L'ardoise des Sanges (1.2.6)
Tome 1 > chapitre 2 > partie 6
Il arriva le cœur battant, non de sa marche rapide, mais comme au moment de finir premier, gagner une simulation militaire ou embrasser une nouvelle demoiselle pour la première fois. Il s’agissait ici d’embrasser une nouvelle vie.
Mais voila qu’un autre prétendant à la Chevalerie Sanges arrivât. Celui-ci chercha son nom et, après un instant d’errement, regarda de nouveau. Son dépit devint manifeste, puis sa colère explosa. Il hurla, les insultes plurent, les gens se retournèrent. Deux Chevaliers Sanges, connus pour être Mildone l’Arcae et Velas le colonel, s’approchèrent et lui parlèrent calmement. L’homme leva une main. D’un geste rapide, Mildone la lui fit baisser. Il continua à vociférer, puis brusquement il bouscula Velas, contourna l’ardoise et, prenant appui le plus haut possible, la poussa.
Elle bascula, sentence implacable de quatre mètres de haut. Certaines personnes en dessous eurent tout juste le temps de bouger, d'autres à peine celui de crier. Anaelis vit le drame arriver. Il se précipita. Avec la magie des Arches, peut-être pouvait-il éviter le pire. Mildone, tout proche, s’était déjà placé sous elle. Il leva les bras, on sentit l’aspiration de l’air, tous les vêtements se tendirent vers lui, le courant remonta, souffla ses cheveux. Un simple trait lumineux, parfaitement droit, se matérialisa quelques centimètres au dessus de ses paumes : un trait des Arches. L’ardoise tomba dessus et s’arrêta net. Les gens fuirent. Elle se fissura, elle se fendit, elle se plia. Séparée en deux morceaux, elle formait comme le toit d’une maison, avec en poutre haute le fin trait de magie. Mildone regarda le résultat, puis marcha tranquillement de côté. Son sortilège resta en place quelques secondes avant de s’effacer lentement. Tout avait paru si simple pour lui, il n’avait jamais semblé alarmé. À la disparition du trait lumineux, l’ardoise tomba avec fracas.
Anaelis regarda éclater son avenir à terre en des centaines de fragments.
Tout le monde restait sidéré. Manquer de tuer des gens, un crime. Briser l’ardoise des Chevaliers Sanges, un sacrilège.
Anaelis s’approcha à pas lents et fixa longuement les débris. A cause du sens de la chute, tous étaient de dos, ne rendant aucun nom visible. La puissance de l’ardoise, envolée ; les reflets du soleil, éteints ; la porte symbolique, refermée. Une certaine tristesse naquit en lui, en voyant cette destruction, il pensa à la sienne.
Puis il se mit au travail, comme il l'avait toujours fait. Pour avancer, dépasser sa condition, devenir meilleur, maîtriser son avenir. Il s’agenouilla, retourna un gros morceau, le plaça loin des autres, alla en chercher un second, puis un troisième, ainsi de suite. Il sentit le côté incroyablement doux de l’ardoise en même temps que sa grande fragilité, le risque de l’effeuiller en y allant trop brutalement, qu’elle perde toute sa dernière résistance.
Travailler pour redonner son intégrité à une structure cassée. Récupérer tous les éclats épars pour les lier ensemble. Retrouver ceux perdus et les remettre à leur place. Un par un afin de les réparer tous.
Des noms apparurent petit à petit. Quatre-vingt-seize personnes choisies chaque année pour intégrer l’académie des Chevaliers Sanges. Vingt-quatre groupes de quatre prétendants, dont les membres d’un seul deviendraient chevaliers. Des années d’entraînement, des mois de sélection, des semaine d’épreuves à venir, et un jour le verdict.
Le contour de l’ardoise en place, juste une coquille vide. Il commença à travailler sur l’intérieur. L’intime. Le plus difficile, réparer sans repères. Trop de destruction, une tache titanesque. Pourtant, aller lentement, ne pas se décourager, avec bienveillance, patience.
Un très long moment passa avant qu’il ne restât que quelques fragments. Le support initialement brisé devint finalement une ardoise renaissante. Parfois de petits éléments manquaient. Soit. Il pourrait survivre sans. Les cicatrices resteraient à vie. Mais ici l'ardoise fût presque comme avant.
Il regarda son travail pour recréer un avenir. Des fragments réassemblés pendant des années. Avec succès, car c’était là.
Il ressentit une vague de joie. Elle repartit lorsqu'il pensa à tout ce qu'il restait à réparer, à construire, encore. Puis son visage s'adoucit, il sourit. Il pouvait y arriver. Peu importaient le temps et les efforts à fournir.
Il trouva son nom sur l’ardoise, son groupe, les quatre compagnons depuis fort longtemps.
Poène Aceprit
Linsie Arglegate
Théorode Chassefeuille
Anaelis Portespoir
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