Blanche-Neige, tu saignes...

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Il était une fois, Blanche-Neige. Jeune ingénue fort charmante élevée avec rigidité, cette princesse moderne, oppressée par une belle-famille omniprésente et protocolaire au possible, et excédée par cette rigueur excessive, s'enfuit un soir de sa cage dorée, par une lune noire. La vie s'offrait enfin à elle, à ses grands yeux sombres et son irrépressible besoin de rencontrer le bonheur dans la liberté absolue. Sans le sou ni beaucoup de connaissances sur le genre humain, elle se lança à corps perdu dans cette vie jusque là inconnue, mais porteuse de nombreuses promesses au souvenir des différents récits de sa nourrice. Cependant, force lui fut bien tôt de constater que l'existence se montrait parfois bien injuste et incompréhensible. Que même les anges se révélaient parfois particulièrement rigides, taciturnes et fermés. Mais la belle gardait espoir. C'était immuable.

Un jour viendra mon Prince...

C'est ainsi qu'un beau matin, au détour d'un chemin, Blanche-Neige rencontra un homme. La taille élancée, légèrement voûté, les yeux troubles comme si la mélancolie y fleurissait inlassablement, un lien d'amitié se noua rapidement entre les deux âmes esseulées. Pas une journée ne passait sans un égard l'un pour l'autre. L'amour pointa rapidement le bout de son nez, et un mariage fut prévu afin de le célébrer officiellement. Un mariage d'amour, un vrai ! La jeune femme était ravie et ne tarissait pas d'éloges sur l'élu de son cœur. Enfin avait-elle trouvé l'âme-sœur ! Cultivé et toujours prompt à lui faire plaisir pour admirer son bonheur, il lui offrait des fleurs, ou un livre, comme ça, juste par amour, de temps en temps. À l'aube, il déposait un baiser dans ses cheveux. Il lui faisait l'amour intensément, comme s'il recherchait dans ces étreintes cet air si particulier, cette force communicative indispensable à leur survie, à leur élévation, à cet échange perpétuel. C'était doux et passionné. Souvent, au matin, il l'observait discrètement en train de s'habiller, et souriait en silence. Elle était belle. Elle était jeune. La Providence avait maintenant un nom, une incarnation. Blanche-Neige nageait dans un bonheur simple et sans artifice. Elle se sentait aimée, protégée, et faisait confiance au lendemain. Sa nourrice avait raison : le romantisme existait !

Mais le sort en avait visiblement décidé tout autrement. Blanche-Neige dut faire face à la maladie de son soupirant. Avec courage et détermination, ils traversèrent ces épreuves ensemble, soudés comme jamais, célébrant chaque petite victoire pour mieux dévorer cette illusion de répit. La fulgurance de son déclin était néanmoins indiscutable. Impitoyable. Son prince s'endormit paisiblement à ses côtés, au point du jour, après une dernière caresse dans ses boucles brunes. Notre ingénue, qui ne l'était déjà plus tant, fut dévastée par le chagrin. Le cœur lourd et l'esprit cabossé, comme étourdie par une rafale venant de nulle part, elle reprit tant bien que mal le chemin de son quotidien, seule et éplorée.

Cependant, quelque chose en elle, une minuscule petite chose en apparence insignifiante, refusait d'abdiquer. Non, la vie ne pouvait pas, ne devait pas se montrer aussi injuste.

Un jour viendra mon Prince...

Ainsi croisa-t-elle le regard d'un individu fort charismatique, au cours d'une soirée organisée par une amie. Les yeux pétillant d'une malice engageante, c'était un oiseau de nuit. Son aura était hypnotique ; les prétendantes se bousculaient dans l'espoir d'obtenir le privilège de sa présence. Son choix se porta toutefois sur Blanche-Neige, son calme et sa candeur contrastant énormément avec les personnalités uniformes de ses précédentes conquêtes. Elle lui était, pour ainsi dire, exotique. Il l'accompagna et l'initia à cet univers au sein duquel tous les chats sont gris. La demoiselle en fut transportée ; elle l'y suivait les yeux fermés, persuadée et très vite convaincue d'y découvrir cette grisante sensation d'être la reine du Monde. Invincible face à la mort et au chagrin. Plus forte, plus puissante et mieux lottie que ses rivales devenues de lointains souvenirs pour son ménage.

Le temps œuvrant à cicatriser ses plaies, Blanche-Neige eut à cœur de fonder un foyer. Aussi aborda-t-elle le sujet avec son nouvel amoureux. Ce dernier, tout à ses responsabilités majeures dans ce paradis pailletté, parvint à la convaincre de travailler de préférence à son ascension. Selon toute la logique qu'il s'efforca d'enrober d'une épaisse couche de sucre, les enfants suivraient dans la foulée, évidemment...

Notre héroïne prit donc cette promesse comme une vérité gravée dans le marbre, et s'évertua à évoluer dans l'ombre de son gourou qui, inlassablement, repoussait l'échéance de cet engagement. Brisée par ce carrosse redevenu citrouille, elle quitta le domicile conjugal aux aurores, à l'heure où ses anciens compagnons volubiles se cherchaient un nid, quel qu'il soit, afin de récupérer des forces après s'être éblouis de leurs chimères.

Quelque chose en elle, une minuscule petite chose en apparence insignifiante, refusait d'abdiquer. Non, la vie ne pouvait pas, ne devait pas se montrer aussi injuste.

Un jour viendra mon Prince...

Blanche-Neige aspirait donc à un quotidien plus raisonnable. Elle espérait faire un jour la connaissance de celui qui lui offrirait cette stabilité délaissée le temps de cette bulle qui avait éclaté. Un esprit sain résidait-il forcément dans un corps sain ? Probablement ! Elle mit donc peu à peu sa décision à exécution et prit un abonnement dans une salle de sport. D'abord impressionnée et mal à l'aise face à ces éphèbes actuels et ces bombes ambulantes, elle prit finalement son courage à deux mains et se concentra dans un premier temps sur l'amélioration de son hygiène de vie. Le sport devint très vite une béquille à sa solitude grandissante, et ses sessions à la salle se resserrèrent. Au détour d'une machine, un habitué l'aborda. Très souriant et magnifiquement athlétique, son babillage sur l'importance de cultiver son corps amusa la jeune femme. Désormais légèrement plus assurée de sa beauté et de ses envies, elle se donna à lui dès leur premier rendez-vous. Mieux avisée maintenant dans ce domaine, elle eut l'impression de découvrir une autre dimension, ce qui l'enchanta au plus au point !

Ils ne vivaient pas ensemble, mais qu'importe ! Ils se portaient tous les deux à merveille ! Il la conseillait pour une amélioration constante de ses performances sportives ; elle prenait soin de lui et partageait avec lui des nuits chaque fois plus audacieuses. Mais il faut croire que tout bonheur ne dure jamais bien longtemps. Bien avare en culture plus universelle, il s'avéra en revanche fort généreux de son physique envers d'autres dulcinées... Le cœur en berne, Blanche-Neige, qui tombait malheureusement amoureuse, le repoussa de toutes ses forces.

Une minuscule petite chose en apparence insignifiante, refusait d'abdiquer. Non, la vie ne pouvait pas, ne devait pas se montrer aussi injuste.

Un jour viendra mon Prince...

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