Chapitre 3 : L’écho d’un soupir

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Les jours passaient. Un, deux, trois, puis une semaine tout entière.

Lena descendait chaque matin à la même heure, parfois un peu plus tôt, parfois un peu plus tard, espérant que, peut-être, le hasard lui sourirait encore.
Qu’un jour, les portes de l’ascenseur s’ouvriraient sur lui.

Mais chaque matin, c’était le même frisson d’espoir... suivi de la même déception sourde.

Le silence de l’ascenseur devenait presque cruel. Chaque voisin était un rappel de son absence.
Il y avait la vieille dame au chien nerveux, le type du cinquième qui sentait toujours la cigarette froide, la mère débordée avec son sac de couches.
Mais jamais lui. Jamais cette silhouette élancée, ce manteau anthracite. Jamais ce regard d’acier qui l’avait un jour transpercée comme une lame tiède.

Lena en venait à guetter le moindre son dans le couloir.
Chaque cliquetis de serrure, chaque pas dans l’escalier devenait un signal potentiel.
Une tension constante s’était installée, une alerte silencieuse logée quelque part entre ses côtes.

Au travail, elle maintenait l’illusion, ou du moins, elle essayait.
Les mots peinaient à venir, les idées semblaient fades, les réunions s’étiraient sans qu’elle n’y trouve d’intérêt.
Et Gaëlle voyait clair dans son jeu.

— Je commence à penser qu’il est le fruit de ton imagination, déclara-t-elle un midi en piquant une tomate cerise dans sa salade. Genre, tu sais, le fantasme de l’inconnu sexy. Le mec de pub pour parfum qui sent le pin et le danger.

— Très drôle, grogna Lena sans relever les yeux.

— Sérieusement, t’as pensé à contacter un médium ? Ou à faire une séance d’hypnose pour te rappeler si c’était pas juste un rêve ?

Lena eut un rire triste, secoué par le manque de sommeil et l’attente constante.

— Tu rigoles, mais je crois que je deviens folle. Il me manque, Gaëlle. Et je ne connais même pas son nom.

Gaëlle s’adoucit aussitôt. Elle reposa sa fourchette et pencha légèrement la tête, ses longs cheveux blonds glissant sur ses épaules.
Elle avait ce visage doux, lumineux, encadré d’une frange qui lui donnait un air faussement naïf.
Ses yeux bleus pétillaient d’espièglerie, mais aussi d’une vraie tendresse.

— Hey... il t’a regardée comme un mec qui voulait dire plus qu’un bonjour. Je le sais, je le sens. Tu peux pas avoir inventé ce genre de tension. T’as un radar pour ce genre de choses.

— Mon radar est cassé. Il me donne des faux positifs.

— Ou alors c’est lui qui est timide. Ou marié. Ou en cavale. Peut-être qu’il est revenu dans sa dimension.
Moi je vote pour l’option espion russe.

— Tu penses qu’il parle français avec un accent sexy ?

— Je l’espère. Sinon tout ça n’a aucun sens.

Lena rit, un rire fragile mais sincère.

Gaëlle lui offrit une gorgée de son café glacé et l’observa longuement.

— Tu sais... ce que tu ressens là, c’est rare. Même si c’est incomplet. Même si c’est absurde. C’est un appel. Et même s’il ne revient pas... ça veut dire quelque chose.

Le soir venu, Lena rentra en traînant les pieds.
Elle resta un instant devant l’ascenseur, immobile.

Elle n’espérait même plus vraiment.
Mais son corps, lui, continuait d’espérer.
Comme si la mémoire de ses nerfs avait gardé la trace de ce frisson, de ce battement trop fort.

Les portes s’ouvrirent sur le vide. Encore.

Elle entra dans la cabine, la porte se refermant avec un léger « clac ».
L’espace était clos, intime. Un silence lourd.

Le bruit de la cabine laissait échapper des échos étouffés, et Lena se laissa aller, s’appuyant contre la paroi froide.
Ses yeux se fermèrent, un frisson parcourant sa peau, comme si l’ascenseur lui-même résonnait du manque de sa présence.

Elle se laissa glisser, la tête basculée en arrière, le souffle court, son cœur battant la chamade dans sa poitrine.

Elle s’imagina, une fois de plus, le croiser là, dans ce même espace exigu.
Il entrerait, avec ce regard ténébreux et calme, un sourire à peine esquissé, comme si ce moment entre eux avait un goût de déjà-vu.

Elle frissonna encore, cette pensée simple, mais brûlante.

Ses doigts effleurant sa nuque, la douceur de ses mains, l’invisible tension qui serait entre eux...
C’était une sensation diffuse mais vive, un feu froid qui lui enserrait le ventre, un désir qui naissait sans raison.
Un désir impossible. Peut-être irréel.

Elle rouvrit les yeux, et la réalité se remit en place, lourde et frustrante.

Le vide. Encore.

Mais au fond d’elle, l’illusion persistait, vive et colorée, comme une brume enivrante.
Elle sentit la chaleur se répandre en elle, et son corps réagit contre sa volonté.

Elle était seule, et pourtant, ce manque était là, palpable.

Elle leva les yeux au plafond, comme si elle espérait y voir son visage, comme s’il pouvait surgir de nulle part.

Ses pensées se mêlaient, confuses et insaisissables.
Elle se sentait fragile, presque vulnérable, suspendue entre le réel et l’imaginaire.

L’ascenseur, cet espace clos, devenait un miroir de son propre désir, comme un reflet où il était toujours là, bien qu’invisible.

Elle aurait voulu l’appeler, le crier, mais tout ce qu’elle trouva à faire, c’était de se laisser envahir par cette sensation étrange, la chaleur de la pensée de lui, qui la brûlait sans cesse, la submergeait.

Le léger « ding » de l’ascenseur la ramena à la réalité, la cabine arrivant à son étage.

Mais avant que les portes ne s’ouvrent, elle ferma les yeux un instant.
Ses lèvres s’entrouvrirent à peine, comme pour murmurer un mot qu’elle n’avait jamais dit, un nom qu’elle ne connaissait même pas.

Puis, la porte s’ouvrit, brisant l’illusion.

Elle descendit lentement, son corps encore tendu, comme une corde prête à se rompre.

Quand elle franchit le seuil de son appartement, elle se sentit étrangère à elle-même.

Son cœur battait toujours plus vite, et ce frisson, celui qui l’avait envahie dans l’ascenseur, la suivait comme une ombre.

Elle se laissa tomber sur le canapé, épuisée, le souffle lourd, son esprit en vrac.

C’était absurde. Irrationnel. Mais il n’y avait rien à faire.
Il était là, dans chaque geste, dans chaque pensée.
Comme une présence absente.

Elle se leva lentement, se débarrassant de ses vêtements sans énergie, et alla dans la cuisine se préparer un simple dîner.

Elle n’avait pas faim, mais elle avait besoin de remplir ce vide, de tuer un instant.
Un bol de pâtes au pesto qu’elle avala sans goût.

Gaëlle lui avait proposé une sortie ciné, mais elle n’avait pas eu le cœur.
Ce soir, elle avait besoin de rester seule avec cette absence.

Après avoir rangé à moitié, elle alluma quelques bougies, tamisa les lumières, et sortit sa guitare.
Une habitude, presque un besoin.

Les cordes sous ses doigts, la vibration du bois contre sa peau... c’était sa manière de respirer autrement.

Elle commença par quelques accords simples, puis ses doigts glissèrent lentement sur le manche.
Sa voix s’éleva, douce et rauque, un murmure plus qu’un chant.

Les notes vibraient d’un manque qu’elle ne comprenait pas encore complètement.

Elle chantait pour lui, sans le savoir, pour cet inconnu qui avait planté quelque chose en elle.

Et plus elle jouait, plus elle s’abandonnait.
Sa musique devenait plus lente, plus sensuelle.
Comme si chaque note cherchait à dire ce qu’elle n’osait pas penser tout haut : qu’elle le voulait.

Non pas juste revoir son visage, mais sentir sa présence, son souffle, son parfum boisé contre sa nuque.

Ses mains, ses yeux, son regard sur elle.

Tout en elle résonnait d’un besoin nouveau, inavouable.
Une fièvre douce et obsédante.

Quand elle posa finalement la guitare, elle se sentit nue.
Vide.

Elle alla se coucher en silence, traversant l’appartement comme une somnambule.

Allongée dans le noir, les draps froids contre sa peau, elle laissa son esprit dériver.

Elle l’imagina de nouveau.
Là, face à elle, dans l’ascenseur.

Elle se voyait approcher, cette fois.
Lui demander son prénom.
Lui dire le sien.

Et peut-être, dans ce rêve-là, il l’aurait touchée.
Juste frôlée du bout des doigts.

Elle soupira, un souffle chaud dans l’obscurité.

— Reviens...

Et elle s’endormit, le cœur étreint d’un espoir silencieux, les cordes de sa guitare encore vibrantes dans le creux de la nuit.

Mais juste avant de sombrer, une pensée s'imposa, fugace et troublante.

Et s’il n’avait jamais existé ?

Lena ouvrit les yeux dans le noir, le souffle suspendu.

Et si elle avait rêvé cette rencontre ?
Si son esprit, épuisé de solitude, avait simplement créé cette présence, ce regard, cette voix grave ?

Elle se mordit la lèvre.

Non… C’était réel. Ça devait l’être.

Mais alors… pourquoi avait-il disparu ?

Elle ferma les yeux à nouveau, cherchant à se rassurer.

Peut-être que demain…
Peut-être qu’au prochain « ding »…

Et doucement, elle glissa dans le sommeil, entre désir et doute, bercée par l’écho d’un regard dont elle ne savait plus s’il était un souvenir… ou une invention.

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