Une goutte de sueur perle à mon front, et je la sens glisser le long de mon visage. D'un geste discret, je l'essuie. Pas question de laisser transparaître un seul signe de faiblesse. Mais ma respiration saccadée me trahit. J'ai beau fermer les yeux à l'arrière du camion, chaque seconde nous nous rapprochons de l'inévitable. Chaque seconde, je m'enfonce un peu plus dans un engrenage vicieux.

« Prête ? me demande Chris lorsque j'ouvre les yeux. »

J'acquiesce, incapable de prononcer le moindre son, comme aphone. Et bientôt, le van s'arrête en freinant brutalement. Les portes du coffre s'ouvrent, laissant passer de forts rayons de soleil éblouissants. Nous descendons, hormis Chris qui reste dans le véhicule, et repart dans un nuage de fumée. Je n'ai pas besoin de mon ouïe pour savoir qu'un silence macabre règne dans le groupe.

« L'opération d'aujourd'hui n'est rien d'autre qu'un simple braquage, nous a avoué Chris avant que nous partions du hangar. Le propriétaire de l'épicerie est inoffensif et il ne devrait pas nous poser de problèmes. Si vous refusez de participer à cette mission, cela voudra dire que nous ne pouvons pas compter sur vous. Des désistements ?

– Pourquoi un braquage ? Pourquoi ne pas nous en tenir aux livraisons ? ai-je demandé à haute voix en regrettant tout de suite d'avoir pris la parole.

– Vous n'avez pas à le savoir, mais pour satisfaire ta curiosité déplacée je vais vous avouer que ces fameuses livraisons ne rapportent pas assez, signe-t-il en me fusillant du regard. Nous voulons viser plus haut, et sachez que vous toucherez bien plus en participant à ce braquage d'une heure qu'en livrant durant quatre jours. »

Évidemment, ma question était inutile. Soit je m'engageais dans cette intervention, soit je quittais le groupe définitivement. Nous n'avons pas eu le temps de peser le pour et le contre qu'un camion venait nous récupérer. Rose, Violette et moi nous sommes jetées des regards inquiets, mais nous nous sommes changées sans demander plus.

Dans une petite ruelle adjacente à celle où se trouve l'épicerie visée, nous nous regroupons à l'abri du regard d'éventuels piétons. Notre groupe de six est composé de notre trio de colocataires, et de trois autres individus que nous ne connaissons que depuis ce matin. J'ai cependant vite compris qu'ils n'en étaient pas à leur premier délit. Cependant, sous nos cagoules noires qui ne laissent apparaître que nos yeux, il est quasiment impossible de deviner nos identités. Pour parfaire nos camouflages, nous portons des gants, et des vêtements neutres dont nous nous débarrasserons après le braquage. J'étouffe sous cette cagoule qui me serre le coup comme des mains qui m'étrangleraient.

« Nous devons faire rapidement, nous a expliqué un des trois inconnus ce matin par le biais de Chris qui traduisait pour moi. Rose, et Iris, vous vous chargerez de surveiller le gérant et les clients qui ne doivent absolument pas sortir. Violette tu bloqueras la sortie. Nous nous occuperons du reste. Si vous vous en tenez à vos rôles, tout se passera très bien et chacun pourra repartir avec une belle récompense. »

Désormais, un pistolet entre mes mains moites, tout me semble devenu si compliqué et les consignes se mélangent dans mon esprit. Je n'ai pas le temps de me raisonner plus que nous nous faufilons discrètement jusqu'à la boutique. Devant la vitrine, nous n'avons pas une seconde de répit, les trois hommes entrent et commence alors la pire expérience de ma vie. Même dans ce silence qui accompagne mon quotidien depuis si longtemps, l'adrénaline parcoure mon corps comme une drogue grisante.

Je suis à la lettre les ordres, et tandis que Rose s'occupe du gérant, je me précipite dans les rayons pour chercher les clients. Il n'y a qu'un jeune couple qui lève les mains subitement lorsque je pointe vers eux mon arme. Leur teint est livide, leurs lèvres tremblent et la femme se met à pleurer. Mais ce n'est pas le moment de craquer…

« Avancez ! hurlé-je malgré ma propre terreur. »

Je les dirige jusqu'à l'entrée où Rose tient en joue le malheureux caissier qui tremble furieusement. Nous patientons quelques minutes qui me semblent durer des heures. Je jette constamment un regard affolé vers l'entrée, persuadée de voir débarquer des policiers à chaque instant.

Finalement, bien pire se produit. Lorsque je me retourne vers les trois victimes, je n'ai pas le temps d'avertir ma collègue que déjà le gérant du magasin, un couteau suisse en main, se rue sur Rose avec le courage d'un homme désespéré. La lame de l'arme rudimentaire s'enfonce dans le bras de ma camarade. La panique prend le dessus et je brandis mon pistolet tandis que le patron s'apprête à frapper de nouveau. Finalement, je tire.

* * *

« Qu'est ce qui t'a pris ? signe un Chris enragé.

– Je suis désolée, me lamenté-je sans arriver à stopper les flots de larmes qui s'échappent de mes yeux.

– Ce mec est peut-être mort ! »

Nous sommes de retour dans l'appartement, où nous avons retrouvé Chris qui fulminait en parcourant le salon de long en large. Lorsque j'ai tiré sur le caissier, nous n'avons pas attendu plus longtemps. Les trois hommes qui s'occupaient des caméras et de récupérer l'argent sont arrivés en précipitation en entendant le coup de feu. L'un d'entre eux m'a attrapé le bras, et à peine le gérant touchait le sol que nous étions déjà dehors.

Une fois dans le camion, tandis qu'un homme s'occupait de la blessure de Rose, un autre beuglait des propos incompréhensibles. Son visage était déformé par la rage, et des veines apparaissaient sur son coup sous l'effet de la colère. Faisant des gestes de bras inutiles, il s'est mis à agripper ses cheveux comme pour les arracher et a finalement appelé Chris pour le tenir au courant.

Nous sommes rentrées, Violette et moi, tandis que Rose allait se faire soigner Dieu ne sait où, probablement par un obscur médecin corrompu. Lorsque j'ai franchi la porte, j'ai immédiatement éclaté en sanglots, mais loin de déstabiliser Chris, ce dernier m'a tout de suite prise à part.

« Tu m'as foutu dans la merde jusqu'au coup, Léane, fulmine-t-il.

– Je suis désolée ! répété-je. Comment voulais-tu que je réagisse ? J'ai sauvé Rose !

– Mais tu es juste conne ou attardée ? Tu as fait n'importe quoi !

– Lâche moi un peu Chris, sangloté-je.

– Tu savais à quoi tu t'engageais, Léane, alors accepte les reproches et tâche de ne plus me décevoir. C'est le dernier avertissement, je te préviens, tu n'auras pas le droit à une seconde chance.

– Qu'est-ce que tu veux dire ? signé-je les sourcils froncés.

– Tu m'as très bien compris, ne me fait pas répéter. Tu ne sais peut être pas de quoi je suis capable, mais tu en auras vite un aperçu si tu me pousses dans mes retranchements. Fait très attention Léane. »

Ces dernières paroles me pétrifient, et je sais instinctivement quoi faire, comme si j'avais subitement compris que je m'étais embarquée dans la pire des situations.

« Je rentre, sifflé-je.

– Pardon ? ricane Chris. Je crois que tu n'as pas saisis : tu ne partiras pas avant que JE le décide. Et j'ai de quoi t'envoyer en prison avec tout ce que j'ai sur toi. Tu as tiré sur un homme je te rappelle. Encore une fois, ne me teste pas. »

Sans en dire plus, il sort, me laissant seule avec une vérité qui m'a éclatée à la figure comme ces vulgaires et ridicules ballons colorés des fêtes d'anniversaire. La respiration coupée, je vacille et me retient de justesse à l'armoire. Tout tourne. Impossible de rester debout, je m'assieds et ferme les yeux. J'ai été assez bête pour croire qu'il n'y aurait aucune conséquence. Assez bête pour croire aux beaux discours de Chris.

Ce serpent maléfique, ce marionnettiste manipulateur, détient désormais sur moi des informations qui pourraient me faire plonger. Il m'a fait sauter pieds joints dans un piège qui avait l'apparence inoffensive d'une flaque d'eau dans laquelle sautent innocemment des enfants. J'enfouis mon visage entre mes mains. Je n'ai jamais été douée pour trouver des solutions à mes problèmes. Je m'en remets toujours à mes proches. Alors, lorsqu'une potentielle solution vient à moi, je relève la tête et me précipite jusqu'à mon téléphone.

Cela fait des semaines que je ne lui ai pas adressé la parole, mais je pense que je peux compter sur lui car il ne m'a jamais déçue.

Je dois contacter Charles.