Pour une Talpinae

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Il fait chaud au milieu de son petit cocon. On n'a pas envie de bouger. On veut profiter de ce confort jusqu'au tout dernier instant. Mais il faut se mettre à bouger, à manger. Alors on se réveille doucement, on se secoue, et on ouvre ses petits yeux. Sous la terre, cela remue, certains se sont réveillés. Ils creusent déjà de bon matin, retournent la terre sous l'herbe, la poussent avec leurs petites pattes et continuent leurs galeries.

Au fond de son berceau, son petit nid, elle dort toujours paisiblement notre petite linotte. Mais ce n'est pas un oiseau ! Evelyne, elle dort encore sous terre, entre deux racines, roulé en boule, ses pattes recroquevillées autour de son museau avec seulement un tout petit bout de sa tête qui émerge. Son corps se soulève et s'abaisse encore au fil des secondes. Elle ne veut pas se réveiller. Elle est bien ici, pourquoi bouger ? Elle veut attendre encore un peu. Dormir encore un peu pour se réveiller au bon moment. Elle attend que les ruisseaux se gorgent d'eau, que la neige fonde. Elle veut attendre et être réveillée par le chant des environs. Celui qui annonce qu'on se réveille doucement. Celui qui fait renaitre les alentours.

Mais elle ne peut pas plus attendre, son ventre a faim. Il faut se lever. Alors notre Talpinae s'étire, change de position. Elle est debout.

Après avoir calmé sa gloutonnerie, Evelyne rêve à nouveau. L'herbe est plus verte ailleurs, les fleurs plus colorées en haut, les papillons plus nombreux, les odeurs plus douces... Qu'est-ce qu'elle aimerait être là-haut. Qu'est-ce qu'elle aimerait sortir pour une fois la tête de son trou. Trou noir et humide qui pourrait laisser la place à la légère chaleur des rayons, à la lumière un peu trop forte pour ses yeux mais aux douces brises du vent. Personne ne peut se sentir vivant sans rêver un peu ? Elle a bien le droit de rêver ? Son rêve à elle, est de profiter du printemps, des pissenlits volants partout, du retour des oiseaux, des jours plus longs... Evelyne adore le printemps même si elle n'a encore jamais pu le voir. Elle n'a jamais vu à quoi cela ressemble mais elle le sait. Au fond d'elle, elle a imaginé ce que cela doit être. Cela doit être magnifique.

Son trou, sa cachette n'est pas si désagréable. Caché, protégé sous terre avec les siens. Mais n'aurait-elle pas donné un petit gage pour autre chose, pour un autre endroit quelque instant, juste quelque instant. Voir de ses propres yeux ce que son rêve lui a toujours montré.

Mais elle ne peut pas vivre son rêve. Il est bien accessible pourtant si loin... si dangereux. Elle ne peut pas sortir. C'est dangereux de sortir de la taupinière en une si belle saison. Alors que tous les animaux peuvent profiter de leurs compagnons, s'activer à faire un nid, une chrysalide, alors que toutes les plantes déploient aux doux rayons leurs plus belles feuilles, aux abeilles leurs plus belles fleurs... Eux, elle n'est pas la bienvenue.

Elle se souvenait, l'année dernière, les années précédentes... ça bougeait à l'entrée et puis ça s'activait. Il fallait bouger, se cacher, s'enfouir plus profondément, là où on ne pourrait pas les atteindre. Eviter des chemins, trouver de nouvelles cachettes, fabriquer un nouveau nid pour passer la nuit et ne jamais s'aventurer près de l'entrée. Jamais ! L'entrée... trop dangereux. C'était le plus dangereux. A l'entrée il y a le bruit, ce bruit. Petit objet de métal, froid et rouillé. Fracas d'une détonation. Déjà casi aveugle et maintenant sourd. Le sang qui coule goutte à goutte puis le corps qui reste et qu'on abandonne.

Non, elle veut encore rester innocente, rester dans l'innocence d'un rêve de camomilles, de crocus et d'hortensias. Oublier ce désastre du nom de nuisible et continuer de rêver. Mais ce rêve reste piégé dans ces galeries de terre. La peur, l'empêche d'espérer de voir ce printemps.

Mais Evelyne est courageuse. Elle rêve, elle a peur, mais elle est courageuse. Derrière ses graines de tulipes, ses coccinelles sur leur brin d'herbe, elle imagine.

« Si j'y allais ? »

Elle le sent. La terre est tendre, les racines poussent, les petits au fond de leur terrier attendent leurs parents... C'est en ce moment, c'est maintenant. Le printemps est là !

Elle s'est décidée, elle va y aller, elle va aller le voir ce rêve qui l'attend.

Ainsi, un jour, ou une nuit comme les autres, elle se lève, elle avance doucement, profitant de ce plaisir de savoir la réalité toute proche. Elle arrive à petit pas près de l'entrée. Est-ce qu'elle a peur ? Oui peut-être. Mais c'est trop tard elle ne fera pas demi-tour même si elle peut...

Elle avance encore un peu. C'est à quelques pattes maintenant. Mais elle n'a hélas pas pensé... Même s'il n'y a peut-être pas de danger, le printemps est rapide, il est déjà passé alors qu'Evelyne n'a même pas eu le temps de sortir le bout de son nez.

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