L’oasis.
Ce massif de pierres ponce vitrifié, était comme une mer perdue, qui se serait avancée inutilement dans un impénétrable désert.
Au-dessous de ce ciel, à l'autre bout de l’horizon, rayonnait une chose invraisemblable et merveilleuse, qui était la chaine des monts de Sabadeille del Gallamiel ; des montagnes qui étaient extrêmement loin et qui pourtant semblaient si proches, tant étaient nettes les dentelures de leurs sommets : on aurait dit une haute courtine crénelée de corail rose, finement zébré de pourpre. Elle se dressait sous le ciel pour fermer tout l'Orient de la Terre. Et derrière il y avait un grand fleuve et des villes comme Mébesh, Hiru Iturriak ou encore Tagurxch.
Et tout compte fait la sortie du labyrinthe, avec sa petite oasis déserte était un coin de paradis qui méritait bien qu’on s’y attarde.
Samaël, tout comme la Guilde, pouvaient bien attendre.
J’avais en tant que roulier acheté au prix fort à ce coquin de Bernard, cette piste abandonnée depuis des centaines d'années, car traverser ce dangereux dédale sans un plan était inconcevable, même mes bio-drones en auraient perdu leur latin. Bernard ne m’avait volé ni sur la valeur de l’itinéraire ni sur le travail accompli sur mes iŭga, et si elles ne se considéraient plus comme telles, c’était entièrement ma faute, comment aurais-je pu savoir qu’Antje était polyglotte ? Comment aurais-je pu savoir que Chiendri connaissait les us et coutumes des Hors-Loi ?
Mes femmes, car elles s’étaient arrogé ce titre, arrivaient à notre gourbi, elles revenaient de la source et de la cascade tout près. L’une portant sur l'épaule un vase aux formes antiques, l’autre une corbeille de fruits, toutes deux marchaient vers moi avec des allures de caryatides.
Nous avions élu domicile dans d’anciennes ruines indigènes, elles se devinaient dépassant du ras du sol, reste d’une misérable habitation, faites d'un bas mur presque circulaire de pierres sèches que j’avais relevé et recouvert d’une toile épaisse. Quand je leur avais dit que tout compte fait on pourrait rester ici, plus longtemps qu’une ou deux journées, les filles avaient vite nettoyé le lieux. Leur enthousiasme n’eut d’égale que le confort qu’elles surent apporter à notre demeure provisoire, pour un peu j’aurai pu dire : un vrai petit nid d’amour.
Nos camélis, sur un mamelon, broutaient une herbe rare et sèche qui tachait le sol de place en place, çà et là, quelques palmiers, quelques pommiers du désert leurs prodiguaient une ombre maigre. Leur long cou, leurs six grandes pattes et leur corps bossus se détachaient en vigueur sur un ciel toujours bleu.
C’était l’heure du repas et cela serait encore du couscous. Depuis que je leur avais donné la recette dans une petite conférence culinaire, et il est vrai que mes esclaves avaient d’énormes lacunes dans cette matière, j’en mangeais à tous mes repas ou presque. Ce soir je leur expliquerai comment faire un tajine. Quoiqu’il en soit je savais qu’elles étaient heureuses de ne plus ingurgiter de cycéon. Maintenant elles avaient droit à la même nourriture que moi.
Je dois dire aussi que j’avais largement gagné au change. Car tout compte fait, avant, quand elles n’étaient que de simples iŭga, c’était moi qui m’occupais d’elles, vu que je ne les considérais que comme des animaux de trait. Maintenant c’était de moi qu’elles s’occupaient, toutes ces centaines d’années à vivre seul, sans avoir pensé à m’adjoindre un petit harem ! il fallait vraiment que je sois le dernier des cons.
Même What, était heureux d’avoir deux jeunes femmes qui s’occupaient de lui, elles l’épouillaient et lui retiraient les tiques plus souvent que moi, elles lui lissaient les plumes et lui faisaient des gratouillis.
Perdrix des sables, pyramide de semoule, pois chiche, le tout arrosé d'une sauce rouge à base de piment, présenté dans ma rondache qui faisait office de grande poêle. Je regardai longuement le plat :
- C’est bien, je ne vous tuerai pas !
- Pourquoi nous dire cela maitre ?
- Le couscous est une religion, et je leur relatai une histoire connue en Algérie et en Tunisie qui racontait qu’un chef de tribu menaça sa femme, fraîchement convertie à l’islam, de la tuer dans le cas où elle serait incapable de préparer ce plat, pour elle encore inconnu. Si Antje, comprit rapidement de quoi je parlais, il n’en fut pas de même pour Chiendri, heureusement elle n’était pas sotte.
Nous mangeâmes ensemble à même le bouclier, n’utilisant que nos mains, buvant au même goulot le vin de palme d’une amphore bien trop grande. Et avant de sombrer entre les bras de deux succubes j’eu juste le temps de dire que demain il faudrait que je les instruise de leur future.
Au moment où j’allais perdre conscience de toute chose, étendus dehors, sous les brillantes étoiles, sur le sable endormeur, mon roojas veillait dans un absolu silence.
Au moment où je m'éveillai, les clochettes devant l’entrée sonnaient au vent, en vibrations d'argent. Puis, je reperdis conscience de tout, jusqu'à l'heure où je vis filtrer, au travers du voile servant de porte. Les silhouettes nues de mes esclaves étonnamment nettes sous une implacable lumière blanche, l’heures était délicieusement fraîches, le matin calme.
***
- Bon les filles il faut que je vous parle. Alors écoutez moi. Comme vous l’avez compris vous n’êtes plus des iŭga, mais vous restez mes esclaves. Comme vous l’avez aussi compris, vous êtes des armes. Mais je veux plus que cela. Je veux que vous soyez des guerrières. Vous avez conservé la force des iŭga, une force surhumaine et une agilité de féline. Votre cerveau est étrangement resté intact. C’est pourquoi j’ai fait graver dans votre chair le Sceau de Possession Suprême du Hors-Loi. Comme vous avez pu le constater vous n’avez plus, ni collier, ni bracelets, ni anneaux de toutes sortes. Mais cela ne va pas durer. Tout d’abord, je vais vous appliquer un traitement un peu différent que celui de Rachel, puis vous porterez un torque, qui aura la particularité d’être une sorte de téléphone et de caméra, Antje tu expliqueras tout ça à ta copine. Pour mon plaisir, et pour le vôtre j’espère… je vous mettrai un piercing sur la langue et un autre au clitoris. Je serai votre maitre d’arme et je vais vous entrainer comme des soldats d’élite. Ici c’est l’endroit idéale, personne ne viendra, personne ne nous attend. Nous avons assez de nourriture et cette petite oasis est pleine de ressources. Vous allez en baver mais c’est le prix à payer pour toutes mes largesses. Ce n’est pas tout, Antje, je connais tout de toi, tu es une fille de cocon, et Bernard m’a donné la micro-puce qu’on t’avait implanté dans le corps, tu es la Antje, l’unique Duchesse Antje Baeckelandt, alors pour ta sécurité, et la nôtre, tu devras changer de nom. Je t’expliquerai. Sur ce, rompez bleusaille ! aujourd’hui vous avez quartier libre. Moi je vais me recoucher, cette nuit, vous m’avez épuisé.
***
Antje et Chiendri étaient assises sur un gros rocher vert et lisse. Leurs pieds dans l’eau cristalline battaient une mesure imaginaire. Teixó devait dormir, aussi elles considéraient avoir quartier libre.
- Chiendri tu te rends compte, la nuit dernière, il nous a fait l’amour. Il ne nous a pas baisées.
- C’est vrai ce que tu dis, c’est la première fois qu’un homme prend soin de mon plaisir. C’est donc ça faire l’amour ?
- Oui c’est cela faire l’amour. J’ai encore plus joui qu’avec Morsus le chien du carrousel.
- Tu sais que tu es une grande malade ?
- Oui, je sais, c’est mon côté maso.
- C’est quoi maso ?
- C’est vrai, tu ne peux pas comprendre.
- Je ne suis pas idiote et on a le temps, alors explique moi.
- C’est vrai qu’on n’a jamais trop parlé de plein de choses, on était soit abruties de fatigue, soit on portait un mors. Sœurs de chaine, oui mais trop souvent silencieuses et puis si je t’avais dit d’où je viens, jamais tu ne m’aurais cru. Mais maintenant, vu ce que j’ai plus ou moins compris sur notre maitre, vu ce que tu m’en as dit, je pense que tu es prête à certaines révélations.
Une légère brise irisa la surface du bassin. Chiendri prit de l’eau au creux de sa main pour s’en asperger. Puis elle demanda.
- Tu crois que Teixó nous autorisera à nous laisser repousser les cheveux ?
- Il a dit que nous étions ses armes, tu as vu comment il prend soin de ses sabres et de son roojas ?
- Oui.
- Eh bien, je crois qu’il en sera ainsi pour nous. Donc pas de souci, il fera en sorte que nous soyons toujours à notre avantage. Même si par moment, il jouera à nous faire peur, histoire de ne pas perdre la face, alors on fera semblant de trembler.
- Tu as raison Antje. Mais continue tes explications sur maso et le reste.
- Je t’ai dit que je venais d’un autre pays, pour sûr c’est vrai mais ce pays n’est pas sur Exo.
- Pas sur Exo ?
- Tu vois la nuit ? toutes ces étoiles qui brillent ? et bien toutes ces étoiles sont comme notre soleil et je pense qu’il y a des dizaines d’Exo qui tournent autour de tous ces soleils. Exo est une planète, c’est le nom qu’on donne à ces astres. Je viens de l’un d’entre eux que l’on appelle Terre. Seul Teixó pourrait te montrer le soleil d’où je viens.
- Et tu es une vraie Duchesse ?
- Oui une vraie, et tu ne peux même pas avoir idée, ni de la richesse ni de la puissance de ma famille. Je parle huit langues, j’avais des gardes du corps, des chaussures qui pouvaient couter plus cher qu’un tribosses, des montagnes de vêtements et de bijoux.
- Mais alors comment tu t’es retrouvé ici et comme une vulgaire iŭga ?
- Alors ça mystère ? mais je compte bien le demander à notre maitre. Tout ce dont je ma rappelle, c’est d’être entrée en clinique car même si j’étais riche j’étais très malade et pour ainsi dire mourante. Et puis plus rien jusqu’à mon réveil dans un cachot de la Civitas.
- Et comment es-tu certaine qu’Exo n’est pas ta terre ?
- C’est simple ici il y a deux lunes et en plus elles sont grandes, chez moi il n’y a qu’une lune et elle semble ou plus petite ou plus lointaine.
- Ahhhh ! donc ta maladie c’était « maso » ?
Antje se leva et plongea, après quelque brasses elle se hissa ruisselante de bonheur sur le rocher.
- Mais non, maso c’est le petit nom de masochiste, une maladie de la tête. C’est éprouver du plaisir quand on te fait du mal et quand on te traite comme un animal.
- Alors sur Exo tu as dû avoir beaucoup de plaisir.
- Oui parfois, mais c’est plus compliqué, pour moi, ce n’est pas le simple fait d’avoir mal qui déclenche le plaisir, il faut aussi être humiliée et qu’il y ait un acte sexuel, c’est pourquoi j’avais du plaisir avec Morsus et encore plus quand en même temps je devais sucer le garde.
- Moi qui croyait que tu étais volontaire pour m’épargner cette cruauté, je te prenais pour une sainte une adepte de Messi.
- Ne rie pas, il y a un peu de cela, tu sais j’ai beaucoup à me faire pardonner, surtout envers les gens te ta race.
- De ma race ?
- Oui les noirs de peau.
- Je ne comprends pas.
- Dans mon pays beaucoup vous considèrent comme inférieur, moi-même j’étais de ceux-là.
- Sur Exo, cela ne marche pas comme ça. C’est l’argent, le pouvoir, les armes qui dictent ta place.
- Chez moi aussi, sauf qu’il y a peu de noirs qui peuvent obtenir ne serait-ce qu’une des trois conditions. Mais mon pays est quand même à part.
- Le maitre Teixó a aussi dit que tu m’expliquerais « Une sorte de téléphone et de caméra ».
- Alors pour le téléphone c’est simple, c’est comme si on pouvait se parler comme maintenant, mais toi tu serais à Katakata et moi ici.
- C’est de la magie ?
- Non de la science.
- De la science ?
- Oui c’est comme la magie, mais sans que les dieux, les génies, les sorcières ou les sorciers y soient pour quelque chose. C’est comme ce qu’a fait Maitre Bernard sur nos peaux, ou ce qu’a fait maitre Teixó contre les Greenheads. Cela s’appelle la science.
- C’est donc plus puissant que la magie ?
- Oui, sauf que la magie cela n’existe pas.
- Si tu veux, mais pour moi c’est quand même de la magie. Et caméra ?
- La caméra c’est comme le téléphone sauf qu’en plus… tu es à Katakata je t’entends tu m’entends mais en plus je vois ce que tu vois et tu vois ce que je vois.
- Et tu dis que ce n’est pas de la magie ? De toute façon il faut que tu comprennes une chose… sur Exo les gens comme Maitre Teixó sont considérés comme des Rois Démons et les Démons utilisent la magie.
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