C'était midi sur la place publique. Les rues de la capitale bordant le château étaient emplies de l'agitation des commerçants qui vantaient leurs produits et des clients qui faisaient leurs emplettes. L'air charriait les bruits d'ardentes négociations tandis que des enfants couraient en tout sens en jouant, ce qui ne manquait pas d'agacer les passants.
C'est alors que le pont levis s'abaissa bruyamment. Tous cessèrent momentanément leurs activités pour regarder ce qui se passait.
Monté sur une jument à la robe blanche, un héraut en pourpoint ocre et mauve fit irruption sur la place publique, escorté de quatre hommes d'armes à cheval.
Le héraut regardait la foule d'un regard hautain, comme si ces vilains risquaient de lui transmettre la peste. Il pressait nerveusement entre ses doigts boudinés un parchemin marqué du sceau royal.
Au centre de la place se dressait une estrade servant pour les déclarations officielles. C'est là que le héraut se dirigea avec son escorte lourdement armée qui fendait la foule sans difficultés. Les manants reculaient, effrayés par leurs destriers massifs.
Le héraut mît pied à terre une fois monté sur l'estrade. Il déplia son parchemin d'un geste souple tandis que d'une main il agitait une petite clochette en bronze pour attirer l'attention.
- "À l'attention de tous les fidèles sujets du roi et ceux dans tout le royaume. Ceci est une déclaration de la plus haute importance, et chacun se doit de l'écouter et de transmettre l'information à ses proches. Après de longues et minutieuses études, d'après les météorologues, les astrologues, les augures et les diverses informations glanées par nos savants, nous avons le regret de vous annoncer que tous les indices semblent démontrer que le temps des brumes est de nouveau sur nous."
Un murmure de panique accueillit cette déclaration.
- "Pendant toute la durée du temps des brumes, le roi recommande vivement à tous ses sujets de ne pas sortir de chez eux passé cinq heure de l'après midi, et de se mettre en route vers leurs demeures sitôt que le soleil commence à se coucher. Il est recommandé de bloquer toutes les issues des maisons après le coucher du soleil et de n'ouvrir ni les portes ni les fenêtres avant que le jour ne se soit bien levé. Nous vous recommandons de ne pas ouvrir vos portes à des étrangers ni à qui que ce soit une fois la nuit tombée, pas même des membres de vos familles. Les personnes n'ayant aucun abris pourront trouver refuge aux monastères, s'ils se présentent avant la nuit. Sa gracieuse majesté recommande à tous les propriétaires de bétail de garder celui ci dans un lieu de préférence inaccessible et éloigné autant que possible des villes. Il est également recommandé de procéder à un stockage important des denrées alimentaires dans les prochains jours en prévision du temps des brumes. Le château royal sera farouchement gardé. Des patrouilles de soldats armés sillonneront les rues entre cinq heures de l'après midi et le coucher du soleil. Des torches seront allumées dans les ruelles et sur les places publiques. Vous saurez reconnaître comme le roi se soucie de votre sécurité, et sur ceux nous vous enjoignons à tout faire pour assurer votre propre survie durant les temps difficiles qui s'annoncent."
Sur ces mots, il roula son parchemin, feignant d'ignorer la réaction de la foule. Ici et là des gens se lamentaient. Des vieillards pleuraient. Les mères rappelaient leurs enfants comme pour s'assurer qu'ils étaient toujours là; enfants qui, pour la plupart, s'étaient figés, tétanisés par la peur.
Le héraut monta en selle et repartit vers le château sans se retourner. Le pont levis fut relevé derrière lui, et on ne vit plus qu'un mur de pierre pour répondre au désarroi du peuple.