Chapitre 2
Réaliser son rêve est la plus belle chose qui puisse arriver, en tout cas c’est ce que je pensais.
J’avais beau essayer, je n’ai pas pu fermer les yeux de la nuit. Jamais je n’ai été aussi angoissé pour un simple rendez-vous. Un peu comme si cet entretien allait changer ma vie. Après tout c'était le cas, ma vie allait peut-être prendre une toute autre tournure après cette entrevue.
Je décidai donc de mettre ma plus belle tenue, ainsi qu'un chapeau que j'avais fait moi-même. Je m'étais fortement inspiré de la Reine de cœur, histoire de montrer ce dont je suis capable. Et pour accompagner ce joli chapeau, j’avais glissé une rose rouge dans la poche extérieure gauche de mon costume. Quand j'étais enfin prêt, j'enfilai mes chaussures pour partir de chez moi. Avec un peu d'avance, bien sûr. Car c'était connu que la femme à qui appartenait la boite était très pointilleuse sur l'horaire. On dit même qu'elle aurait licencié ceux qui seraient arrivés avec quelques secondes de retard. Suite à cela, plus personne ne les aurait vu dans le monde de la mode. Il se pourrait bien que Mme Alice ait plus d'influence que je ne le pensais.
Il est hors de question que cela m'arrive. Je parlais comme si j'étais embauché, c'est vraiment stupide… Bon ! Soyons positifs, je vais y aller tout de suite, ce qui donnera une bonne première impression, puis je passerai l'entretien, et là, ça sera ma seule chance, ma seule et unique chance d'avoir enfin ce dont je désire par-dessus tout. Je veux me faire un nom. Et je veux le faire à travers cette marque, pas une autre. J'ai toujours eu ce besoin, laisser une trace de mon passage. Je le sens au fond de moi, je dois le faire. Je sais que j'en suis capable et je le prouverais. Et cela me permettra enfin d'être bien avec la personne que je suis.
En sortant de chez moi, le soleil tapait. Pas un seul nuage en vue, pourtant il ne faisait pas trop chaud, c'en était même agréable. Au bout de moins de deux petites minutes de marche, je passais dans un charmant parc pour enfants. Et dire que je passerai ici tous les matins et tous les soirs si je suis embauché. Cette balade me rappelait tous les moments passés avec ma sœur quand nous étions plus jeune.
Au même instant où je me remémorais ces agréables souvenirs d'enfance, je sentis l'odeur du lilas. Ma mère avait un parfum qui sentait exactement pareil. Ces souvenirs me rendaient nostalgique. J'étais à un tel point enfermé dans mes pensées que je n'avais même pas remarqué que j'étais arrivé devant la boutique.
Le stress envahissait tout mon corps. Mes mains n'arrêtaient pas de trembler. J'avais cette boule à l'estomac, qui me faisait croire que j'allais rendre tout ce que j'avais mangé ce matin. J'en hésitais même à entrer, j'avais cette impression, ou plutôt cette habitude, que j'allais échouer. Comme quand j'étais enfant et que je devais passer au tableau devant tout le monde. Il fallait y aller, comme il fallait que je passe à travers cette porte. Aujourd’hui pourrait être le jour plus important de ma vie. Et il était temps que j'arrête au moins une fois dans ma vie de me dégonfler continuellement. Je commençai à rentrer dans la boutique, et dès mon arrivée, Alice esquissa un sourire en me saluant :
– Bonjour, il est agréable de voir qu'il y a encore des personnes qui sont pile à l'heure dans ce monde.
C'était Alice, enfin, la patronne de la boutique. Elle était encore plus fabuleuse en vrai, elle avait une robe bleu ciel, ses cheveux étaient blonds et légèrement ondulés, ainsi que de jolis yeux bleus. Elle portait sa fameuse veste à poils blancs, comme le lapin*1. Cette veste a peut-être été faite en fausse fourrure, mais en regardant de plus près, j'en doute. Vu la qualité, cela ne pouvait qu'être de la vraie fourrure.
1 : Référence au lapin d'Alice au pays des merveilles.
Cela me faisait mal au cœur pour tous les petits lapins qui y auraient laissé leurs peaux. Elle avait aussi une montre à gousset en or à la main. Ce qui avait une certaine classe, une élégance même. Car plus personne n'en porte aujourd'hui, et c'est normal, on a toujours nos téléphones sur nous, mais une bonne vieille montre à gousset, ça a toujours un certain charme, que je ne saurais expliquer. Puis je réalisais, pile à l’heure. Mais comment ça, pile à l’heure? J’avais mis tant de temps à hésiter devant l’entrée?
- Bonjour, je m'appelle Olivier Bérant et…
Je n'avais même pas eu le temps de terminer ma phrase, que la femme me coupa la parole.
- Oui, je sais qui vous êtes, le temps passe. Nous allons passer à l'entretien, venez.
Je la suivis, mon cœur battant plus fort à chaque pas. La femme, imprégnée du parfum enivrant des roses, dégageait une assurance qui emplissait la pièce, la rendant encore plus imposante. La patronne me fit entrer dans ce qui devait être son bureau. Il embrassait parfaitement l'univers du pays des merveilles : des roses rouges, éclatantes comme des rubis, étaient délicatement disposées, embaumant l'air d'une fragrance enchanteresse. Derrière le fauteuil de la patronne, une gigantesque glace reflétait l'espace, ajoutant une touche de mystère digne de «Alice de l'autre côté du miroir». Une collection de tasses aux teintes éclatantes était méticuleusement rangée dans une vitrine, chaque couleur racontant une histoire unique. Une magnifique théière posée sagement sur un plateau d'argent qui se trouvait sur son bureau. L’odeur apaisante du thé se diffusait dans la pièce. Malgré la présence imposante de rose qui pouvait sembler excessive à certains, cette couleur s'harmonisait avec une grâce inattendue à l'univers féerique qui m'entourait. Cet endroit semblait être une extension naturelle de ce monde merveilleux.
– Une tasse de thé ?
– Oui, volontiers.
Je me suis dit que refuser aurait été mal poli. Elle me servit gracieusement et posa la tasse en face de moi. Et il est vrai que c'est agréable ainsi que rassurant d'être accueilli avec une bonne tasse de thé bien chaud.
- Voilà, nous pouvons enfin commencer. À vrai dire, votre cv est remarquable. Il est vrai que l'on peut ressentir votre passion pour la mode à travers vos créations. En revanche, qu'est ce qui me dit que votre travail fusionne à merveille avec l'univers de la boutique ?
Je me sentais perdu, était-ce une question piège ? Je n'en avais absolument aucune idée.
- Depuis tout petit, je suis fasciné par ce monde. J'ai toujours dû refouler une partie de moi-même. Et voir cet univers entièrement dépourvu de sens, cette « réalité » abstraite dans laquelle chaque personnage est ce qu'il est, qu'il soit un chapelier complètement fou, un lapin courant après le temps, une reine coupant la tête à tous ceux qui lui désobéissent, ou bien encore des cartes étant des soldats pour cette même femme… Ils ont tous un rôle, ils sont comme ça ! Et personne ne se pose de question.
- Et bien, votre réponse est vraiment intéressante, mais au final, elle ne répond pas réellement à ma question. Est-ce que vos futures créations fusionneront à merveille avec l'univers de la boutique ? Votre imagination est-elle faite pour que vous puissiez être employé ici ? Admirer ne suffit pas, votre imagination et votre travail doivent parfaitement fusionner avec l'univers de la boutique.
Il est vrai que j'avais du mal avec ces questions, mais elle avait l'air de tenir au fait que sa boutique doit être une réplique parfaite d'Alice au pays des merveilles. En même temps, c'était le nom de l'enseigne.
-Excusez-moi, mais le temps presse…
C'était l'entretien d'embauche le plus bizarre que j'ai eu de ma vie. Cette femme ne posait pas les questions habituelles et elle ne faisait preuve d'aucune patience. Je ne pouvais pas répondre de manière professionnelle. Il fallait simplement que je dise ce que je pense sincèrement. Je ne voyais que cela.
L'univers d'Alice est tout simplement fait pour moi, il ne se fera jamais remplacer par quiconque, c'est comme si mon avenir était prédestiné à faire de moi un acteur de ce monde. Cet univers colle parfaitement avec mon idéologie de l'art. Il n'y a pas de limite imposée et je compte bien m'en servir pour créer ainsi que réinventer la mode.
Bon… je sais ce que vous vous dites, cher lecteur, j’exagère… Mais j'espère réellement que cela fonctionnera.
– Vous avez le poste.
À ce moment précis, je n'étais plus dans mon corps, j'étais heureux. J'étais heureux ? Cela faisait tellement longtemps ! J'avais le droit d’éprouver ce sentiment ? J'avais le droit au bonheur ? Est-ce que j'avais mal entendu ? Trop de questions me traversaient l'esprit.
– Vous êtes encore là ? Vous allez bien ?
– J'ai réellement le poste ?
– Oui, vous avez l'air motivé et vous avez réussi à vous démarquer grâce à vos expériences professionnelles. Vous avez l'air d'avoir un attachement particulier à cet univers, et puis, je n'ai actuellement personne sous la main, donc, nous verrons bientôt ce que vous valez. Donc gardez bien à l’esprit que vous devez faire vos preuves.
Pour être franc, je ne trouvais pas son attitude professionnelle. Elle était bien trop directe. Mais je m'en fichais, j'étais pris. J'allais devenir quelqu'un. Je pouvais enfin être fier de moi.
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