Blanche-Neige, tu saignes...
Un renouveau éclaira sans tarder les habitudes de Blanche-Neige dans une librairie somme toute bien coquette, au cœur de la vieille ville. Très grande amatrice de littérature en tous genres, elle s'y rendait régulièrement afin de parfaire notamment ses connaissances de base déjà bien assises grâce, il fallait bien le reconnaître, à son éducation très autoritaire. Le gérant de ce point de vente, naturellement très réservé, rougissait à vue d'œil à l'approche de la jeune femme. Cette dernière, ayant remarqué son embarras constant mais attendrissant, prit les devants avec beaucoup de délicatesse et de subtilité, sans pour autant y placer trop d'espoirs. Elle fut presque surprise de la lumière qui éclaira ses yeux initialement fuyants. La confiance naquit progressivement dans les paumes de leurs mains, et Blanche-Neige était ravie d'avoir provoqué sa chance. Les jours se succédaient sans pour autant se ressembler ; nos deux tourtereaux filaient un amour tranquille et, elle en était persuadée, très envié. La jeune femme espérait avoir enfin trouvé l'apaisement pour fonder le foyer dont elle rêvait depuis bien longtemps.
Mais l'infortune semblait la poursuivre. Les premiers temps des amourettes fusionnelles évaporés, les regards de son libraire reprirent la fuite. Moins de sourires, moins d'enthousiasme, moins de baisers, moins de spontanéité, moins de caresses, davantage de silences, davantage de mystères, à nouveau ces rides au coin des yeux... Des non-dits rapidement assourdissants de cruauté quand on aspire à une vie simple. Et toujours pas de rires et de petits pas martelant le sol pour briser ce maléfice sournois... Dès potron-minet, le prétendant effacé de Blanche-Neige s'envola finalement sans donner aucun signe de vie, laissant pour toute discussion derrière lui un mot griffonné à la hâte sur un post-it : "Je ne t'aime plus". Comme si les sentiments amoureux pouvaient se résumer sur un bout de papier...
Une petite chose en apparence insignifiante, refusait d'abdiquer. Non, la vie ne pouvait pas, ne devait pas se montrer aussi injuste.
Un jour viendra mon Prince...
Les sites de rencontres en ligne ayant le vent en poupe, notre héroïne tenta le diable ou força le destin (suivant le point de vue adopté), impatiente de goûter à nouveau la fantaisie dont elle avait manqué précédemment. Encouragée par une amie récemment convertie et fervente pratiquante de ces coups de dés hasardeux, elle compléta son profil au mieux, précisant sans trop de conviction, et parce qu'il fallait bien mentionner quelque chose, ses talents de femme d'intérieur et son rejet des relations compliquées. Grand bien lui fit, puisqu'un candidat se manifesta tambour battant. Surprise et flattée par cet heureux coup du sort, Blanche-Neige se laissa quelque peu courtiser, et répondit favorablement aux avances de ce chevalier proprement apparu de nulle part. Bridant volontairement sa nature romantique, elle le laissa guider leur vie au jour le jour. Tout devint alors prétexte à la légèreté ; plus aucun tourment n'exista dans la bouche en cœur de ce jeune homme qui picorait la vie comme on déguste un abricot en plein soleil, à la campagne... C'était bon de rêver... et d'oublier...
Toutefois, la réalité s'imposa prestement comme une nécessaire évidence à l'équilibre de notre princesse. Les factures s'accumulaient et, à côté d'un job harrassant, elle se vit contrainte de faire face à un compagnon bercé en vérité par l'illusion que l'élue de son affection devait forcément endosser les mêmes responsabilités que sa mère... Le charme se rompit de lui-même. Comme un pétard mouillé. Blanche-Neige s'occupait certes d'un enfant, mais pas celui qu'elle espérait... Presque désabusée par tous ces contretemps, et après avoir soigneusement déposé son tas de caleçons à l'effigie de super-héros sur le palier, elle lui indiqua la porte de sortie dans toute la grâce dont elle était capable...
Elle refusait d'abdiquer. Non, la vie ne pouvait pas, ne devait pas se montrer aussi injuste.
Un jour viendra mon Prince...
Blanche-Neige se jeta alors à corps perdu dans son travail. Un travail qu'elle détestait allègrement, mais qui lui permettait de penser à autre chose qu'à son bilan sentimental catastrophique. Elle acceptait toujours plus de missions, et se retrouva en un clin d'œil, et à sa grande satisfaction, à courir après le temps... tant et si bien qu'au sortir d'une journée, elle prit sur le fait une bien étrange créature occupée à lui adresser une jolie amende. Pensant avec une douloureuse ironie qu'elle aurait préféré un bouquet de fleurs, elle se redressa et arbora son plus beau sourire, espérant arrondir les angles dans le conflit qui s'annonçait. L'inconnu releva la tête, figeant notre princesse de ses yeux pénétrants et limpides. D'une beauté indéniable, il ne resta cependant pas de marbre devant les lèvres rouges et la peau laiteuse de sa contrevenante. L'occasion s'apparenta alors dans l'esprit de notre princesse à un signe du Destin. Certain de son charme et de ses choix, il lui inspirait confiance. Enfin un prétendant qui voulait construire une vie de famille !
D'abord flattée par sa volonté grandissante de signifier sa présence à tous ses éventuels concurrents, Blanche-Neige assista petit à petit avec effroi à la métamorphose de ses songes les plus doux. La créature angélique se tranforma en une gargouille menaçante, un ogre contenant ses accès de violence, un dragon impitoyable et démesuré, animé par une rage inouïe. Terrifiée par tant de férocité, refusant d'admettre son erreur, elle se démena pour trouver toutes les excuses possibles à son comportement destructeur. Il tenta de la soumettre insidieusement au statut de souillon, mais la princesse lui tint tête. Il déversa alors toutes ses colères sur elle. Une fois. Celle de trop. Blanche-Neige, meurtrie au plus profond d'elle-même, patienta quelques temps paralysée par la peur afin de pouvoir camoufler ses marques, et, dans une fuite salutaire, trouva refuge dans un lieu encore tenu secret...
Non, la vie ne pouvait pas, ne devait pas se montrer aussi injuste.
Un jour viendra mon Prince...
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