Prologue -Partie 4-

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C'était comme si on avait réveillé une fourmilière.

Des centaines de femmes en blouse et quelques hommes entrèrent par les portes, tandis qu'une mélodieuse musique résonnait dans la salle, réveillant les bébés assoupis. Aussitôt, d'innombrables petites voix retentirent dans une cacophonie assourdissante.

— C'est infernal ! s'écria Lasia. Heureusement que le bruit est atténué par notre tunnel !

— Ils devraient leur filer des casques de chantier, ajouta Gaëlla, qui compatissait avec les femmes chargées de s'occuper des bébés.

Vous pouvez actuellement observer les mères porteuses et les encadrants s'apprêter à nourrir les nourrissons, annonça la voix en couvrant les cris des petits, comme si le son extérieur avait été coupé. Les rythmes de sommeil et la fréquence des repas varient selon la tranche d'âge des nourrissons.

Gaëlla regardait, fascinée, les femmes en blouse retirer les bébés de leur berceau pour les installer à table. Leurs mouvements étaient presque coordonnés, automatiques. "Pas étonnant, elles doivent répéter ça toutes les deux heures," songea Gaëlla en se rappelant une précédente information donnée par la voix qui les guidait.

Les deux jeunes filles évoluèrent lentement le long du tunnel, pour prendre le temps d'observer ce qui se passait en bas.

— On a bien fait de rater le bus pour venir, dit Lasia, sinon nous n'aurions pas été présentes pour leur réveil et on les aurait simplement vus dormir.

— C'est vrai, finalement ça a eu du bon de marcher un peu, rigola Gaëlla. Ce n'était pas la peine d'en faire tout un drame.

Dans la salle qui s'étendait sur près de trois kilomètres, chaque nourrisson était à présent en train de boire au biberon, assis dans les "tables-chaises", aidé par les mères porteuses. Dans chaque cellule, un homme ou une femme surveillait le déroulement des opérations et donnait des conseils aux plus jeunes mères.

— On peut dire ce qu'on veut, commença Gaëlla, si je travaillais ici, moi je serais tentée de savoir lequel de ces bébés est le mien, au fond. Ne jamais le voir, c'est tout de même un déchirement, j'imagine...

— Mais non, elles ont l'habitude, répliqua Lasia. Elles en fabriquent un par an, celles qui sont là depuis dix ans n'ont pas que ça à faire, de pleurer dix gosses qui ne leur appartiennent pas et qu'elles n'auront pas vu grandir.

Gaëlla approuva, mais restait sceptique. Elle savait que c'était ainsi, que personne au monde ne connaissait ses géniteurs, mais ne pouvait s'empêcher d'en ressentir une petite frustration, même si les liens du sang n'avaient aucune importance dans la société.

— En fait, à part les voir roupiller ou manger, ce n'est pas très intéressant, les bébés, dit Lasia en bâillant. Heureusement que les couples éleveurs ne les récupèrent qu'à partir de trois mois, c'est déjà ce temps de moins à supporter...

— Moi je ne veux pas adopter d'enfants, déclara Gaëlla, en se surprenant elle-même.

— Tu y seras bien obligée, ma pauvre.

— Peut-être que d'ici nos vingt ans, les choses auront changé.

— Ça m'étonnerait fortement, réfuta Lasia.

Le système obligeait les hommes et les femmes atteignant la majorité à se trouver un partenaire de vie pour élever au minimum deux enfants. Pour trouver leur conjoint, ils pouvaient participer à des Bals ou des Après-midi des Cœurs, organisés par le gouvernement. Nommées "séances d'approche", ces démarches menées très sérieusement par l'Etat réunissaient un certain nombre d'hommes et de femmes de dix-huit ans pour forcer les rencontres. Ils avaient un an pour trouver leur âme sœur par eux-mêmes ou lors de ces rencontres organisées. Passé ce délai, s'ils n'étaient pas référencés avec un partenaire de vie, un conjoint par défaut leur était attribué. Ils avaient alors de nouveau un an maximum à passer ensemble avant d'accueillir leur premier enfant adoptif, déjà âgé de trois mois.
Si un couple se créait naturellement avant la majorité des deux partenaires, ils avaient jusqu'à leur vingt ans maximum également pour devenir couple éleveurs.

— Bon, je crois qu'on n'en verra pas plus en allant ailleurs, déclara Gaëlla lorsqu'elles furent à mi-chemin dans le tunnel, d'après la carte du formulaire. On fait demi-tour ?

— Si tu veux. Je ne tiens pas spécialement à voir des centaines de paires de fesses, répondit Lasia en faisant la grimace.

Gaëlla constata qu'en effet, les nourrissons ne tarderaient pas à finir leur biberon. D'après ce que la voix leur avait indiqué, les mères porteuses se chargeraient de les changer bientôt.

— Ils vont quand même attendre un peu avant de les recoucher, non ? supposa-t-elle. Sinon ils vont tout vomir ! Enfin, je ne sais pas. Je n'y connais rien aux bébés, moi...

— Aucune idée, il y a peut-être un mode d'emploi plus précis au dos du formulaire ?

— Apparemment non.

Les deux amies firent demi-tour en riant de la laideur des petits, désignant les plus moches d'un doigt moqueur.

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