Chapitre 5

7 minutes de lecture

5

Pauline Border ne sut que penser de ce décors. La forme géométrique de la piscine lui plaisait, tout comme les arbres, les feuillages, et la disposition des transats. Si l’ensemble du club et les bungalows lui paraissait lamentable (le local sanitaires de la piscine de son amie Marcia était plus grand que le bungalow que John avait loué…), Pauline devait admettre qu’elle était agréablement surprise par ce lieu bleu et blanc, et comprit pourquoi Alix lui en avait parlé avec tant d’enthousiasme et de douceur à la fois, comme s’il lui avait révélé un secret intime, qui ne se partage qu’avec les plus méritants/estimables.

Elle foula les dalles crème, ne s’y brula pas le pieds, et choisit un transat libre sous l’un des parasols. Une fois plus près du mobilier, elle constata que ce dernier était relativement neuf. Finalement, elle trouverait peut-être dans cette enclave un espace de paix relative où elle pourrait peut-être oublier l’enfer populaire dans lequel John l’avait embarquée.

Cette enclave était malheureusement ouverte à tout le monde, constata-t-elle. Elle allait devoir côtoyer l’ensemble de cette populace. Je te préviens, il est hors de question que je copine avec les baleines échouées de ton club minable, avait-elle lancée, acerbe, à John le matin même. Pauline Border se demanda alors comment elle allait tenir ces prochains jours. Si elle enchaînait marche puis longueurs dans l’eau, restaurant le midi, puis peut-être du shopping, de nouveau un restaurant le soir – il devait bien y en avoir de bien notés dans les environs – alors les journées passeraient relativement rapidement.

Le regard perçant de Pauline, masqué par ses larges lunettes de soleil Lui-Jo, balaya le lieu lumineux. Personne ne remarqua le dédain appuyé de son regard lorsqu’elle avisa Cécile Lacaze et son troupeau, ni l’indifférence flagrante qu’elle exprima à la vue de Jeanne Mallet, assoupie à sa gauche, deux transats plus loin. Les notes aiguës s’échappant des bouches des enfants l’agacèrent, tout autant que les corps volumineux et flasques des femmes sans âges disséminées dans l’eau et autour du bassin. Les vacanciers envahissaient petit à petit son enclave. Pauline se positionna, raide, sur le transat, radeau protecteur sur cette mer plébéienne abjecte.

Bien que sur la défensive, Pauline Border arborait un air altier dans sa fine robe de lin bleu marine hors de prix, qui couvraient un maillot de bain également hors de prix. Elle fit passer sa robe par-dessus sa tête et dévoila son corps encore ferme et séduisant. L’anneau doré sur sa hanche gauche agrippa un rayon de soleil.

John n’avait eu que faire de ce maillot de bain et du corps qui le portait. Comme elle s’y était attendu, John avait commencé à protester lorsqu’elle le lui avait montré au retour de sa séance de shopping – il lui imposait des vacances grotesques, il était évident qu’elle se devait de combler le déséquilibre par des articles de vacances luxueux – ; elle avait donc tenté de l’amadouer en mimant des mouvements lascifs, de le convaincre qu’il pourra être fier d’elle, de sa belle épouse, celle qui sera la plus élégante et la plus sexy au bord de la piscine qui, sur le prospectus bon marché, lui avait alors semblé misérable. Cependant, John avait été totalement insensible aux avances de Pauline, tel qu’il l’était déjà depuis de nombreux mois. Elle avait haussé les épaules, finalement soulagée de ne plus s’épuiser à la culpabilité et au devoir conjugal. D’autres hommes sauraient apprécier son allure, dans ce maillot de bain, dans un autre, dans ses robes et ses pantalons d’été.

Une inquiétude flottait tout de même au fond d’elle ; si elle se fichait bien de leur éloignement conjugal – le lot inévitable de tous les couples, et qui lui permettait une liberté nouvelle dont elle se délectait – John n’était plus le même. La tristesse et la lassitude qui émanaient de lui le transformait en un pauvre homme rabougri et lâche. Cela l’agaçait profondément, car ce n’était pas avec ce genre d’homme qu’elle pouvait décemment s’afficher. Si John continuait à se comporter ainsi, elle ne pourrait plus le sortir avec elle. Comment expliquerait-elle le comportement de son mari ? Elle gérait suffisamment de choses comme ça ; si en plus elle devait le gérer lui…

Après sa marche du matin, indispensable au maintien de sa silhouette, Pauline s’accordait donc ce matin un moment seule, sans John qui était parti faire je-ne-sais-quoi-je-ne-sais-où, au bord de cette piscine partagée. Le ciel éclatant promettait une journée acceptable.

Pauline accorda un nouveau regard à Jeanne : un faible sourire étirait ses lèvres, son visage était tourné vers le soleil. Elle semblait dormir à poings fermés, comme si cela était la chose la plus facile au monde. Pauline, elle, mettait des heures à s’endormir, et le moindre bruit ou le moindre souvenir d’une tâche à exécuter l’éveillait. Ces insomnies lui avaient souvent été fort utiles, notamment dans le cadre professionnel, mais elle savait que son corps en souffrait.

Irritée par l’image paisible de Jeanne Mallet, elle repensa à l’avant-veille lorsqu’elle l’avait vue rire au bar avec cette grande femme brune, un peu hippie. Elles semblaient béatement hors du monde, insolemment heureuses. Bien plus qu’elle et John. Bien plus qu’elle.

Jeanne-la-bienheureuse… Pauline l’imaginait dans sa petite maison propette, dévouée à sa famille, toujours sage, toujours en retenue, toujours avec les bons gestes et les bons mots. Une femme transparente, banale, inutile. Une vie si trépidante qu’elle passait ses vacances seule – avec ses filles, certes, dont John lui parlait alors qu’elle en avait strictement rien à cirer – et à bavarder avec une vieille femme illuminée qui aurait pu être sa mère (une habituée de longue date du lieu d’après John – décidemment, il allait devenir le résident le plus loquace de la saison…).

N’y avait-il donc personne de son standing ici ? Encore une idée de John et de son besoin de « couper » de leur quotidien. Résultat, des mioches bruyants et malpolis, des vieilles hippies et des femmes qui ne se maquillaient même pas.

D’ailleurs, elles étaient-là, en face d’elle, ces femmes sans maquillage et sans allure, rassemblées autour de Cécile Lacaze, le ventre flasque sous leur maillot de bain une pièce de maman qui aurait voulu être sexy mais qui se cachait derrière le fameux « c’est plus de mon âge ». Elles parlaient entre-elles, le visage fermé ou tendu. Les trois hommes aussi parlaient, les bras ballants, typique des mollassons bobos venus de leur campagne avec poules et chèvres et qui se fracassaient contre la réalité du monde. Ils ne comprenaient pas, bien sûr, ce qui s’était passé, ils cherchaient des réponses alors qu’ils ne s’étaient même pas encore posé les questions nécessaires. Ils étaient idiots, remplis de guimauve et de certitudes bienheureuses.

Malgré le mépris qu’elle exsudait par tous les pores de sa peau sous ce soleil déjà écrasant, Pauline avait une raison d’apprécier son séjour dans cet endroit exigu. Cette raison avait des cheveux blonds bouclés, un sourire franc tel qu’elle n’en avait jamais connu et un corps constamment exhibé. Cette raison s’appelait Alix Cotin. Alix était certes (très) jeune, mais il avait provoqué en elle un désir inconnu. En le voyant, en parlant avec lui, même si cela ne faisait que quelques jours, elle ressentait dans son corps des sensations nouvelles, de la chaleur, des picotements. Même au tout début de sa relation avec John elle n’avait pas ressenti cela avec autant d’intensité. Mais cet Alix n’était qu’un jeune homme perdu, sans avenir construit ni envisagé, il vivait au jour le jour et ne pensait qu’au surf, ce sport de beatnik. Pauline imagina alors Alix, ses boucles blondies par le sel et l’iode, tour à tour sur une planche de surf puis dans un costume élégant. En effet, elle ne pouvait se le figurer autrement que torse nu et bronzé.

Ce torse nu et bronzé, Pauline Border l’avait remarqué dès son arrivée ici, alors que John se garait sur le parking d’accueil. Alix revenait de la plage pieds nus, en short de bain, les cheveux humides, une planche de surf sous le bras. John était sorti de la voiture pour se rendre à l’accueil, elle avait continué d’observer le jeune homme par la fenêtre. Alix Cotin, seul, avait posé sa planche contre un mur, puis était entré à son tour dans le bureau d’accueil. Elle s’était alors demandé si elle devait rejoindre John, mais Alix était ressorti presque aussitôt et avait disparu dans les allées. Hier, par bonheur, ils s’étaient retrouvés longuement au bar, rencontre inattendue mais signe du destin pour Pauline : John avait voulu se rendre au théâtre ; grand bien lui en avait pris.

Afin de pouvoir apprécier encore aujourd’hui le corps à demi-nu et bronzé d’Alix (Mais où es-tu à la fin ? Tu devrais être ici, à ton poste !), Pauline s’était inscrite au cours de zumba ridicule qui aurait lieu dans quelques minutes, animé par une certaine Chloé Jeunet, une fille blonde insupportablement pleine d’entrain. Par ailleurs, Chloé avait, selon Pauline, des cuisses trop massives et trop musclées pour sa petite taille. Pauline méprisait ce type de corps, trop sportif, trop démonstratif. Elle était habituée aux corps élancés, frêles, entretenus, pour plus d’allure et de discrétion.

Les pensées de Pauline Border se matérialisèrent : Chloé Jeunet entra dans l’enceinte de la piscine, salua plusieurs personnes et prit le temps d’installer sa séance de zumba, cette séance à laquelle elle, Pauline Border, allait bientôt participer. Un frisson de gêne parcourut son corps. Il lui semblait qu’aujourd’hui, inhabituellement si peu maîtresse d’elle-même, hors de sa zone de confort – comme lui avait fait remarquer John, d’un ton caustique, le matin-même – tout lui échappait.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Hélène Gauthier ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0