Tout à coup, le sol et les murs se mirent à tanguer autour de Gaëlla. Sa vision se rétrécit. Elle avait la sensation de faire une chute vertigineuse en arrière.

Non…

Les murs du bar semblaient se rapprocher d’elle, elle se sentait soudain étriquée dans sa robe à volants. Son cœur cognait si fort dans sa cage thoracique qu’elle crut un instant qu’il allait lâcher. L’impression d’étouffer, elle dût se raccrocher au comptoir devant elle pour ne pas flancher.

Des pas dans son dos la ramenèrent à la réalité et à son corps.

Elle se retourna, chancelante, tremblante. Il lui semblait qu’elle venait de se prendre un K.O et qu’elle se relevait avec peine, déchue, face à son adversaire.

Romickéo était figé sur place, à quelques pas du comptoir. L’air d’avoir été frappé par la foudre, il la dévisageait, la bouche entrouverte dans une expression de stupeur muette. La couleur avait quitté son visage.

– Gaëlla…, souffla-t-il, pétrifié.

L’onde de choc qui avait frappé la jeune fille en comprenant, lui avait coupé les jambes. Ébranlée, elle ne parvenait pas à articuler le moindre son. Les yeux de Romickéo passaient d’elle à l’écran, de l’écran à elle, comme un automate buggé.

Ce n’était pas possible… Il y avait forcément une autre explication à ce qu’elle venait de découvrir…

Et pourtant, les pièces du puzzle s’assemblaient dans sa tête, à mesure qu’elle réalisait à quel point elle avait été bernée par Romickéo.

Ses opinions en décalage avec la société, ses sources de militants antisystèmes… Son discours sur la justice, l’égalité, lors de leur premier échange, lui revint en mémoire ; et soudain, le message des terroristes, à la suite de l’attentat du Centre des Séances d’Approche, s’y superposa.

« La peur commence à changer de camp. Les rats sortent de l’obscurité du trou dans lequel on les a poussés, et ils viennent réclamer justice. L’égalité a un prix, que chacun doit maintenant payer. »

Les criminels avaient signé « Les Édiles de l’Ombre ». « Les rats sortent de l’ombre », le nom du groupe qu’elle avait découvert dans la messagerie du jeune homme, faisait écho à leur menace et à leur pseudonyme en même temps…

Le message envoyé cinq minutes avant le déclenchement de la bombe, y faisant référence, ne pouvait pas être un hasard non plus…

Et tout à coup, dans un vertige horrifié, Gaëlla comprit pourquoi Romickéo s’était comporté de manière étrange, au cours de leur second échange. Il n’était pas jaloux, ni timide, lorsqu’elle lui avait fait part de sa volonté de se rendre au Centre des Séances d’Approche le weekend où l’attentat était planifié. Il n’avait blêmi que parce qu’il savait qu’elle courait à sa perte, ne s’était montré mal-à-l’aise que parce qu’il était au courant des futurs événements… Il lui avait suggéré d’aller au festival à la place, en toute connaissance de cause… Sa réaction disproportionnée, quand elle lui avait décrit l’attentat, la fois suivante, ne faisait que confirmer l’évidence…

Tout prenait un sens nouveau, abominable, aux yeux de Gaëlla, à présent qu’elle prenait conscience de l’effroyable vérité : Romickéo faisait partie de l’organisation terroriste des Édiles de l’Ombre.