Je me lance sur la scène de l’Opéra, je vole, je suis la musique assourdissante et les lumières aveuglantes. Ma mère, Victoria, est dans l’assistance, avec la mairesse, Rachelle. Je leur en mets plein la vue, je suis plus jeune, je suis plus belle et j’ai un destin de Reine. C’est bien le problème. L’Invisible nous impose des destins qui se produiront si on ne fait rien, si on laisse faire. En attendant je joue mon rôle, sur scène et dans la vie aussi, avec Spencer le futur Roi, dès que sa mère abdique, dès que la Cathédrale Sainte-Claire est prête. Mais en dehors de ça, qui suis-je ? J’y réfléchis en me démaquillant dans ma loge après le spectacle, dans l’odeur âcre des bouquets de fleurs qu’on m’a jetés. Je me regarde dans le miroir. En fait, je ne suis la fille que d’une folle dingue de bonne lignée et de l’agent reproducteur Clément, choisi par ma grand-mère Émilie Raymond, la femme du dictateur suprême, Vivien Virein Volta. Je suis Clémence Volta Raymond, danseuse. Le spectacle est fini. Ma concentration retombe. Je verrouille la porte de ma loge. Je programme mon brisim. Je l’applique, je le place en moi, tout doucement, il chauffe. J’appuie sur la touche virtuelle de mon mono et mon corps se tort, ma respiration se coupe, je ne vois plus rien, je n’entends plus rien, je suis balayée par une vague absolue et je tombe sur le tapis, mes mains me caressent mes seins et mon visage et je reprends une grande inspiration en ouvrant les yeux. C’est comme si je m’étais jetée d’une falaise et que je venais de toucher le sol. Je suis comme morte, parfaitement détendue. Je me relève, je suis prête pour rejoindre les autres. Dans le couloir sombre je sens cette sensation sourde au bas de mon dos et qui diffuse dans tout mon corps. Sabine est là avec son R-One. Elle me fait la bise et elle lit en moi. Elle me regarde d’un air coquin. Je lui réponds en pensant : « Oui, j’ai mis mon brisim à l’arrière. » J’aime bien le faire en public. Mais je ne peux pas sur scène, ça perturberait mes mouvements. J’aperçois mon homme. Ma poitrine pointe, je vais l’appliquer sur lui en l’embrassant. Je sens ses mains sur moi.

• Je t’aime, ma Reine.

Je ne suis plus sa Princesse. Je suis tout pour lui. Je suis la femme de sa vie. Enfin, j’espère. Je passe avant sa Reine Mère Frances, mais il est aussi passé par Greta. Je la sens encore en lui. D’ailleurs elle est là. Avec Valentin. Deux âmes perdues qui se sont trouvées. Elle me regarde avec le sourire et me dit :

• C’est tout à fait ça.

Plus personne ne parle vraiment dans les cocktails de l’Invisible. Tout n'est que sensation. Et mon Roi a une autre odeur de terrienne sur lui. Gabrielle.