ACTE 3
Une jeune femme arrive sur la scène. Elle porte un masque si bien que l’on ne peut pas voir son visage.
Lucien (Ils chuchotent) : Quel est son nom déjà ?
Docteur Moon : Nina. Elle s’appelle Nina.
Lucien : N ; I ; N...
Docteur Moon : « A ». Comme Analphabète imbécile. (S’adressant à Nina) Viens donc festoyer avec nous Nina. Tu vois, j’ai réservé une chaise pour toi.
Elle s’avance timidement.
Docteur Moon : Tu n’as pas avoir peur. Allez, viens t’assoir à table.
Nina : Vous croyez réellement que je peux venir à table avec vous, Monsieur.
Docteur Moon : Mais bien sûr. Allez, viens parmi nous, tu n’as pas à être effrayée, je ne suis pas un monstre, je ne vais tout de même pas te manger ! N’est-ce pas Lucien que je ne suis pas un monstre ? (Lucien hésite à lui dire “non”) Mais Vas-y Lucien, dis-le-lui, parle, nom d’un chien !
Lucien (Sur un ton monocorde, comme s’il récitait une leçon) : Non, tu n’as pas à avoir peur, Nina, le Docteur Moon n’est en rien un monstre.
Docteur Moon : Bien, tu vois, la paix règne sous mon toit, alors sois gentille viens t’assoir. (Elle s’assoit) Ah, comme je suis heureux de vous avoir tous les deux en ma compagnie, en cette veille de Noël. De vous voir là, attablés sur le point d’en découdre avec la volaille, cela me réchauffe le cœur.
Nina : Vraiment, je puis repartir si vous le souhaitez.
Docteur Moon : Repartir, mais pour aller où, au juste ? Dans l’ancien monde, dans ce capharnaüm déshumanisé ? Et tu y ferais quoi, hein ? Femme de ménage ? Politicienne ? Non, tu es bien mieux ici, avec nous, n’est-ce pas Lucien ?
Lucien (D’un air désespéré) : Certes oui.
Docteur Moon : Écoute-le, (Il l’imite) « Certes oui ». Oh, vraiment tu fais peine à entendre, Lucien. Après tout ce que j’ai fait pour toi. Ne fais pas l’ingrat, dis-lui plutôt comment je t’ai sauvé la vie en te recueillant chez moi. (SILENCE) Ton mutisme est pitoyable, Lucien. Vraiment, quelle ingratitude envers ton « Deus ex Machina », tu me fais avoir des sentiments de chagrin.
Nina : Vous l’avez sauvé de quoi ?
Docteur Moon : Mais de tout Nina, de tout : des affres de la vie, de l’insondable laideur des hommes vipérins, et j’en passe. Et je vais en faire autant avec toi, Nina. La contagion maladive de l’ancien monde que tu portes en toi je vais la laver, la guérir. Je vais faire de toi un être suprême à l’âme universelle. Sais-tu comment l’on me nomme ici ?
Nina : Non monsieur, je ne le sais pas.
Docteur Moon : Le docteur Moon.
Nina : Docteur ?
Docteur Moon : En effet, docteur. Et sais-tu pourquoi ?
Nina : Non, vous m’en voyez confuse, je ne sais vraiment pas pourquoi.
Docteur Moon : Fut un temps, j’étais psychiatre.
Nina : Psychiatre. Oh ! C’est un métier avec de lourde responsabilité, psychiatre.
Docteur Moon : Ah ça, tu ne me le fais pas dire, Nina. N’est-ce pas Lucien ?
Lucien : Possible.
Nina : Et vous n’exercez plus ?
Docteur Moon : Non, malheureusement j’ai tout abandonné du jour au lendemain. Soigner la folie de l’être humain n’est pas une mince affaire, il faut une grande force de caractère et beaucoup d’aplomb. N’est-ce pas Lucien ?
Lucien : Possible.
Docteur Moon : Tout au long de ma carrière, j’ai réussi à faire naitre l’espoir de guérisons chez l’ensemble de mes patients. Hélas, un jour je suis tombé sur un os, où je me suis retrouvé impuissant face à la folie de l’un d’entre eux. Alors, vaincu et voyant que je n’aboutissais à rien, j’ai pris la sage décision de stopper net toute activité psychiatrique, préférant me retirer au loin de l’ancien monde et de vivre une vie paisible dans mon chez moi avec pour seule compagnie mon Lucien, n’est-ce pas Lucien qu’on est heureux ?
Lucien : Je suis « fou » de joie de vivre avec le docteur Moon.
Docteur Moon : Tu es un vrai pince-sans-rire, Lucien. Parfois je me dis que j’ai de la chance de t’avoir près de moi.
Lucien : Foutaise.
Docteur Moon : Tu égayes ma triste existence.
Lucien : Foutaise.
Docteur Moon : Je te considère comme mon propre fils.
Lucien : Foutaise.
Docteur Moon : Tu es la lumière de ma vie.
Lucien : Foutaise.
Docteur Moon : Tu es tout ce dont un homme seul puisse rêver comme compagnie.
Lucien : Foutaise
Docteur Moon : Je t’aime.
Lucien : Foutaise ! Foutaise ! Foutaise ! Et encore foutaise !
Docteur Moon : (En colère) Je vais te rosser ! Je vais te... (Prêt à le frapper, le docteur Moon se ravise) Lucien, sois gentil, récite-nous le poème que je t’ai appris cette nuit.
Nina : Un poème !
Docteur Moon : Oui, un poème que j’ai écrit de ma propre plume.
Nina : Vous êtes poète, monsieur ?
Docteur Moon : Je m’essaye, en toute humilité, à faire des vers. Tu aimes la poésie, Nina ?
Nina : Oh oui, j’aime énormément. Cela me plait d’entendre de la poésie parfois à la radio. Et cela parle de quoi ?
Docteur Moon : De toi, Nina. De toi.
Nina : De moi ? Mais, monsieur, sans vous vouloir vous offenser, sans être impolie, comment est-ce possible, vous me connaissez à peine ?
Docteur Moon : Eh bien tu risques d’être surprise, je te connais aussi bien que Lucien me connait.
Nina : Je ne sais que dire.
Docteur Moon : Si, tu ne sais que dire, écoute plutôt Lucien.
Lucien : (Il se lève) :
Nina, sacre de la nature humaine,
Ton voyage jusqu’à nous, ne fut pas sans épreuve,
L’ennemi qui t’a conduit dans ce nouvel Éden,
T’offre d’accomplir, ici, ton dernier chef-œuvre,
Nina, ton issue est la nôtre,
Ta vie notre guide,
Tes amis, deux apôtres,
Et ton sacrifice notre David.
Nina, sous la voute céleste de nos désirs chimériques,
Tu conduis l’espoir de deux ermites,
En éclairant villes et villages et autres périphériques,
Pour donner une vie à nos rêveries décrépites,
Nina, tu rêves toi aussi d’un ailleurs sublime,
D’une vie sans problème,
Alors, ensemble, voyageons vers cet ailleurs ultime,
Et partons maintenant, là où tu nous emmènes.
Docteur Moon : Bravo ! Bravo Lucien tu l’as dit sans aucune accroche, je te félicite. C’était beau à en pleurer. C’était merveilleux. Il y a bien longtemps que je n’ai entendu un poème aussi bien déclamé. Nom de Dieu ! Nom de Dieu ! J’en frissonne encore. Qu’en as-tu pensé Nina ?
Nina : Je suis confuse, réellement gênée, mais je n’ai absolument rien compris.
Docteur Moon : Rien compris ? Mais tu plaisantes, n’est-ce pas ?
Nina : Je suis profondément désolée.
Docteur Moon : Ce n’est pas à ton goût, c’est ça ?
Nina : Non.
Docteur Moon : Alors quoi, tu trouves que c’est stupide c’est ça ? Tu trouves que je ne possède aucun talent ?
Nina : Oh non, je ne mets pas en doute votre talent de poète.
Docteur Moon : Alors quoi ? Qu’est-ce qui t’échappe dans ce que tu viens d’entendre ? Mais parle, nom de Dieu ! Exprime-toi !
Nina : Je ne sais pas quoi vous dire, c’est juste que je n’ai rien compris.
Docteur Moon : Je rêve. Je dois rêver. Tu dois quand même savoir pourquoi tu n’as rien compris.
Nina : Je regrette de ne pas savoir quoi vous répondre.
Docteur Moon : Tu trouves ça...incohérent ?
Nina : Incohérent, c’est ça, j’ai trouvé le poème incohérent.
Docteur Moon : Vraiment ?
Nina : Oui, le poème est bourré d’incohérences, du début jusqu’à la fin.
Docteur Moon : Des incohérences ? Dans mon poème ? Mon cul, oui ! Tout ce que nous avons entendu est d’une grande justesse. Dis plutôt que c’est la jalousie qui te fait dire des propos pareils, parce qu’au fond de toi, tu es incapable d’écrire une telle œuvre. Voilà tout ! Incohérences, je t’en foutrais moi des incohérences.
Lucien : Calmez-vous docteur Moon, vous me faites peur.
Docteur Moon : Mais je suis parfaitement calme. Parfaitement. Je veux juste savoir pourquoi cette demoiselle se permet de juger mon travail sans y apporter aucune argumentation valable. À l’écouter je ne suis qu’un minable poète.
Nina : À dire vrai, il me semble que...
Docteur Moon : Quoi ? « Il me semble que » quoi ? Finis ta phrase, Bon Dieu.
Nina : Eh bien, il me semble que quelque chose m’interpelle dans votre poème, mais je ne saurais trop quoi vous dire.
Docteur Moon : Réfléchis.
Nina : Qui est David ?
Docteur Moon : David ?
Nina : Oui, dans votre poème, vous parlez d’un certain David.
Docteur Moon : Ah oui, David, qui est-il ? Mon fils. Mon unique enfant.
SILENCE.
Annotations
Versions