Catastrophe à Furiani
En montant au col pour déjeuner avec Marie-Napoléone et les enfants en ce vendredi 8 mai 1992, jour férié, il y avait grande agitation au bar des Aiguilles. Mon Dieu, fêtait-on la Libération ?
- Mais tu rends compte, ces ânes, ils avaient monté les gradins comme des échafaudages, per l’amor di Diu, tu sais des machins avec les tubes en ferrailles pour porter quoi, une poignée de maçons, veramente incapaci, ils étaient plus de dix mille dessus ! éructait Dédé. Aïo, tous des empédocles, bè per nunda. Aïo, écoute-donc Mighé, c'était chaud! Incroyable! L'ambiance était très tendue. C'était très agressif. Pas de la haine, mais les Bastiais qui disaient "on va vous tuer, on va vous battre". Moi j'avais plus peur du public que de la catastrophe. Avec François, on est mauvais Corses, on est pour l’OM ! Tu crois pas, Bastia ils sont quand même légers… Et puis c’est la Corse du Nord ! Il y avait du monde, j'ai vu ces trucs, ces bouts de fer, ces machins. On s'est dit "c'est quand même bizarre, ça s'est monté tellement vite". On s'est dit, "bon ça va, la sécurité est passée, la préfecture a dit ok, on s'est dit c'est bon".
- Oïmé, tu crois ça, ils ont rien vérifié, puisque le préfet se trouvait à l'aéroport de Bastia pour accueillir Bernard Tapie (le Président de l'Olympique de Marseille) et Émile Zuccarelli (le maire de Bastia). Tu penses bien qu’ils avaient autre chose à faire ! rajouta François. Et puis un peu après huit heures, le match devait commencer à huit heures trente, on a entendu le speaker qui dit : "ne tapez pas sur les structures métalliques, attention, ne tapez pas". Les gens tapaient des pieds, il leur a dit "arrêtez !" J’ai dit à Dédé : c’est quoi ? C’est l’émeute ?
- Mii… moi j’y était dans la tribune nord ! intervint Daniel Leccia, un ami de longue date. Je suis un miraculé de Furiani ! Il y avait plus huit mille supporters Bastiais autour de moi, et puis y avait la presse aussi. Ça commençait déjà à bouger. Je mets ma main comme ça, en haut, et un genre de planche ou de fer est tombé. Je me suis dit "qu'est-ce que c'est que ça?". C'est chaud, on distinguait à peine les joueurs. Et je me dis un truc prémonitoire, je me dis : "j'espère qu'à la fin du match, je serai toujours là". Tout d’un coup, un grand bruit, on bascule en arrière. C'était des sièges baquets, je m'attrape dessus et je vois toute ma vie. J'ai vu toute ma vie défiler, mon frère, mes sœurs, leurs mariages, mes parents, la naissance de mon fils, mes enfants. Toute ma vie a défilé. Je ne me souviens plus de rien, je sais que je suis tombé. Et j’ai rien eu !
Du fait de l’absence de tous réseaux de communication sur site, la famille Bouillane a appris que le 5 mai dernier survint la catastrophe de Furiani, lors de la demi-finale de la coupe de France de football, opposant le SC Bastia à l'Olympique de Marseille. Plus de cinquante morts, deux mille blessés. Dédé et François étaient allés au match, fort heureusement leurs places n’étaient pas dans la tribune nord ! Et Daniel, lui, était dans cette tribune nord ! Était-on pour Bastia, pour Marseille ? En tous cas, Bastia devant l’ampleur du sinistre fut déconsidéré ; non seulement c’était un deuil national, mais aussi la non-reconnaissance voire la perte d’une équipe corse !
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