Chapitre 6
Le moment était enfin venu pour moi de dormir, mais pas de me reposer.
Depuis des années, il m’arrive de faire ce rêve. Une véritable odyssée nocturne qui se répète inlassablement. Les contours du rêve se dessinent avec une précision presque déconcertante, comme si je revivais cette journée. J’étais dans ma chambre, toujours avec un projet en tête, dessinant des nouveaux modèles jusqu'à ce que la fatigue m'envahisse. J’écoutais en boucle “You and me” de Marshmello. Ce morceau à duré toute mon adolescence, j’étais fou amoureux de Diane, c’était ma muse et cette musique exprimait exactement ce que je ressentais. Malheureusement elle a déménagé après sa seconde et ne m’avais jamais calculé, pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé. J’avais même parlé à sa meilleure amie Hannah, mais qui était bien trop occupée avec les garçons pour se soucier de mes sentiments. Durant cette période j’étais en terminale et je confectionnais mes propres vêtements. Ma mère aimait beaucoup, au moins elle n’avait pas besoin de m’acheter de nouveaux habits, elle devait juste me procurer des rouleaux de tissus et je me débrouillais. Je faisais de même pour ma sœur, mais bien sûr elle ne les portait pas. La seule fois où elle avait porté une de mes créations c’était pour son percent, elle avait besoin d’une robe de soirée et n’avais pas beaucoup d’argent. J’étais la solution de secours, comme je l'avais toujours été. Seul mon père n’a jamais trouvé son compte là dedans. Il n'approuvait pas mes choix de vie.
Le soir où j’ai appris le départ de Diane, je m'enferma dans ma chambre pour pleurer à chaudes larmes. Je croyais que j’allais mourir, que plus jamais je ressentirais toutes ces émotions intenses qu’elle provoquait chez moi au quotidien. Je pensais ne plus jamais connaître le cœur qui s'emballe, les papillons dans l’estomac et cette joie de vivre unique. Les jours qui ont suivi cette révélation ont été sombres. Mon univers semblait s'effondrer, emportant avec lui mes rêves de jeunesse et mes espoirs d'une relation avec Diane. Les nuits étaient remplies de cauchemars les plus horribles les uns que les autres, me rappelant sans cesse la déception d’un amour non réciproque. Et pourtant c’était le plus bel amour que j’ai eu la chance de vivre, les émotions acharnées, le désir, l’espoir, l’attente et la distance qui stimulent l'imagination et créent une fascination particulière. Souvent cela se termine par un chagrin, encore plus puissant que tout ce que nous avons pu ressentir auparavant. Mais cela en vaut la peine, même si je l’ai compris bien trop tard.
Ma mère, comprenant ma détresse, frappa doucement à la porte. Je ne lui avais jamais parlé de mon coup de foudre pour cette fille. Pourtant elle avait deviné, elle a toujours eu ce don pour sentir ce que les autres ressentaient et faisait tout pour nous aider, malgré son emploi du temps chargé. Mais même ma propre mère ne pouvait apaiser le chagrin causé par le départ de Diane. Elle entra silencieusement, et sans un mot, elle me prit dans ses bras. C'était un langage universel de réconfort, et bien que mes larmes continuaient de couler, je me sentais un peu moins seul. Contrairement à mère, mon père n’avait pas pris la peine de toquer à la porte et rentra directement sans faire aucun ménagement. Son attitude méprisante ajoutait une tension supplémentaire à mon chagrin.
-Que ce passe-t-il encore ? dit-il, l'air agacé tout en me dévisageant.
-Laisse le un peu, tu ne vois pas qu’il est au plus mal.
-Il y a toujours quelque chose qui ne va pas avec ce gosse…
-Victor! réprimanda ma mère.
-Qu’est ce qui ya alors ? Une fille l’a repoussé ? En même temps, aucune femme ne voudrait d’une fillette telque lui.
Je sentais une boule de rage se former dans ma gorge, au point d’obtenir le goût du sang dans ma bouche. Je ne contrôlais plus ce que je ressentais, la douleur s’était peut-être éclipsée mais elle avait laissé place à un véritable fléau. Je me leva et regarda ma père droit dans les yeux avant de dire :
-Je ne suis peut-être pas un homme, en tout cas pas comme tu le souhaites mais si tu crois que tu en es un, tu te trompes.
Pour la première fois, mon père s’était tus. Mais ses actes étaient bien plus terribles que tous les mots qu’il aurait pu dire. Je l’avais effectivement blessé et ce pour la première fois. Je pensais avoir gagné, mais j’étais loin d’imaginer ce qui allait se produire ; dans le plus grand des calmes, mon père s'avança vers ma machine à coudre flambant neuve. Celle dont toute ma famille s’était cotisé pour mes 18 ans. La pris en main et à ce moment-là je compris. Je quitta les bras de ma mère et fonça sur mon père pour la lui arraché. Avant que je puisse faire quoique ce soit, il la jetta du plus fort qu’il pouvait. Ce qui provoqua l’inévitable, elle éclata sous nos yeux, faisant au passage un impact dans le sol. Ma mère dévisagea l’homme que j’appelle aujourd’hui Victor, comme si elle essayait de comprendre, d’assimiler ce qui s’était passé. Nous étions tous les trois sous le choc. Mais aussi surprenant que ce soit, Victor était le plus troublé d’entre nous, puis quitta la pièce sans un mot. Emy sous la curiosité provoquée par le bruit de la machine, monta et nous regarda tous les deux, mais ne disait rien. Puis, ma mère me pris une nouvelle fois dans ses bras, tout en se retenant de pleurer et me dit :
-Désolée.
Ses excuses aussi sincères qu’elles pouvaient être, n’ont servi à rien. Ce n’était pas elle qui devait se faire pardonner quoi que ce soit et je ne pouvais plus être sous le même toit que ce monstre. Ayant le bac en poche, je n’ai pas réfléchi plus longtemps, je pris le peu d'affaires dont j’avais besoin et suis parti. J’avais un compte qui aurait pu m’aider à acheter une maison ou bien une voiture plus tard, mais je l’utilisa afin de partir et de vivre mon rêve pleinement. Sans un mot je sortis de la maison avec mon sac à dos et ma valise, ayant un gros vide dans mon cœur. La porte claqua derrière moi, marquant la fin d'une époque.
Voici le rêve qui tourmente mes nuits depuis de nombreuses années, une condamnation à l'image de celle de Sisyphe.
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