La promenade (1.2.2)
Tome 1 > chapitre 2 > partie 2
Anaelis admirait toujours l’éveil de Sciscere depuis son piédestal, il se sentait transporté par ce moment, le sentiment d’y prendre part tout en restant en retrait. Il contemplait le lac au nord-est de la cité, ses scintillements tamisés et les voiles des petites embarcations de pêcheurs, lorsqu’il fut interrompu.
— Les gardes vont finir par te voir, fit une voix féminine d’un air amusé.
Il sourit même si son moment de calme prenait fin. Tout calme prenait fin lorsque Poène arrivait quelque part.
Il regarda une dernière fois briller les toits des temples, leurs idoles de marbre et les monumentales statues chryséléphantines des dieux. Il admira les vastes murailles concentriques refléter une à une le soleil renaissant, percevant les lignes dessinées par les grandes avenues et les canaux dans la multitude de toits d’ardoise et, au loin, de chaume. Il salua enfin du regard les innombrables sculptures des héros d’antan gardant les ponts.
Une inspiration, les yeux fermés une seconde pour se souvenir de cet instant, puis il descendit la colonne pour atterrir sur le toit de l’édifice. Il avança jusqu’au rebord et s’accrocha au fronton sculpté. Celui-ci décrivait le combat de la Calistrie et ses alliés face à Solamance. Sestene, la princesse d’antan comme la nommait Anaelis, avec derrière elle d’autres souverains, héros, certains des futurs premiers chevaliers Sanges, faisait face à Arksana de Solamance, son Conseil, ses soldats immortels et ses bêtes immenses. La première brandissait son épée, la seconde, tête baissée, son hybre. Anaelis prit appui sur un loup géant et continua à descendre.
— Le soleil s’est bien levé ce matin ? se moqua gentiment Poène.
— Parfaitement, j’ai eu raison de le surveiller, répondit Anaelis avec le plus grand sérieux.
— Sestene t’a parlé ?
— Muette comme une statue. Elle n’est plus de très bonne compagnie.
Ils descendirent la colline dédiée à la mémoire du soulèvement, de la guerre et de la victoire contre Solamance.
— On courre ! ordonna-t-elle.
— Non, pour au moins un jour dans l’année, on ne courre pas.
— Flemmard.
— Je sais ce que tu veux. Pas la peine de se presser pour les crayées, on n’a plus de pouvoir dessus.
— Quoi, tu ne veux pas savoir le plus vite possible ? insista-t-elle.
— Tu es déjà persuadée qu’on est pris, Poène.
— C’est certain ! Se passer de moi serait une erreur de leur part.
Anaelis avait fini par se faire à l'assurance démesurée de son équipière. Son affirmation précédente était purement du premier degré, elle ne doutait pas un instant de ce qu’elle disait. Poène la vaillante, toujours combative, jamais découragée. Son apparence commune n'en laissait pourtant rien présager : un mètre soixante-dix, des courbes légères, avec la peau blanche et la chevelure blond-roux typiques des ascendances nordiques. Ce jusqu’à ce que l’on comprenne le vrai sens de cette couleur : le brasillement extérieur du feu qui rugissait en elle.
— Elle est jolie cette robe, elle est nouvelle ? reprit-il.
Fine étoffe bleue, presque fragile, coupée au-dessous du genou et au décolleté sage.
— Oui, elle est parfaite pour moi.
Il sourit de cette réponse. Il voyait bien pourquoi elle l'avait choisie, cette couleur réhausserait celle de sa chevelure lorsqu’elle la libérerait de sa queue-de-cheval. Surtout, ceux qui croiseraient alors son regard resteraient prisonniers d'yeux d’un bleu bien plus puissant que celui de l’habit. Pourtant, si les hommes se retournaient parfois sur son passage, elle ne faisait jamais mine de s’intéresser à quelque joli cœur.
Ils cheminèrent une heure durant, empruntèrent les ruelles fleuries des vieux quartiers, remontèrent les rues encombrées des charrettes de marchands, longèrent des quais, passèrent d'immenses murailles. Lors de leur marche, ils traversèrent d’innombrables fois la Lisurne, le fleuve de Sciscere, celle-ci se divisant en de multiples bras qui se joignaient et se séparaient sans cesse tout au long de la cité. Ils regardèrent les préparatifs des fêtes du solstice, discutèrent de tout et de rien. Attirés par l’odeur d’une boulangerie, ils s’arrêtèrent prendre du pain chaud qu’ils remplirent de pommes cuites au miel. Ils restèrent assis sous les arbres à manger, rire et imaginer l’avenir. La soif les mena jusqu’à un aqueduc au pied duquel ils trouvèrent une fontaine, puis ils se décidèrent à repartir.
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