Chapitre 1
On dit que les souvenirs sont les plus belles choses que l’on puisse garder et les seuls que nous emporterons après notre mort. Je suis d’accord avec la seconde affirmation.
À force de ruminer, je suis remonté à l’un de mes plus vieux souvenirs d’enfance. Ma sœur et moi jouions tranquillement dans le jardin. Il faisait beau mais l’herbe était tout de même légèrement humide. J’étais le plus heureux de tous les enfants, ma mère avait enfin fait ce qu’elle avait promis. Elle m’avait mis de côté tous les vêtements qu’elle n'utilisait plus, j'ai couru le plus vite que j’ai pu pour aller chercher la fameuse boîte à couture et tous le matériel dont j’avais besoin. J’ai imprimé des patrons, et j’étais fin prêt, j’allais créer ma toute première collection. Enfin c’était ce que je me disais, je pris une poupée sans demander l’accord à ma sœur et découpa le tissu usé, pensant que cela pourrait donner la plus belle des robes que cette Barbie n’a jamais connu. Ma sœur était en train de courir, de sauter et de se rouler par terre, pendant que moi, je lui confectionnais la plus belle des surprises que je pouvais lui faire à cette époque. Une heure était passée depuis que je m’étais mis au travail, j’avais presque fini, il ne restait plus que quelques points de couture. Soudain ma sœur est arrivée en courant dans le salon, les yeux pleins de larmes. On pouvait les voir couler par dizaines sur ces petites joues rosie par les émotions.
-Maman ! J’ai perdu Suzie !
Inutile de préciser que Suzie était le jouet préféré d’Emy, et qu’elle ne l’avait pas perdu. Sa poupée était entre mes mains, rien de plus…
-Ne t'inquiète pas ma chérie, on va la retrouver. Sèche tes larmes, sinon tu n’arriveras pas à la voir avec toute cette eau dans tes yeux, dit-elle en rigolant.
Emy prit sa remarque profondément à cœur, s'essuyant les yeux et cessant aussitôt de pleurer. Temporairement, je mis de côté mon projet, observant par la grande baie vitrée du salon ma sœur et ma mère qui cherchaient en vain Suzie. Pendant cette contemplation, je réalisais pour la première fois à quel point elles étaient semblables. Toutes deux brunes, avec le même grain de beauté sous l'œil gauche, des mimiques identiques et j’en passe. En revanche, je ne ressemblais ni à mon père ni à ma mère.
-Mon cœur, tu n’aurais pas vu la poupée de ta sœur ?
-Je la lui avais emprunté.
-Et ça t’es pas venue à l’esprit de nous le dire plutôt que de nous regarder chercher?
-Si, mais je voulais finir ce que j’étais en train de faire…
-Tu lui as au moins demandé si tu pouvais l’emprunter?
-Non-maman…
-Donne-la-moi maintenant.
-Non je n’ai pas fini !
-Tu avais tout le temps de finir quand tu nous observais chercher inutilement. Pourquoi tu ne pouvais pas simplement lui demander, tu nous aurais évité de perdre notre temps et de faire pleurer ta sœur.
-Si j’avais demandé elle m’aurait dit non.
-De toute manière c’est son jouet, tu en as plein d’autres…
Ma mère s’empressa de me prendre la poupée des mains et de la donner à ma sœur sans remarquer la nouvelle tenue que je lui avais confectionnée. Ce n’était pas grand-chose, une simple robe. Mais cela signifiait déjà beaucoup pour moi. Ma sœur, contente de retrouver sa Suzie, mais apeurée de la retrouver dans une tenue autre que celle de départ. Elle se dirigea vers moi et me réclama sa tenue.
-Donne-moi la robe de Suzie !
-Tu n'aime pas sa nouvelle robe ?
-Non! Elle n’est même pas rose ! Je veux sa robe !
-Tu veux pas lui laisser celle-ci ?
Ma sœur ne réfléchis pas davantage, elle lui arracha le vêtement que je lui avais confectionné et se mit à hurler de plus belle. Tandis que j’avais les larmes aux yeux, ma mère se rendit dans le salon a son tour.
-Que se passe-t-il encore?
-Olivier ne veut pas me rendre la robe de Suzie!
-Mais elle en avait une tout à l’heure. Pourquoi tu lui as enlevé sa robe Olivier?!
-Je ne l'ai pas enlevé, cette robe c’est celle que j’avais cousu…
-Alors pourquoi elle se retrouve sans rien?
-Emy l’a arraché !
Ma sœur, comme beaucoup d’autres enfants à cet âge là, était douée pour amadouer les adultes, elle se mit à pleurer toutes les larmes de son corps, puis dis :
-C’est même pas vrai!
-Bon Olivier donne lui sa robe, ça suffit maintenant!
Je donne le vêtement à ma sœur sous la peur que ma mère s’énerve davantage.
-Bon, Oliver reste sage s’il te plaît. J’ai encore beaucoup de choses à faire…
Quelque instant après ma soeur revenait et me dit :
-Papa a raison.
-De quoi parles-tu ?
-Maman voulait t’offrir une poupée, mais papa dit non.
-Pourquoi ?
-Je ne sais pas. Demande à maman.
Je n’ai jamais demandé à ma mère des explications. Je ne l’aurais jamais fait d’ailleurs. Mais j’en ai tout de même eu. Le soir même, lorsque mon père était rentré, j’ai entendu mes parents chuchoter.
-Est ce qu’on pourrait reparler de ce que je t’avais dit hier soir? Dit ma mère.
-Je t’ai déjà répondu.
-Mais il y a quoi de grave là-dedans, ce n’est qu’une poupée.
-Qu'est-ce qu’il y a de grave! Mon fils ne joue pas à des jeux de filles, un point c’est tout.
-Mais pourquoi ?!
-C’est mon seul et unique fils, c’est aussi le seul qui pourra un jour transmettre notre nom de famille!
Je n’avais compris que trop tard ce qu’il voulait dire par là. Pourtant je n’ai jamais cessé de vouloir travailler dans ce domaine. Et au fond, je crois que j’en ai toujours voulu à ma sœur. Pourtant je l’aime, mais je me suis toujours dit que si ma mère avait vu ce dont je suis capable, elle aurait pu enfin croire en mes capacités… Pourtant je ne demandais que ça, qu’on croit ne serait-ce qu’un petit peu, en moi.
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