La procession d'Enethen (1.3.3)

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Tome 1 > chapitre 3 > partie 3

Après leur agréable repas, ils se mirent en chemin pour regarder la procession d’Enethen, dieu solaire du panthéon. Ils avaient décidé de se rendre à la muraille de la Chame, le plus important rempart de Sciscere.

Cette merveille architecturale n’avait jamais été franchie par un quelconque ennemi depuis sa construction. Un premier mur si haut qu’il en donnait le vertige, et si profond que unités d’infanterie entières y tenaient. Un second mur, moitié aussi haut et profond que le premier, servait au positionnement des archers et des canons. Ainsi, ils disposaient d’une plus longue portée et, si le premier étage venait à être attaqué ou à tomber, ils pouvaient l’assaillir de flèches tout en restant en sécurité.

Pour les voyageurs arrivant aux abords de Sciscere, cette muraille était la première chose qu’ils voyaient de loin, tant sa hauteur dominait le reste de la ville basse. Ensuite, ils pouvaient apercevoir les collines intérieures et la magnificence de leurs riches édifices.

— Tu regardais l’aurore ce matin ? demanda Anaelis.

— Je dormais. Pourquoi cela ?

— Dommage, de là où j’étais, j’avais une vue presque aussi belle que si nous étions sur la muraille.

— Où te tenais-tu ?

— Aux pieds de Sestene, sur la colline de la Révolte.

— Cela devait être beau. L’année prochaine, j’irai avec toi.

Mélangés à la foule au pied du rempart, Istinie et Anaelis virent la procession arriver de loin. Elle avait débuté au grand temple d’Enethen au zénith du soleil. Lorsque l’immense obélisque du parvis n’avait plus donné aucune ombre, les cloches s’étaient mises à sonner et les serviteurs à marcher.

Au loin, l’air luisait doucement, comme les vagues à la surface d’un lac. De petits cristaux brillants voletaient au dessus du défilé. Sur les kilomètres de la procession, des mages faisaient tournoyer sans cesse ces petits éclats lumineux symboliques, une nuée de soleils miniatures.

— Cette muraille est tout de même magnifique, dit Istinie.

— Impressionnante en effet, répondit Anaelis.

Ils regardèrent les immenses drapeaux de plusieurs dizaines de mètres tombant le long des remparts blancs. Les premiers, les plus proches de part et d'autre de la porte, étaient ceux de la Calistrie : sur fond violet sombre, une chouette tenant dans son bec un rameau d'olivier, masquant partiellement une épée et un baton d'hybre croisés derrière elle. Venaient ensuite les drapeaux des cinq duchés : la cascade de Rulise, l'ours de Jalinta, le bouclier de Frien, le rapace d'Obartune et la tour de Nimarite. Des pays à part entière il y a fort longtemps, qui, comme lors de la construction de tout empire, furent intégrés. De gré ou de force.

Istinie regarda longuement l'immense drapeau de Jalinta. Il s'agissait de son duché, sa famille. Elle aurait pu être Istinie Maudevie, princesse de Jalinta, si le lointain passé avait été différent. Elle ne regrettait pas un instant de n'être que duchesse de Jalinta, et encore, ce n'était plus qu'un titre honorifique. Son appartenance à la Calistrie lui importait bien plus.

— Un ennemi qui arriverait ne pourrait qu’être désespéré en la voyant, reprit-elle. Comment seulement envisager de l’attaquer ? Point d’échelles à cause de la hauteur, et les canons repousseraient les tours de siège.

— Qu’en penses-tu, comment la prendre ?

Ce furent les éléphants sacrés, recouverts d’un manteau d’écailles nacrées, qui ouvrirent la marche de leur pas placide. Les cornacs les guidaient d’un fin fil de lin. De larges anneaux ornaient leurs défenses, ajoutant à l’impression d’aura lumineuse émanant de ces animaux immenses.

Les enfants sur les épaules de leurs pères ouvraient de grands yeux émerveillés. Istinie sourit en entendant l’un d’eux dire é nénéfants et se retourna pour voir un petit garçon pointer du doigt les géants.

Suivirent les prêtres et prêtresses dans leurs chitons traditionnels de laine blanche et leur coiffe d’or. Chacun des pas féminin était un délice, non seulement par la grâce de leur démarche, mais aussi par le bruit léger des clochettes accrochées aux bas de leurs robes.

— Des dragons ? proposa Istinie.

— Les balistes sont nombreuses, le risque de perdre des dragons s’avérerait trop important. Par ailleurs, la protection supérieure du toit les empêche de souffler directement sur les archers et les canons. Une autre idée ? demanda-t-il.

— Tu me testes ?

— Parfaitement. Istinie, voici votre examen de stratégie.

— Intéressant. Je me dois de le réussir alors.

Elle le savait doué dans ce domaine. Si elle pouvait réussir à l’impressionner…

Un son de cloche retentit, la procession s’arrêta un instant, tous tendirent les mains en coupe en direction du soleil. Les vivats de la foule se turent, respectueux de l’offrande solaire. Au bout d'une minute, la file reprit sa marche au son cristallin des instruments.

S’ensuivirent douze cavaliers aux chevaux parés comme les éléphants. Ces défenseurs du temple portaient chacun un étendard au signe de leur culte, un soleil stylisé à quarante branches. Suivait le grand prêtre, brandissant la torche rituelle, allumée à la flamme éternelle du foyer du temple. L’histoire disait que ce feu brûlait depuis des siècles : même lors des guerres et des sièges de la ville, la flamme sacrée avait continué de brûler.

— Les rues la traversant ? Toujours les portes sont le point faible, proposa-t-elle. Même si je te sais me dire que...

— Exactement, l’agencement en T permet de fracturer la première porte, mais ne laisse pas la place aux béliers de prendre les angles. Les charrettes y arrivent déjà assez difficilement. Et puis, il y a les éboulis prévus. Si une porte lâche, des tonnes de rochers bloqueront le passage.

— Mais cela affaiblira la muraille.

— Nullement, ils proviennent des barbacanes.

Deux bœufs tiraient un chariot de bois blanc à la suite du grand prêtre. La relique la plus sainte de leur ordre y reposait : une grandiose sphère d’hybre de presque un mètre de diamètre, l’une des plus grande au monde, flottant dans l'eau d'une vasque d'argent. La légende voulut que ce fut un fragment de soleil tombé sur le Continent. En plein jour elle émettait déjà une lumière vive. Dans la nuit, replacée au sommet de l’obélisque devant le temple, elle éclairait les environs sur des centaines de mètres. Des mages d’Enethen la maintenaient constamment "éveillée" : tout comme la flamme sacrée, il n’était pas question que l’hybre solaire s’éteignît.

— Alors il faudrait la détruire à distance.

— La portée des canons en hauteur est supérieure à ceux au sol, précisa-t-il.

— Imaginons ainsi des canons tirant plus loin ?

— C’est une option. Un avantage technologique.

À la suite de l’immense sphère d’hybre incandescente arrivaient les soixante-douze fantassins dédiés au culte, eux aussi gardiens du temple, devant se battre jusqu'à la mort pour le protéger.

— Il reste la sape, dit Istinie.

— Parfaitement. Mais les colonnes de pierre et d’acier qui entourent la muraille sous terre descendent à deux cent mètres, il faudrait des mois pour les passer.

— Impressionnant, murmura-t-elle.

— Immonde aussi. "Creusés avec le sang des vaincus" disent les historiens.

Les centaines de musiciens et de danseurs suivaient de près les soldats. Ils lançaient à la foule des fleurs coupées à l’aurore et offraient des bols de bois emplis des fruits nourris par le soleil. Les plus pauvres pouvaient se rendre dans les temples d’Enethen pour y recevoir les mêmes dons ce jour-là. Sur leur passage, la foule se mettait à chanter un vieil air dédié au dieu solaire d'une voix empreinte de respect.

— Une pluie d’étoiles, dit Istinie.

— C’est aussi mon avis. Une fois le toit soufflé, les balistes seront à découvert, et tout s'enchaînera.

Les étoiles, la terreur des champs de bataille, bien au-delà de ce qu’inspiraient les dragons. Les mages avaient appris à faire tomber de lents éclats lumineux qui explosaient au contact du sol et soufflaient tout sur des dizaines de mètres à la ronde. Une seule étoile créait déjà une frayeur chez les fantassins, plusieurs (une pluie) et voila que toutes les unités rompaient les rangs, amies comme ennemies.

— Mais les mages sauraient les souffler, reprit-elle.

De par leur légèreté, ces étoiles pouvaient dévier avec un simple souffle de vent, aussi les mages parvenaient-ils à s’en défaire.

— Et vice-versa, répondit Anaelis.

Ils pouvaient par contre créer un souffle descendant pour propulser les étoiles et les faire exploser presque après les avoir invoquées.

— Le principal soucis, dit-il, c’est que l’ennemi sait quand il va attaquer et peut donc se reposer à loisir, tandis que les défenseurs doivent rester alertes en permanence. Ils perdront à l’usure.

Elle fut soulagée d’avoir trouvé. Si dans les faits ce n’était peut-être pas la meilleure solution, au moins était-ce celle d’Anaelis.

Enfin, la procession des fidèles arriva, s’étirant sur des kilomètres. Elle devint dès lors moins intéressante.

— Istinie, tu voudrais qu’on aille se promener en ville pour voir les fêtes ? demanda-t-il.

Son cœur sauta un battement. Elle oublia de répondre.

— Enfin, si tu n’avais rien de prévu, ajouta-t-il.

— Cela me ferait grandement plaisir, répondit-elle.

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