Lume

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Tout était silencieux. Rien ne venait rompre cet affreux silence qui m’entourait. Je n’entendais pas même mes propres pas, ces derniers étant étouffés par le tapis recouvrant le sol. Je continuais de déambuler, tout en prêtant une extrême attention à ce qui se trouvait autour de moi en espérant enfin trouver mon compagnon de route et ami d’enfance. Mais après encore quelques minutes il n’y avait toujours aucun signe d’une personne dans les alentours…Dès que j’aperçus un mouvement dans l’escalier au bout du corridor, je me précipitai dessus pour savoir de quoi ou de qui il s’agissait. Je dévalai à toute vitesse les escaliers et une fois arrivée à l’étage inférieur je vis une forme humaine tourner à l’angle du couloir. Cette fois encore je me dépêchai pour ne pas perdre de vue cet individu qui pourrait peut-être m’aider. Néanmoins je remarquai très vite que cette dernière était très rapide, trop rapide pour que je puisse la rattraper. J’hésitai pendant un fragment de seconde avant d’accélérer ma course le plus possible. Je bifurquai à gauche comme l’être l’avait fait avant moi. Je continuais ma course effrénée en reprenant mon souffle lorsque cela était possible et essayais de suivre tant bien que mal la personne devant moi, très loin, trop loin devant moi. Je venais de perdre sa trace…

Je m’étais posée sur le rebord d'une fenêtre pour reprendre tranquillement mon souffle et pour observer le paysage entourant le sanctuaire mais c’est moi qui me sentais observée, alors sans même me retourner vers ce regard qui me transperçait le dos sans pitié je pris la parole.

- Que me veux-tu à la fin ? Vas-tu te décider à me parler ? Demandai-je agacée.

Aucune réponse ; évidemment. Je détournai le regard de la fenêtre pour considérer la jeune fille qui était venue dans ma chambre ce matin.

- On me surnomme Lume. Et toi, quel est ton nom, ou ton surnom ?

- A la Cour on me nomme Caeda cependant, mon nom complet est…est…

Je ne sus prononcer haut et fort mon nom complet tant cela faisait longtemps que plus personne ne l’avait fait, hormis ces dernières heures. Moi-même j’avais cessé de le prononcer peu de temps après ce qu’il m’était arrivé. Et maintenant je ressemblais à une idiote qui était incapable de se présenter, quelle sotte je faisais! Je voulus réessayer mais là encore, les mots moururent au fond de ma gorge. Je pris une énième inspiration afin de me présenter, mais mon interlocutrice le fit à ma place...

- Tu te nommes Achlys Erolwyn si je ne m’abuse. Ricana-t-elle.

Je n’eus aucune réaction suite à cette phrase, à laquelle je ne m’attendais aucunement. Je ne savais pas si c’était une bonne chose ou non qu’elle sache qui j’étais.

- De toute évidence je me suis trompée. Tout de même une jeune fille de ce rang et de ce nom ne resterait pas bêtement là à regarder son interlocuteur. Peux-tu au moins me dire où je peux trouver notre princesse en cavale ? Ou ne sers-tu vraiment à rien ? Me demanda-t-elle pour me provoquer.

- Je suis la prin- princesse. Dis-je avec hésitation et embarras suite à ces paroles insultantes que l’on venait de m’adresser. Je baissai les yeux, réellement honteuse de mon bégaiement.

Elle semblait étonnée mais ravie en un sens de me voir admettre mon titre, quand bien même je ne méritais plus de le porter. Je fus sortie de mes pensées, bien qu’elles furent courtes, lorsque la dénommée Lume s’agenouilla avec précipitation fulgurante à mes pieds. Je restai pantelante, ne sachant ce que je devais faire dans ce genre de situation. Je réfléchissais à une vitesse folle lorsque plusieurs souvenirs me revinrent en mémoire.

Je voyais à tour de rôle, des gardes s’agenouiller devant notre Reine, cette dernière attendait quelque secondes avant de leur dire avec une diction parfaite qu’ils pouvaient, mais aussi devaient, se relever. Je me revoyais moi-même faire une révérence à la Reine et à d’autres membres de la Cour. Je devais toujours attendre un signe ou une parole qui m’indiquait que je pouvais cesser de courber l’échine. Plus loin encore je me souvenais de moi étant jeune, il y avait un défilé de courbettes qui se déroulait devant mes yeux. Et chaque fois je devais leur toucher l’épaule pour signifier aux personnes sous mes yeux qu’ils pouvaient cesser leur révérence.

Je compris donc ce que je devais faire. Je me suis donc lentement approchée de la jeune femme devant moi pour pouvoir ensuite lui effleurer avec délicatesse l’épaule. Elle releva la tête rapidement et dans son regard je vis de l’étonnement mélangé à de la satisfaction. Pourquoi donc cet étonnement ? Elle-même avait dit que j’étais de sang royal, elle devait donc se douter que je connaissais la façon de faire ! Ou bien était-elle comme moi à se demander si je savais comment réagir face à son propre geste ? Je ne saurais le dire et cela me frustrait. Que devais-je en penser ?

- Lume, saurais-tu où se trouve le fils de l’Eynon ? Je dois lui poser des questions de toute urgence. La questionnai-je avec politesse.

- Tout le monde est sorti, ils se sont tous rendus à la fête qui se déroule pas très loin du sanctuaire. Souhaitez-vous que je vous y conduise ?

- Ce serait très aimable à toi. Mais avant cela puis-je te demander où se trouve l’homme qui est venu te rejoindre dans ma chambre ?

- Il est parti à cette même fête.

J’hochais la tête et fis signe à Lume que nous pouvions désormais y aller. Elle commença à se diriger vers un escalier que je n’avais absolument pas vu lors de mon arrêt pour reprendre mon souffle. Je ne dis rien et tentai de lui faire un tant soit peu confiance en la suivant sans protester. Une fois descendu je remarquai très vite que nous étions dans le grand hall du sanctuaire. J’eus un instant de doute,me souvenant que le jour précédent la porte était restée fermée lorsque j’avais tenté de sortir de ce lieu. Cependant cette fois ci la porte n’émit aucune résistance lorsque Lume la tira, laissant la lumière extérieure baigner d’une étrange clarté tout le hall. Lume posa un pied dehors et j’en fis de même, observant le jardin bordant le Sanctuaire.

Lume se dirigeait vers un bâtiment que je n’avais pas remarqué lorsque nous étions arrivés la veille au soir. Elle entra dans cette bâtisse, tout aussi blanche que le Sanctuaire lui-même. Je la talonnais et y découvris des chevaux répartis dans différents box. Cette écurie avait tout de moderne, tout comme le lieu de vie des Gardiens. Il semblerait qu’homme et animaux aient le droit au même confort. Je pus reconnaître mon étalon, et me précipitai à ses côtés pour lui apporter caresses et tendresse. Je jetai un rapide coup d’œil au-dessus de mon épaule et aperçut Lume auprès d’un magnifique cheval à la robe blanche et grise. Elle le fit sortir de son box pour commencer à le préparer. J’aurais voulu en faire de même mais je ne savais pas comment faire. J’attendis donc patiemment qu’elle finisse de s’occuper de son propre cheval. Dès que ce fut fait, elle se tourna vers moi et découvrit mon inexpérience. Elle vint vers moi et scella mon cheval sans pour autant faire de commentaire. Je la remerciai en silence car je n’aurais pas supporté devoir lui rappeler que j’avais été enfermée dans une même pièce pendant de longues années. Je n’hésitai tout de même pas une seule seconde pour la remercier de vive voix dès que mon étalon fut près à partir, grâce à elle et non à moi. Nous étions ainsi prêtes à partir vers ce village.

Cela faisait désormais une dizaine de minutes que nos chevaux galopaient à la lumière aveuglante du Soleil. Lume et moi ne parlions pas mais échangions des regards de temps à autre et parfois même un léger sourire. Occasionnellement ma nouvelle camarade me désignait une route, un animal qui me fascinait. Je découvrais mon pays comme pour la première fois et j’aurais pu me qualifier moi-même d’avoir l’air d’une enfant enthousiaste et émue face à une faune et une flore des plus gracieuses et délicates. J’étais subjuguée par tout ce qui m’entourait mais le moment le plus envoûtant fut lorsqu’un loup courut à mes côtés, j’aurais pu lui donner une caresse mais cela aurait pu le faire fuir rapidement alors j’ai préféré admirer sa pureté. Je ne pouvais pas voir s’il s’agissait d’un mâle ou d’une femelle mais je ne pouvais détourner mon regard de cet animal aussi majestueux que dangereux. Cet instant ne dura pas plus de deux minutes mais cela suffit à m’emplir de bonheur pour le reste de la journée, quand bien même celle-ci avait très mal débutée.

Peu de temps après la courte apparition du loup, je commençai à discerner au loin un village, qui semblait chaleureux, mais surtout très vivant. Je me souvins alors que Lume m’avait dit qu’aujourd’hui était jour de fête chez eux. Mais quelle fête au juste ? Je n’avais pas de réponse à cette question mais j’en aurais une dès que j’aurais retrouvé Owein. Une fois aux abords du village, Lume prit la parole.

- Je ne saurais vous dire où précisément se trouve le fils de l’Eynon, mais je peux vous assurer qu’il se trouve à cette fête, affirma-t-elle.

- Merci Lume, je vais aller le chercher. C’était un plaisir d’avoir pu échanger avec toi. Je lui fis un signe de tête comme un au revoir mais elle m’interpella de nouveau.

- Attendez ! Je ne vais pas vous laisser seule, alors que vous ne connaissez pas le village.

- Et toi, le connais-tu ? Demandai-je, curieuse.

- Oui, c’est là que j’ai grandi. Je connais chaque recoin ici. Et, croyez-moi, il y en a plus que ce qu’il n’y paraît!

- Dans ce cas je te suis, il serait idiot de se perdre maintenant. Surtout que je suis pressée de retrouver mon camarade.

- Puis-je vous poser une question avant? Bien sûr vous n’êtes pas obligé d’y répondre si vous ne le souhaitez pas. S’empressa-t-elle d’ajouter.

- Je suis tout ouïe. Lui répondis-je, avec tout de même un peu de réticence.

- Vous semblez pressée de partir loin d’ici, mais pourquoi ? Ne vous sentez-vous pas à l’aise au sanctuaire ? Les Gardiens ne sont-ils pas chaleureux et accueillants?

- Je… Ce n’est pas contre les Gardiens. Mais non en effet je ne me sens pas du tout à l’aise là-bas. Lui dis-je avec honnêteté.

- Pourquoi donc? Ils n’oseraient jamais vous faire du mal vous savez.

- Et bien, le peu que j’ai vu, m’a fait me sentir en danger si je restais plus longtemps. Visiblement, nous n’avons pas le même point de vue sur ces personnes…

- A cause de votre passé ? Je veux dire, pensez-vous que c’est à cause de votre passé qu’ils puissent agir ainsi à votre égard?

- Je ne vois que cette explication. Lorsqu’Owein m’a révélé notre destination, je lui ai pourtant dit que ce n’était pas une bonne idée, pas du tout même. Mais il ne m’a pas écouté car il ne fait que “suivre les ordres”… Après tout, je suis maudite, n’est-ce pas ? Alors ce serait logique que les Gardiens veuillent se débarrasser de moi.

- Je n’ai pas les capacités d’approuver ou de contredire ceci.

J’émis un petit rire à la suite de ces mots qui en un sens m’apportèrent un peu de réconfort. Non pas parce que Lume disait être incapable de me répondre mais parce que je pouvais voir la tristesse dans ses yeux. Elle aurait réellement voulu avoir une réponse à m’apporter. Comment pourrais-je rester de marbre face à cela ? C’est pourquoi j'affichai sur mon visage un sourire radieux et sincère, le premier depuis des lustres, et ce dernier était destiné une parfaite inconnue à mes yeux.

- Lume, je te remercie pour ta sincérité. Cela fait du bien de voir quelqu’un d’enfin honnête avec moi, quelqu’un qui n’a pas peur de dire ce qu’il pense, sans pour autant vouloir me blesser. Alors merci, vraiment.

- Et bien, je ne fais qu’être moi-même. Me répondit-elle, le rouge aux joues. Je ne voudrais pas vous blesser, du moins pas intentionnellement, mais j’apprécie dire ce que je pense, car la sincérité compte plus que tout le reste dans notre monde ces derniers temps. Et pourtant il est rare de voir quelqu’un s’exprimer avec honnêteté surtout lorsqu’on ne connaît pas la personne. Elle s’arrêta de parler et rougit de plus belle. Veuillez m’excuser, je divague complètement…

- Je préfère cela à quelqu’un qui, après un remerciement, n’y répondrait même pas !

Cette fois-ci nous rigolâmes ensemble, un doux sourire sur nos visages.

Nous avions repris nos recherches depuis quelques minutes, et nous n’avions presque pas avancé dans le village tant il y avait de monde. Mais c’est pourtant à ce moment-là que je le vis au loin avec EÒghan à ses côtés. Je ne réfléchis pas plus longtemps avant de sauter aux pieds de mon cheval pour me diriger à grand pas vers mon « ami ».

Je devais jouer des coudes pour avancer plus vite mais cela ne changeait presque rien, il y avait trop de monde et personne ne semblait vouloir me faciliter le passage. J’étais bousculée et je bousculais aussi, cela ne m’aidait vraiment pas à avancer vers la personne que je cherchais. C’est pourquoi je fis quelque chose que j’espérais ne pas avoir à regretter dans quelques instants. Je pris une grande bouffée d’air avant de tonitruer “Owein Curaidh!!!” . Et là, miracle, un silence de plomb s’abattit sur la foule et toutes les personnes présentes tournèrent le regard vers moi avec des yeux ronds. Personne ne devait s’attendre à ce que quelqu’un hurle un prénom pendant la fête. J’essayai de me faire toute petite mais cela ne servait plus à rien, les habitants et voyageurs m’avaient tous dans leur ligne de mire.

Je pris donc mon courage à deux main pour continuer mon chemin jusqu’à Owein. Je n’avais plus besoin de jouer des coudes, tout le monde s’écartait sur mon passage. Dès que je fus devant lui, je lui décochai un coup de genoux dans le ventre tout en lui disant :

- Ça c’est pour hier soir et pour m’avoir laissé seule.

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