienvenue chez le Duc et sur les terres de Hautebröm. Vous ne faites plus partie de la famille et n’avez plus aucun droit, Mademoiselle… Vous êtes aujourd’hui un sujet comme les autres de l’Empire, quoique non… Vous êtes bannie de ses terres.
Et sans plus de cérémonie, l’homme fit demi-tour et la laissa seule sur place.
Giselle resta les bras ballants, ne pouvant que voir sa voiture s’éloigner au loin. Son cœur battait à tout rompre, des larmes brûlantes lui montèrent aux yeux. Elle regarda autour d’elle en balbutiant, il n’y avait personne. Sa valise tomba sur le côté, alourdie par son propre poids. Elle demeura interdite, au bord de la route de sable blanc, à côté du fossé débordant de mauvaises herbes.
Bannie, exilée… Elle n’en croyait pas ses yeux.
Un frisson traversa son corps. Stupéfaite, elle réalisa soudain qu’elle avait laissé son manteau dans la voiture, et qu’elle n’avait nulle part où aller.
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