Chapitre 5
Je me réveillais d’un sommeil sans rêves. J’ouvrais les yeux et mes rétines étaient d’emblée attaquées par la forte luminosité de la pièce. Je n’avais jamais vu une lumière si vive. Mes yeux me faisaient atrocement souffrir. Sur le moment, je pensais être dans une salle de torture, mais m’habituant petit à petit à la lumière, je pus, au fur et à mesure, distinguer les détails de la pièce. J’étais couché sur une couche métallique. Je n’aurais jamais pensé utiliser le métal pour créer des éléments aussi futiles. Dans mon monde, le métal était fait pour fabriquer nos armes, nos armures, nos vaisseaux et nos industries. Il y avait beaucoup d’objets dans la pièce dont j’ignorais, pour la grande majorité, ce qu’ils étaient et à laquelle ils servaient. La pièce était assez grande. Trois couches identiques à la mienne se trouvaient à côté de moi, espacées d’environ un mètre trente. Je me mis assis. On m’avait retiré mon armure ainsi que mon arme. Ce dernier élément était secondaire. Les seules fois où je l’utilisais étaient durant l’entraînement ou bien quand il fallait abattre des déserteurs enrôlés de force parmi nos esclaves.
La porte s’ouvrit au moment où je me levais. Une personne entra dans la pièce tandis que je me vautrais par terre comme une larve. La personne accourut dans ma direction et une voix de femme me dit télépathiquement :
— Ce n’est pas raisonnable de se lever. Nous venons à peine de soigner ton œil et tes terminaisons nerveuses ne sont pas encore synchrones avec ton énergie.
— Qu’est-ce que c’est ce charabia ???...
Je n’en avais aucune idée. Je levais ma tête pour savoir à qui j’avais à faire. Lorsque je vis la personne, c’est comme si on m’avait fracassé le crâne et le peu de raison qui me restait à coup de masse. J’avais à quelques centimètres de moi le visage de la jeune femme aux yeux bleus qui m’avait « hypnotisé ».
Perdu dans ses yeux, je ne me reconnaissais pas. Je revoyais ma vie depuis mon apprentissage du sang. Qu’est-ce qui m’avait changé à ce point ? Moi, l’un des plus crains de mon espèce, en l’espace de quelques cycles, je m’étais adouci de plus en plus au point d’avoir du respect et un sentiment étrange pour mes femelles et ma progéniture. J’avais même refusé qu’ils passent l’apprentissage du sang pour les mâles et l’apprentissage des plaisirs pour les femelles. Alors que pour mon peuple abuser sexuellement et énergétiquement de la famille était un élément majeur de notre société, je ne l’avais jamais fait ni même pensé à le faire.
Au fil du temps, et je le voyais bien, j’étais devenu une gêne dont on cherchait à se débarrasser en me donnant constamment des missions suicides. Puis, il y a eu le massacre de mes femelles suivi de mes petits, pour terminer par mon emprisonnement qui dura quelques cycles. On m’avait laissé le choix de croupir en prison et d’y crever à petit feu ou d’effectuer une dernière mission suicide. En cas de victoire, on m’offrirait l’exil. Dans cette dernière vision, je sentais que j’en avais marre de cette vie et que personnellement cela m’irait très bien de mourir. Moi qui apportais la peur et la mort, mes propres armes s’étaient retournées contre moi. Qu’est-ce qui avait changé en moi ?
La vision s’arrêta et je retrouvais ces yeux bleus hypnotiques. Son expression avait changé. La pitié était toujours là, mais elle était beaucoup plus triste et pleine de compassion.
— Tu ne devines vraiment pas ce qui t’a changé ? me dit-elle télépathiquement.
Je continuais de la regarder. Qu’avais-je donc oublié ?...
À ce moment, je me rappelais de la conversation que j’avais eue avec les hauts gradés à mon retour du massacre des habitants de la planète Orga.
Ça y est ! Ça me revenait. Ils m’avaient parlé d’un mal étrange qui avait décimé nos troupes…
— Ce n’était pas un mal qui a décimé ces gens. La planète Orga a une vibration très différente qui fait que des créatures ayant une vibration plus faible que la planète sont atteintes de folies et finissent par s’entre-tuer. D’ailleurs les personnes que tu as tuées n’étaient pas les indigènes originels de cette planète. Nous les avions prévenus que cette planète n’était pas bonne pour eux. Ils étaient déjà sur le déclin à ton arrivée. Tu n’as fait qu’accélérer l’inévitable. Te concernant, ce qui t’a préservé est ta folie meurtrière et ta solitude. Du moins, physiquement. Ces quelques jours sur Orga ont eu un effet très particulier sur toi. La vibration de la planète a réveillé en toi ton moi profond. Au fil des journées, tu as reçu de plus en plus d’énergie lumineuse qui a peu à peu modifié ta perception et ta personnalité. Ta rage et ta férocité sont des éléments naturels de ton espèce. Mais les sentiments positifs tels que la joie et l’amour le sont aussi. Ton espèce a renié ces sentiments alors qu’elles font partie intégrante de tous les êtres vivants de l’univers.
Je m’étais trompé. Ce n’était pas une masse que j’avais reçue sur la tête, mais carrément un vaisseau-mère ! Je n’avais pas tout saisi à cet instant, mais le peu que j’avais pu comprendre m’avait retourné.
Lemline entra dans la pièce au moment où je m’asseyais pour digérer tout ce que je venais de me prendre sur la tête. Elle s’approcha de moi. Je vis une longue estafilade que je lui avais faite à la gorge. Là aussi, pour la première fois de mon existence, je lui dis ces simples mots qui, utilisés par mon peuple, signifiaient la mort pour haute trahison et démonstration de faiblesse. Je m’excusais à voix haute de lui avoir fait endurer ça sans même savoir si elle allait comprendre mon langage.
— J’apprécie tes excuses, car je sais ce que cela signifie pour toi. Je ne t’en tiens pas rigueur, me répondit Lemline télépathiquement en me souriant.
— Vous étiez déjà très décevant Général Dræcor, mais présenter des excuses à des êtres inférieurs mérite votre mort et celle de toute votre famille. Malheureusement pour moi, j’ai déjà donné l’ordre de les exterminer, il y a plusieurs cycles. Cette voix venait de l’armure.
Lemline prit l’armure et trouva l’appareil incrusté au niveau de la poitrine. Pourquoi ne l’avais-je pas vu ? La jeune femme blonde demanda l’objet au médecin aux longs cheveux bruns puis me le donna. Je pris l’appareil et je demandais férocement à la voix de se présenter.
— Je suis Morfor, Général de l’expédition punitive. Nous sommes en train de nous arrimer à ce vaisseau. Nous avons eu le plaisir de recevoir l’ordre de vous éliminer après votre mission, mais vu que même cette dernière fut un échec, nous allons en profiter pour exterminer toute vie sur ce vaisseau en commençant par vous, ex-Général Draecor.
L’appareil devint muet et une explosion se fit entendre. Intérieurement, je me demandais s’il y avait quelqu’un sur le pont d’embarquement, et si oui, pourquoi ils n’avaient pas bougé. Lemline me répondit qu’on leur avait demandé de ne pas bouger, quelles que soient les circonstances.
Je ne l’entendis pas de cette oreille. Je me levai difficilement et me dirigeai vers ces enfoirés qui avaient liquidé ma famille. Dans le couloir, je les vis entrer un par un dans le vaisseau par le sas explosé. J’avais de la chance, ils ne m’avaient pas encore repéré. Je m’approchais furtivement et arrivais sur le premier soldat.
Je lui brisais le cou. Je n’avais pas vu le deuxième soldat juste à ces côtés. Il me tira dessus avec son arme et me transperça l’épaule gauche. Dans ma folie meurtrière et vengeresse qui s’était réveillée, j’ignorai la douleur et retournais son arme face à son torse. J’ouvrai le feu et lui tirai plusieurs salves. Gardant l’arme à la main, je liquidai le reste du commando qui se trouvait encore dans le sas. Après le fracas des armes, je regardai la scène. Arrivé au dernier corps, j’entendis une déflagration et je sentis une vive douleur au torse puis au niveau des bras et des jambes. Je vis des morceaux de chairs voler. Regardant derrière moi, je m’aperçus que mes ailes étaient totalement déchiquetées. Je m’effondrais. Couché sur le sol, je vis un soldat qui s’était planqué.
— Sale vermine ! Enfin je t’ai eu.
Le soldat se mit face à moi et se pencha pour me dire :
— Alors ! Quel effet ça fait de se faire tuer par le Général Morfor ? Depuis le temps que je rêvais de te faire la peau ! Tu ne peux même pas imaginer la jouissance que j’ai à te voir crever ! »
Je lui répondis :
— Merci de m’avoir libéré !
Et dans un dernier effort je tendis mon bras droit et lui arrachait la gorge. Il s’écroulait dans une gerbe de sang. C’était enfin terminé pour moi et j’avais fait en sorte que personne ne puisse blesser l’équipage. Je vis le médecin et la jeune femme courir vers moi tandis que les ténèbres m’emportaient.
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