L’ambassade.
Avec la complicité et l'accord de Jièm et les corrections de Yvan.
L'aube se levait, une aube bleue et rouge, une aube éveillée en d’éphémères incendies. Le ciel déjà échauffé repoussait la rosée tombée sur les tentes.
Un frémissement là-bas sur les dunes annonçait le soleil. Alors, de la ville de toile, des fumées âcres montèrent. Elles se plaquaient, étouffantes, sur les tentures en poils de camélis*.
Les allées furent envahies des brouillards lourds, opaques, et gris des aliments mis à cuire. Samaël était allongé sur un lit de coussins, à ses pieds trois ou quatre amphores vides avaient dû contenir quelque alcool très fort que lui seul aurait pu boire en si grandes quantités. Sa masse sombre, immobile, silencieuse, semblait attendre le baiser qui la réveillerait. Mais il ne fallait pas douter que son sommeil était celui d’un fauve. À moitié assoupi, conscient de tout ce qui l’entourait, il attendait qu’un rien le réveille. Djezabelle et Tamara entrèrent sous sa tente en même temps qu’une bouffée d’air brûlant venu du désert.
- Crois-tu qu’il nous entende, Djezabelle ?
- Crois-tu que le pinsamort* ne sente pas quand tu passes au-dessus de lui ? Pourtant, sous le sable, il ne te voit pas.
- D’après toi, est-il un Dieu ? Ou un monstre ?
- La belle affaire… Qu’il soit un Dieu, un monstre, ou autre chose… Ce que je vois, c’est notre puissance, notre richesse depuis qu’il est à notre tête… As-tu à te plaindre de lui ?
- Que nenni, avant j’étais une esclave, une femme soumise, une moins-que-rien, depuis que j’ai communié, que j’ai bu la Caudalia*, je suis toute autre. Je suis respectée à l’image des guerriers.
- Crois-tu qu’un monstre nous aurait gratifié de tels présents ? Crois-tu qu’un monstre aurait interdit l’esclavage et donné les mêmes droits aux femmes qu’aux hommes ? Crois-tu qu'Abou El Zanzi aurait été châtié pour ses méfaits, juste pour avoir tué des femmes qu’il disait infidèles ?
- C’est vrai que sa mort a été atroce et lente, très lente. Mais c’est ce qu’il en coûte de désobéir au Saigneur. Mais il ne pouvait pas boire la Caudalia et vivre selon les anciennes coutumes. Il avait fait un choix, personne ne l’avait obligé à nous rejoindre. Son cœur n’était que fourberie et cupidité… Qu’il pourrisse dans le Désert Caché ! Si nous ne sommes pas les esclaves de Samaël, nous sommes ses servantes et crois-moi, je sais où est la différence, qu’il soit encore mille fois béni.
- Ah les bonnes filles, vous dites cela, car vous savez que j’ai l’ouïe fine ! dit Samaël en s’étirant.
- Saigneur, ce n’est pas bien de nous espionner et c’était à moi de vous réveiller, la dernière fois, c’était Tamara, ce n’est pas juste.
- Voilà ce qu’il en coûte d’être aussi bruyantes qu’une meute de canis* se disputant une charogne.
- Res Samaël, vous êtes dur avec vous-même, gloussa Tamara.
- Petite effrontée, tu mériterais que je te mange pour mon petit-déjeuner.
- Mais vous n’en ferez rien, car Tamara a des doigts de fée et moi, je suis la commandante de vos Amazones. Les deux jeunes filles debout devant lui inclinèrent la tête et firent une parodie de révérence. Samaël s’était levé, il n’était vêtu que d’une longue tunique brune qu’elles lui retirèrent.
- Votre majesté est trop bonne, mais c’est d’abord l’heure de sa toilette. Notre Saigneur nous mangera plus tard, dirent-elles en chœur.
- C’est bon pour cette fois, je vais vous épargner. Je me contenterai d’une cuisse de camélis. Que le désert me vienne en aide, je suis la victime de deux petites pestes.
- Mes guetteurs m’ont prévenue de l’arrivée d’une ambassade, elle semble venir du Désert Caché*. Je croyais, qu’au-delà de la Dune des Titans il n’y avait plus rien de vivant.
- Le monde est vaste et plein de surprises, petite Djezabelle, mais que fais-tu avec ton coutelas ?
- Je vérifie quelque chose, Majesté… Shéchana a parié son plus beau méhari et un coffre de soieries que votre colonne de vie était plus courte que mon breitsax*.
- Dans ce cas, tu as perdu. Pour ta peine et m’avoir ainsi utilisé… Tu superviseras la corvée d'eau à la place du jeune Yourout.
- Majesté, je vous obéirai pour la corvée, mais je n’ai pas encore perdu. Shéchana n’a pas précisé si votre membre devait être au repos ou pas… Tamara tu sais ce qu’il nous reste à faire…
- Oui commandante, il va bien falloir oindre le corps de votre Majesté… Tout le corps, alors on verra bien qui de Shéchana ou de Djezabelle a gagné. J’ai cru entendre un jour votre seigneurie dire que le diable se cachait dans les détails ?
- Bande de chipies ! Tamara, tu iras rejoindre Djezabelle pour la corvée.
- Bien, maître.
- Mais n’êtes-vous pas vierges ?
- Il y a bien longtemps que je ne le suis plus et si Djezabelle l’est encore, c’est qu’elle s’est promise à celui qui la vaincra à l’épée. Elle finira vieille fille… La pauvre.
- Ce n’est pas parce que je suis vierge que je ne peux rien faire. N’est-ce pas Tamara ? Maître, laissez-vous faire par vos humbles servantes… Amétys, Jade, Laïla et Choura devront passer leur tour pour cette fois.
- Oui, Saigneur des Seigneurs, vous verrez, à nous deux nous saurons remplacer vos quatre concubines. N’est-ce pas Djezabelle ?
- Décidément, je suis trop faible. Heureusement que mes hommes ne savent pas que vous me menez par le bout du nez.
- Non pas, Majesté, je dirai plutôt par le bout du nœud.
- Veux-tu te taire, Tamara. Je te trouve de plus en plus impertinente !
- C’est que je sais que vous aimez cela et que Jade veut quitter votre service pour un contrat d’amour avec un jeune guerrier. Il y aura donc une place de libre. Et tant qu’à être baisée, autant que ce soit par un Dieu. Faute de mieux… Je me contenterai de votre divine queue. Sur ces paroles, elle s’empala sur Samaël qui s’était couché sur le dos.
Il ne put répondre car Djezabelle était à califourchon sur sa figure, sa vulve offerte à la langue puissante du monstre débonnaire. Effectivement, elle avait gagné son pari. Même dans son fourreau le scramasaxe* de Djezabelle était plus court que le sexe de Samaël qui donna tant de plaisir à Tamara. Nul doute que très bientôt elle pourrait arborer le collier à cinq rangs de perles des Grandes Concubines. Samaël, bien qu’il s’en défendit, avait créé une nouvelle religion et elle avait vite prospéré. Car c’est bien connu, pour qu’une secte passe au statut de religion, il faut l’aval des femmes et les préceptes du Monstre avaient tout pour leur plaire. Il s’était pris au jeu et maintenant, il était à la tête d’une théocratie au territoire aussi vaste que celui d'un empire. Ses volontés avaient force de loi. Il faut dire que la sagesse de ses avis était reconnue de tous, même des plus sages des anciens. Mais qui aurait pu deviner son jeune âge, car Samaël n’était qu’un adolescent d'à peine douze ans, qui l'aurait su ? Personne, sauf peut-être les ambassadeurs qui venaient d’au-delà du Désert Caché…
***
Des ambassadeurs qui, au même instant, n'étaient qu'à trois lieux de la cité de toile. Huit tri-bosses* avançaient lentement parmi les dunes, trois seulement étaient montés, les cinq autres transportaient les bagages, l'eau et les provisions.
- Croyez-vous que cela soit prudent de nous avancer si avant dans cette mer de sable ? Demanda Hyppotarque.
- Si nous voulons détruire une bonne fois pour toutes le pouvoir de Thorv... oui, je le crois. Comme je crois qu’entre monstruosités, on peut se comprendre, répondit Al Nabul, juché sur les épaules de Zaïlia.
- Envoyer si rapidement une ambassade à l’autre bout du désert en faisant un si grand détour pour éviter les patrouilles et la forteresse des Servicis qui était aux frontières du territoire de Ligéris* et de la Vallée des Larmes*. Il n’y a vraiment qu’Argis pour avoir pareille idée. Mais je pense aussi que c’est notre seule chance, il faut agir vite, frapper fort et malheureusement nous n’en avons pas encore les moyens. Surtout si ce que tu nous as dit est vrai. Zaïlia finissait sa phrase en regardant avec intensité Hyppotarque, l’Augiares.
- _Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais nous sommes surveillés depuis cinq parasanges. Nos cerf-volants sont biens visibles, il faut dire que ce rouge est vraiment, vraiment…
- Très rouge ! Cria Al Nabul, coupant Argis.
- C’est la couleur des Samaëliens ou pas ?
- Tu as raison Argis, espérons qu’ils comprennent que nos intentions sont bonnes.
- Petit rat, on va quand même leur demander de se battre à notre place.
- Ce n’est pas une raison pour me traiter de rat ! Est ce que moi, je te compare à une truie ? ma très flasque Hyppotarque. Notre réconciliation est trop récente pour que tu sois désobligeante.
- C’est vrai… Excuse-moi, petit rat. Il y eut un silence et les trois femmes pouffèrent, puis ce fut un fou rire général.
Ils avaient préféré le tri-bosses, dont Zaïlia aimait la nonchalance, la somnolente allure, le pas berceur. Le tri-bosses, de la famille des camélis, avec ses six pattes était le véritable vaisseau des terres désolées et des déserts, une monture supérieure encore au chameau. Comme lui, il avait la même mine ridicule, il était aussi récalcitrant, avec des attitudes grotesques, une mauvaise humeur chevillée au corps, se plaignant quand on le bâtait ou le débâtait, en se levant et en se couchant, mais capable de toujours marcher sans manger ni boire, animal providentiel, fait pour le désert, pour la désolation de ces pays morts, de ces solitudes sans fin... La petite troupe riait toujours quand elle fut encerclée par une douzaine de cavalières montées sur des méharis. Samaël avait ordonné qu’en matière de surveillance et de protection des camps, il valait mieux laisser faire les femmes qui, par nature selon lui, étaient plus sérieuses, plus vigilantes et plus courtoises. Samaël estimait aussi que tout ennemi aurait tendance à sous-estimer une Samaëlienne. En cela, il avait bien retenu les leçons apprises parmi les Gn'eiss* de Ligéris chez qui il avait passé une partie de sa prime jeunesse.
- Salutations, Samaëliennes ! Nous venons de la nouvelle Ligéris et nous demandons une audience auprès de Samaël, votre roi.
- Salutations, habitantes de Ligéris, au nom de Samaël, le clément, le miséricordieux. Louanges à lui qui vous a pris en sa sainte garde. Mais nous n’avons pas de roi, nous n’avons qu’un guide qui vous attendait et il sera heureux de vous accorder hospitalité et protection.
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Camélis*: autre nom du tris-bosses*.
Pinsamort*: sorte de Scarabée géant vivant sous le sable meuble.
Caudalia*: boisson à base d'alcool et du sang de Samaël.
Canis*: reptile ressemblant à un loup.
Désert Caché*:
Scramasaxe* : Les scramasaxes ou saxes ou Breitsax* sont des couteaux longs affutés d'un seul coté sur les deux tiers de la lame, qui pouvaient être utilisés au combat. Leur origine n'est pas très claire.
Ligéris*:
La Vallée des Larmes*:
Gn'eiss*:
Thorv*:
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