L'histoire sans fond [δ]
Un vent léger, une odeur de sel et de soleil qui dorait les herbes folles, la salicorne les racines dans l’eau et les immortelles cachées derrière les tamarins éternels. Il y avait un petit chemin de terre, de coquilles d’huître et de débris de tuiles ocre qui serpentait habillement entre les arêtes des marais salants. Le ciel ne bougeait plus depuis le début de la matinée et l’horizon brumeux assiégeait le labyrinthe que les chenaux et les écluses sculptaient. On regardait la marée imbiber le varech asséché, recouvrir le ciment des digues et annoncer le retour des pécheurs.
C’était un été aux parfums de rêves et de nostalgie. Un été suffoquant qui dessinait des frissons sur sa peau marbrée de vase. Des croûtes de sel se formaient sur ses mollets à peine sortis du chenal où elle venait de pêcher trois crevettes grises et un crabe dormeur. Son chapeau de paille était bien trop grand pour sa petite frimousse enjouée. Ses yeux bleu clair étaient voilés par le quadrillage qu’imprimaient les rayons du soleil sur son visage d’enfant. Des lèvres sèches, un petit nez écorché et une algue morte collée sur sa joue gauche, elle riait en entendant un avion traverser le zénith de son île. Engloutie dans une vase poisseuse jusqu’à ses genoux, sa silhouette allongée et maigre de gamine se distinguait difficilement des piquets en bois plantés ici et là. Son épuisette servait maintenant de cane de fortune. La jeune fille jura comme un loup de mer en glissant sur la digue, se râpant son genou osseux jusqu’au sang. Ses pieds nus laissaient bientôt des empreintes menues qui grimpaient vers l’écluse et disparaissaient sur les pédales de sa bicyclette verte.
À l’horizon, le village faisait la sieste. C’était un été doux aux accents de fin du monde où le silence de la mer apaisait les petites filles et stimulait leur imagination. Elle chantonnait en inspirant lentement. Un voilier blanc se laissait deviner derrière la digue dans la baie bleue aux reflets argentés. Le sentier était semblable au dos d’un crocodile. Un chaos mal apprécié fit choir son petit carnet lie-de-vin de la poche ventrale de son gilet décousu. Il tomba prêt d’un vieux pneu crevé.
Au soir, un vieux saunier pirate qui portait un sac de sel découvrit cette relique singulière à ses pieds. Il posa son labeur, se saisit de son trésor et l'ouvrit au hasard.
Une page griffonnée lui laissa alors découvrir des mots raturés qui racontaient une histoire.
Il plongea dans sa lecture...
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