Chapitre 9

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Du plus loin que je me souvienne, on m'a toujours dit que le travail, c’est la santé.

Le lendemain, j'étais de nouveau en avance pour pouvoir prendre le thé avec Mme. Alice, il est vrai que j'ai tendance à oublier que c'est ma patronne. Elle est si gentille, tout le monde l'appelle Mme. Alice plutôt que par son nom de famille, et son bureau est tellement accueillant. On n'a pas peur d'y entrer ou d'y apprendre une mauvaise nouvelle comme avec les autres patrons, où dès lors qu'on est convié dans leur bureau, on a la boule au ventre. Mme. Alice me donna plusieurs variétés de thés comme promis, que je devais goûter chez moi et lui dire lequel je préférais. Je ne connaissais même pas les noms, elle m'avait fait une sorte d'échantillons pour chacun avec une petite pastille de couleur sur chaque sachet. À mon avis, pour pouvoir dire lequel j'apprécie le plus. Lors de mon passage, Mme Alice m'a aussi conseillé d'aller à la rencontre des autres employés. Il est vrai que je ne m'étais pas demandé comment étaient mes autres collègues ni sur quelle création ils travaillaient. J'attendais donc avec impatience l'arrivée de Julia pour lui proposer de me présenter les autres stylistes. J'étais surpris de voir que pour une fois Julia n'arrivait pas à la dernière minute. Elle me sourit, me dit bonjour et je fît de même. Nous avons parlé un court instant des finalisations concernant la robe qui sera portée par Camille D. À la fin de notre conversation, je lui ai demandé si elle voulait bien me faire visiter les autres ateliers pour aller à la rencontre des autres collègues. Julia fut enchantée par cette idée et me fit un grand sourire, comme à son habitude. Nous sommes sortis de notre lieu de travail et Julia commença à avancer pour me montrer la direction des ateliers qui à vrai dire ne se trouvaient vraiment pas loin. Arrivé devant une porte, Julia commença à frapper et un homme d'âge moyen nous ouvrit.

-Bonjour Julia, Comment vas-tu ?

-Très bien, et toi, Absolem ?

Comment ça ! Il s'appelle Absolem ? Comme dans le film Alice in Wonderland ? Est-ce un clin d'œil ? Ou je ne sais quoi d'autre ? Parfois, on dirait une secte, me disais-je en plaisantant.

-Ah oui, j'ai oublié de te le dire, mais pour nous mettre au maximum dans le thème de l'entreprise, on s'est donné de petits surnoms en rapport avec les personnages. On l'appelle Absolem, car c'est le plus âgé de nous tous. C'est un homme qui aime travailler seul, il a un certain côté philosophique et il faut s'avouer que c'est un très grand fumeur. Mais si tu y tiens vraiment, il s'appelle Tom.

-D'accord, je comprends mieux, dis-je en rigolant légèrement gêné.

-Donc voilà, Tom, je te présente le petit nouveau qui travaille avec moi depuis quelques jours.

-Je m'appelle Olivier, dis-je légèrement agacé.

-Enchanté, Olivier. Est-ce que ça te dirait de voir ma dernière création ?

-Avec plaisir, Absolem.

-Très bien, Olivier, tu te prends au jeu, dit Julia en lui souriant.

-Voici mon dernier projet, dit-moi ce que tu en penses.

-Si je peux me permettre, on dirait le Morse qui a mangé toutes les huîtres. Je pense que c'est pour cela que vous lui avez mis des gants rouges, pour représenter en quelque sorte tout le sang qu'il a sur les mains.

-Exactement ! cria Tom. Je suis heureux que quelqu'un comprenne enfin quelque chose à mon art.

Je continuai d'observer son travail, avant de remarquer que Tom avait réussi à cacher ici et là quelques-unes des victimes soigneusement dégustées par le Morse ainsi que le charpentier. Au moment où nous sommes sortis, Julia me présenta deux curieux personnages, travaillant eux aussi pour Mme Alice. Il s'agissait de jumeaux. Cette entreprise me surprendra sûrement encore. Je me demandais même si Mme Alice ne cherchait pas des employés ressemblant aux personnages fictifs. Julia refusa de me les présenter, car elle était toujours angoissée par leur présence. Je n'ai donc pas réussi à voir quel était leur travail. De ce que j'ai cru comprendre, grâce à Julia, ces deux bonhommes n'étaient jamais d'accord sur quoi que ce soit, et par conséquent réalisaient une tenue totalement différente chacun de leur côté. Nous continuâmes de visiter les différents ateliers de la boutique. Au bout d'un certain temps, j'ai pu constater que plusieurs d'entre eux étaient vides, et donc, tous fermés, il y aurait sûrement une vague de nouveaux employés prochainement. Avant de pouvoir me demander à quoi ressembleraient les futurs personnes occupant ces postes vacants, je crus, durant une seconde, voir au loin un homme caché dans l'ombre. Ce qui me donna une vague de frissons qui traversa ma nuque pour descendre jusqu’à mon dos.

-Qui est-ce, Julia ?

-Oh pas d'inquiétude, il s'agit sûrement du concierge, dernièrement il s'est occupé de rénover les ateliers, un peu dépassés d'après Mme Alice. D'ailleurs, dès qu'ils seront modernisés, nous aurons une vague de petits nouveaux comme toi.

-Et tu sais comment il s'appelle ? Le concierge ?

-Désolé, mais non, il ne parle à personne. J’ai toujours cette impression de déjà vu lorsque que je l'aperçois, ça me rend extrêmement mal à l’aise à chaque fois. Et puis il me fout tout simplement les chocottes, désolée de le dire comme ça, mais dès qu’on le voit il se cache aussitôt. C’est flippant non ?

Il est vrai que cet homme étrange me donnait une impression similaire à celle décrite par Julia. J’avais l’impression de le connaître. J’essaie de toutes mes forces de trouver qui cela peut bien être et dès que je sens que je m’en rapproche je refroidis aussitôt.

Depuis que j'étais ici, j'avais de plus en plus cette impression d'être éloigné de la réalité à chaque seconde où je me trouvais ici. Mais cet homme semblait beaucoup trop réel comparé à cet univers créé par Mme Alice. Il me terrifiait.

-Je vois exactement ce que tu veux dire, Julia.

Nous retournâmes dans notre petit atelier et nous mîmes directement au travail, malgré le fait qu'il y avait sûrement plus à découvrir, que ce que j'avais pu apercevoir durant ce laps de temps. Nous étions même passé à côté de deux collègues, je crois qu’il y en a une qui s’appelle Rose, de ce que Julia m’a dit. D’ailleurs je crois qu’elles ne s'apprécient pas vraiment. Ça ne me regarde pas me suis-je dis, si je pouvais éviter les problèmes ce serait mieux.

Nous avancions rapidement sur notre projet, ce qui me rendait particulièrement heureux. Je reculais de quelques pas pour mieux me rendre compte du rendu final, et plus je le regardais, plus j'imaginais Camille D dans cette sublime robe qu'avait imaginée Julia. Elle doit vraiment être très fière de sa création, si elle ne l’est pas je le suis à sa place. Cela faisait peu de temps que je travaillais avec cette jeune femme, mais elle ne me laissait pas indifférent. Julia était si belle, drôle, créative et plus débrouillarde que je ne le pensais. Sans vraiment réfléchir, quelques mots sortirent tout seuls de ma bouche, que je maudissais au même instant qu’il furent exprimés :

-Accepterais-tu de sortir avec moi prochainement ?

Le regard de Julia se dirigea vers moi. Elle avait une expression qui montrait bien qu'elle était surprise. J'étais un crétin de demander ça sur mon lieu de travail. J'étais crétin de demander cela tout simplement. Elle avait peut-être déjà quelqu'un dans sa vie, ou elle ne voulait peut-être pas mélanger travail et amour. J'arrivais à me torturer l'esprit en si peu de temps, que s'en était affolant. C'est à ce moment précis que j'ai compris que j'étais réellement fou amoureux d'elle.

-Bien sûr, pourquoi pas. Il y a une fête foraine en ce moment, au jardin des Tuileries.

Mon cœur allait exploser, je n'aurai jamais pensé qu'elle dirait oui ! J'avais peut-être ma chance après tout ; ou peut-être qu'elle voit cette sortie comme une soirée amicale entre deux collègues. Je ne savais pas trop ce que je devais en penser, mais je savais que je devais en profiter et ne pas me poser trop de questions. Comme on dit toujours, si ça doit se faire, ça se fera. Et j'espérais que ce soit le cas.

-J'en serais ravi. Tu sais déjà quand est-ce que tu voudrais y aller ?

-Pourquoi pas ce soir ?

Je ne pensais pas qu'elle me proposerait une date aussi tôt, mais cela ne me déplaisait pas, au contraire.

-Avec plaisir, rendez-vous là-bas à 20 heures ?

-Plutôt 19 heures, je te rappelle qu'on bosse demain !

Elle n'avait pas tort, et au moins j'aurais moins de temps à attendre pour la voir.

-Alors va pour 19 heures.

Quelques instants plus tard, nous nous rendîmes compte que notre journée de travail était terminée. Julia me salua et je fît de même, mais cette fois-ci en sachant que j’allais la revoir ce soir et que ce serait certainement la plus belle soirée de ma vie.

En rentrant chez moi, j'allai directement sous la douche sans attendre que l'eau soit chaude, ce qui fut une erreur vraiment très désagréable. Après cette douche quelque peu désastreuse, je me creusa la tête pour savoir comment j'allais m'habiller pour une fête foraine. Ni trop classe, ni trop décontracté. Je me dis qu'une belle chemise blanche avec un jean noir ferait très bien l'affaire et puis je n’avais pas vraiment d’autre choix. Même si la mode à toujours été ma passion, je n’ai jamais eu les sous pour pouvoir m’habiller comme je le souhaitais. Avant de partir, brossage de dents, un coup de peigne et de parfum, ainsi que du déo. J'étais enfin prêt pour rejoindre la femme que je rêve d’embrasser. Je me dépêche de fermer à clef l'appartement et pris la route.

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