Chapitre 11 : Primordiale cérémonie (2/2)

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C’était donc inévitable… Toute organisation, fût-elle hasardeuse, s’effaça au profit du chaos. Plus une note de musique n’emplit la cérémonie. Plus un rire n’animait l’affluence. Juste des cris dissonants, projetés vers d’impuissants cieux. Les uns étaient paralysés, les autres cherchaient une échappatoire. Contre la confusion s’imposèrent les miliciens, qui dégainèrent à l’unisson, et déglutirent une potion de teinte bleutée. Hé, les inquisiteurs la boivent aussi ! Importée directement de l’empire, que Godéra disait.

— Regroupez-vous à l’intérieur ! enjoignit Koulad après s’être essuyé les lèvres.

La menace se distingua au-delà de sa simple silhouette. Un jeune homme barbu, à la chevelure broussailleuse, dardait chaque invité de ses yeux jaunâtres. Ni sa tunique en étoffe de coton, ni son amulette purpurine ne semblaient révélateurs de ce qu’il était, du moins pour Docini. Guère de temps lui fut offert pour le contempler, car il tenait une milicienne par le cou. Des gémissements s’échappaient d’elle : son équipement était lacéré, ses membres ensanglantés.

— Connard de mage ! hurla un milicien. Tu te sers d’elle comme bouclier humain !

Des dizaines d’invités détalaient au nom de leur vie. Il en devenait ardu de se rassembler, de centraliser une riposte, d’élever une intelligible voix. Sans trémuler, fixée sur le primordial, Bennenike se leva à son tour.

— Badeni ! héla-t-elle. Escorte Ulienik et Renys en sûreté. Ferme les portes à double tour tant que les lieux n’auront pas été sécurisés.

— Bien reçu, votre grâce ! confirma la garde du corps. Vos enfants n’auront rien, je vous le promets !

Un rictus de confiance s’éteignait dans ce déluge de vociférations. Sitôt Badeni avertie qu’elle rejoignit Clédi et les enfants de l’impératrice, disparaissant à toute allure dans les fondations du palais. La souveraine connait ses priorités, heureusement ! L’agresseur était demeuré autant placide qu’il le pouvait dans ces circonstances. Hallebardes, lances et arbalètes s’alignèrent devant lui sans qu’il ne cillât, tout juste hésitant dans sa démarche. Il n’a peur de rien, ce mage ! Tant qu’il se servira de cette agonisante pour se camoufler, il ne risque rien…

Docini sentit les vibrations s’intensifier. Aussi dégaina-t-elle sa lame, malgré son retrait par rapport aux miliciens. La pression sur son buste s’était allégée : Tanéhisse s’était évanouie, et elle ignorait si l’alcool ou le contexte était en cause. Elle essaya de se rapprocher, mais ce fut l’impératrice qui se manifesta, en dépit des protestations de son époux.

— Je vois un couard, méprisa-t-elle. Une défenseuse de notre empire souffre parce que tu l’exploites comme égide. N’as-tu pas honte ?

— Je suis prêt à tout pour vous occire, Bennenike l’Impitoyable, répliqua l’agresseur. Et si cela implique de tuer aussi vos miliciens, je n’hésiterai pas.

— Ne lui réponds pas ! implora Koulad. Il cherche à te provoquer, à te faire tomber dans son piège.

— Il est seul contre nous, rétorqua Bennenike. Son acte est au mieux de la témérité. J’aimerais savoir ce qui le motive. Pur idéal de vengeance ?

— Et qu’est-ce qui vous a motivée à commettre cette purge ? vociféra le mage. À massacrer tous ces innocents ?

— Les mages ne sont pas innocents. Mais je ne vais gaspiller ma salive. Tu es l’un des leurs, après tout.

— J’ai survécu. Je me suis préparé pour ce jour. J’ai imaginé bien des manières de vous tuer, impératrice. Aujourd’hui sonnera votre glas.

— Il te faudra d’abord affronter mes miliciens. C’est déjà surprenant qu’aucun ne t’ait repéré, que tu te sois infiltrée jusqu’au centre même d’Amberadie. Ils corrigeront cette erreur. Ils me protègent et ils purifient l’empire des mages. Tu es la cible idéale pour eux.

— Vous ne cherchez pas à vous justifier. Vous vous vantez d’être génocidaire. Je voulais voir l’humaine derrière le titre. Vous êtes exactement ce que je redoutais. Ni vous, ni vos fameux protecteurs ne survivront !

Sur sa lancée, le jeune homme jeta la milicienne à terre, la laissant agoniser dans la verdure du jardin. Après quoi il généra des spirales pourpres tout autour de lui. Ses opposants tentèrent de percer, mais le flux les repoussa, même apte à les trancher. L’envahisseur exécuta un garde d’un rayon incandescent avant de consumer un autre d’un sort identique. Cette ouverture percée, seul Koulad se dressait encore par-devers ce mage furibard.

— Savez-vous qui je suis ? rugit-il.

— Un inconnu, répliqua le chef. Et suicidaire de surcroît.

— Vous ne vous souvenez d’aucun visage. Ces hommes et ces femmes faisaient confiance en l’empire, se battaient pour lui, et vous les avez trahis ! Plus aucun nom ne vous revient à l’esprit ? Je vais les venger ! La famille Saiden n’est pas morte ! Moi, Horis Saiden, j’en suis son dernier représentant !

Il va l’assassiner ! Son flux était canalisé à son paroxysme. Pendant que les miliciens se ruaient vers lui, pendant que Koulad se dressait comme ultime obstacle, Horis généra un puissant jet lumineux d’où germaient des étincelles. Mais le sort projeté se dissipa, comme attiré par une résonnante énergie.

La pointe de sa lame brilla. Au-delà de ces miliciens au souffle coupé s’était interposée l’inquisitrice. Docini avait repoussé le sort du mage. Autant que je me rende utile. Le destin m’a accordé cette opportunité de faire mes preuves.

— Il est déstabilisé ! s’aperçut une milicienne. Attaquons-le, maintenant !

Horis s’était raidi. Du sang grimpait à son visage. Des tremblements assaillaient chaque parcelle de son corps. Enfoui en lui, en attente d’être libéré, du flux se canalisait, s’amplifiait de seconde en seconde. Sinon Docini ne subirait pas l’agitation de sa lame à une telle intensité.

Cris de triomphe dans le fatras d’émotions. De brillants métaux retentissaient sous l’effervescence des miliciens. Au centre coalisait une magie telle qu’ils l’avaient rarement perçu. Lehold mena l’assaut, assena sa hache contre toute protection. Mais elle se heurta à la courbure diaphane, piégée sous les impulsions, à l’instar des carreaux d’arbalète. Dévier les sorts aidaient peu s’il ne franchissait pas les défenses de son adversaires. Les miliciens eurent beau être rapides, Horis tenait le rythme.

La riposte ne va pas être belle à voir… Docini réprima tout relâchement, tout tressaillement, tout fléchissement. Quand vint l’instant, quand s’amalgamèrent d’inébranlables miliciens, sa lame semblait trop lointaine.

Bennenike observait la scène avec impavidité, scrutant les mouvements adverses, volontairement exposée au danger. Koulad essayait de la protéger, pourtant obstrué par sa propre agitation. Surgit un jet enflammé à vitesse démesurée, dont il ne put se dérober. Un milicien plongea à sa rescousse. Il ne l’avait pas dévié à temps. Le feu l’enveloppa aussitôt, et dans sa géhenne n’émergèrent que des borborygmes.

— Les souvenirs s’éteindront sur vos cadavres ! annonça Horis.

Il plaqua ses mains l’une contre l’autre, d’où allaient sourdre des orbes saturés d’énergie. Bon sang ! Y’a-t-il une limite à sa magie ? Tant se répandirent, frappèrent les miliciens, entravèrent brandissements des armes. Ses ennemis s’échinèrent à absorber, à dévier, à contrecarrer ce flux. Les uns étaient balayés, les autres résistaient, aucun ne s’en extirpait indemne.

Poussière et particules s’associaient pour une imparfaite vision. Perçait un pernicieux mage, poing gorgé d’émanation, prêt à tout purifier. Alors que le nombre de victimes grandissait, Lehold parvint à lui entailler la cheville. Un cri en fut extrait, sans toutefois le désaxer, ni même le ralentir. À son irritation se décuplèrent ses forces.

Il était submergé. Attaqué de toute part. Ce pourquoi il frappa le sol de son poing. L’onde de choc résultante propulsa les miliciens survivants sur plusieurs mètres. Des arbres furent déchirés. Des murs fêlés. Des combattants entamés. Il en restait pourtant une. Lame braquée contre l’adversité, détermination inscrite dans ses traits, elle examinait son ennemi déjà entamé.

— Tu ne m’intéresses pas, lâcha-t-il. C’est l’impératrice que je veux !

Bennenike et Koulad étaient assez éloignés. Toujours debout, dévisageant l’assaillant, délestés de peur et torpeur. Le chef chercha une arme au milieu des dépouilles sans lâcher Horis des yeux. Lui-même accumula du flux tout en surveillant chacune de ses cibles, respiration haletante. À peine eut-il un peu récupéré que Docini fonça sur lui.

— Tu ne devrais pas m’ignorer ! tonna-t-elle.

Elle abattait sa lame une fois à portée. Horis s’arc-bouta en déployant son bouclier. Aussi l’arme trembla contre les ondulations. Il croit m’arrêter avec cette banale protection ? Docini s’octroya une impulsion : elle tournoya, exécuta un court saut et atteignit l’autre côté. D’un impact bien placé elle fit reculer le mage auprès du mur, poursuivant aussitôt l’assaut. Tandis qu’elle beuglait, tandis qu’elle exposait l’acier qui prolongeait son bras, Horis généra des ondes circulaires.

Sa lame s’échappa de ses mains. Mais elle était proche de son adversaire. Toute proche.

Docini chargea Horis. Le mage, projeté contre le mur, expectora, se courba, non sans foudroyer son adversaire du regard. Sitôt coincé sous la pression qu’il saisit l’inquisitrice par le cou et la plaqua à son tour sur le mur. Des morceaux de plâtre tailladèrent le visage de l’étrangère, le long duquel des plaies se formèrent.

— Tu n’es pas comme eux, remarqua-t-il.

Il encastra sa tête une seconde fois : grincements et douleur s’amenuisèrent dans cet amas de matière. Docini avorta néanmoins sa troisième tentative, agrippant le bras de son assaillant.

— Je vais le devenir ! déclara-t-elle.

Elle décocha un uppercut qui contraignit le mage à s’incliner. Éphémère malgré tout, car il se redressa, plus enhardi que jamais, répliquant d’un crochet gauche.

— Tu veux me prouver que tu vaux quelque chose sans ta lame ? persiffla Horis.

Docini échoua à porter un coup de genou. Elle leva sa garde, synchronisée avec son adversaire, baignée de sang et de clameur.

— Tu es grande et costaude, alors tu penses triompher au corps à corps ? lança le mage. Détrompe-toi ! Je n’ai pas besoin de magie.

Assaut après assaut, enchaînant coups de poing, Docini et Horis se fondirent dans l’expression la plus simple du duel. Prêts à décrocher la mâchoire de l’autre. Résolus à fendre les côtes. Décidés à briser les membres. À force de cogner, à force de s’éreinter en brute violence, ils s’abandonnaient eux-mêmes. Ils perdaient leur objectif de vue. Ils saignaient au nom d’une cause inconnue, réduits à l’état d’animaux.

Il doit tomber ! N’est-ce pas mon objectif, renverser tout adversaire de l’empire ? Je suis Docini Mohild, inquisitrice de Belurdie, et je ne laisserai personne me vaincre !

Alors qu’elle glaviota une once de fluide vital, alors qu’elle dévisageait Horis avec haine, Docini entreprit de porter le coup final. C’était omettre la présence d’autrui. Koulad surgit par derrière et assomma le mage avec le manche d’une hallebarde.

Docini s’affaissa. Un sentiment de frustration la traversa tandis que sa vision se troublait. Pourtant elle avait triomphé, pourtant elle s’était imposée, pourtant elle avait libéré toute sa puissance. Autour d’elle s’exhumait la mort. En face d’elle sombrait le vaincu. Au-dessus d’elle furent prononcés des mots à peine audibles, semblables à des remerciements. De quoi faire poindre un sourire sur son faciès, au moment où elle sombra dans l’inconscience.

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