Décision
Owein se tordait de douleur à cause du coup que je venais de lui porter. Je ne devais pas l’avoir loupé au vu de la grimace de douleur que son visage arborait. Cela me gonfla de fierté, une fierté mal placée je devais l’avouer mais le plus important était qu’il se souvienne de ce jour. J’entendis une personne étouffer difficilement son envie de rire, ce que moi je ne fis pas, je ne me retenais pas, pas même par « amitié » pour lui, non. J’explosai de rire sans retenue, et très vite les larmes me montèrent aux yeux, et je commençai à avoir affreusement mal aux côtes tant j’étais pliée en deux, face au désarroi de la foule. Je tentai de me calmer mais lorsque je réprimais un rire cela ne faisait qu’empirer la chose. Il me fallut quelques minutes encore pour retrouver mon sérieux malgré un sourire rieur toujours sur mon visage.
Lorsque je baissai ma tête de nouveau vers Owein je pensais le trouver rouge de douleur, mais ce ne fut pas le cas. Non, sur son visage se trouvait un sourire timide. J’en fus heureuse, mon but n’était pas de le contrarier en riant de bon cœur, mais je n’avais su réprimer mon fou rire. Cependant, son sourire s’évanouit aussi vite qu’il était apparu, et au même instant j’entendis une personne se racler la gorge. Je dirigeais donc mon regard vers la personne en question et vis EÒghan qui lui ne souriait pas du tout. A croire, qu’il n’avait jamais connu de situation amusante ou qu’il ne savait pas ce que cela signifiait, ou simplement qu’il était né avec cet air sérieux scotché au visage. Je perdis mon sourire également, mon inquiétude et ma méfiance revenant au galop. Je me rappelais aussi les raisons de ma venue…
-Bien maintenant que j’ai cessé de rire, aurais-tu l’obligeance de me dire ce qu’il s’est passé hier soir et pourquoi je me suis retrouvée seule depuis? Interrogeai-je Owein.
-Tu n’étais pas seule, Lume était avec toi. Répondit-il en esquivant ma première question.
- N’esquive pas ma question Owein. Tu as très bien compris ce que je veux savoir.
Il soupira doucement, avant de lever les yeux vers moi. Je pus y voir une certaine inquiétude. Je le dévisageais en attendant qu’il prenne la parole, mais il ne le fit pas. J’allais insister mais je fus interrompu par EÒghan.
- Mademoiselle, c’est à moi que vous devez poser ces questions et non au fils de l’actuel régent. Alors je vous en prie, suivez-moi un peu plus loin, nous pourrons discuter tranquillement sans que personne n’interfère dans notre conversation. Me pria-t-il.
- Bien, puisque je ne semble pas avoir le choix. Répondis-je sèchement.
Il nous fallut plus de temps que prévu pour atteindre le coin d’une petite ruelle mal éclairée par la lumière naturelle, tant la foule était compacte. Une fois à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes, EÒghan se tourna vers moi pour me regarder longuement. Lui aussi ne semblait pas vouloir prendre la parole en premier. Je pris alors une profonde inspiration avant de reprendre là où nous nous étions arrêtés quelques minutes auparavant..
- Bien! Alors? J’attends des réponses, messieurs.
- Hier soir, nous avons dû vous assommer pour éviter tout dégât qui aurait pu causer non seulement des blessés mais aussi des morts. Grogna EÒghan à mon encontre.
- Je ne comprends pas. Répondis-je confuse.
- Achlys, tu commençais une crise, m’expliqua Owein avec douceur, et c’est moi qui ai suggéré de t’assommer. Jamais au palais nous n’avons réussi à empêcher une crise alors dans l’urgence je n’ai trouvé que cette idée. M'expliqua-t-il, penaud.
Je restai estomaquée face à la révélation d’Owein. J’allais pour dire quelque chose mais les deux hommes ne m’en laissèrent pas le temps.
- Quant au fait que vous étiez seule en compagnie de Lume, c’est parce que les Gardiens du Sanctuaire ne loupent jamais cette fête, et le fils de notre Régent voulait voir par lui-même cette prodigieuse assemblée. Cependant, il ne voulait pas vous savoir totalement seule dans un lieu encore inconnu pour vous c’est pourquoi j’ai fait appel à Lume pour qu’elle vous surveille le temps que vous repreniez connaissance. Ce qui est surprenant c’est que cela ait pris autant de temps, m’expliqua EÒghan, l’air songeur.
- Soit. Sur ce, je vais vous laisser, j’ai de la route à faire.
- De quoi parles-tu Achlys ? Tu restes avec moi et c’est non négociable. J’ai une mission, qui est de te protéger et de te mettre en sûreté le temps que l’on trouve au royaume une nouvelle Reine digne de ce nom !
- Owein, je te remercie mais je ne peux décemment pas rester au Sanctuaire…
EÒghan nous interrompit pour nous dire que nous pouvions rester tout le temps que nous voudrions avec les Gardiens et lui-même. Que cela ne posait de problème à personne. Il attendit que je réponde mais je ne parvenais pas à me défaire de la première impression que j’avais de lui et des autres Gardiens. Je n’arrivais pas à prendre de décision si bien que j’en vins à mordre ma lèvre inférieure. Je m’arrêtai soudain lorsque je sentis un goût de fer emplir ma bouche, puis ma gorge. Je regardai à tour de rôle Owein, EÒghan et Lume, qui nous avait rejoints. Je baissai la tête, pour essayer de me concentrer pour tenter de savoir quelle décision serait la meilleure à prendre. Cependant, il m’était difficile de me concentrer, le brouhaha de la foule m’en empêchant. Mes membres commençaient à trembler sans que je ne puisse me contrôler, et c’est là que je sentis une main chaude et réconfortante se poser sur mon épaule, puis m’attirer à lui. Je pus reconnaître la carrure et la force d’Owein. Je ne me détendais pas pour autant. Mais je pouvais affirmer que c’était mieux ainsi. Je me laissai aller contre mon ami d’enfance et respirai bruyamment comme je le faisais au palais lorsque je sentais une crise arriver. Seulement aujourd’hui je n’étais pas seule dans mon immense chambre. Non, aujourd’hui j’étais entourée d’un village entier, rempli d’innocents villageois et d’étrangers. J’étais entourée de mon peuple et je devais tout faire pour éviter la catastrophe. Je levai les yeux vers Owein pour lui souffler une seule et unique phrase.
- Fais ce qu’il faut pour les sauver…
Alors une nouvelle fois je plongeai dans le noir, après avoir vu Owein le visage coupable.
*****
Lorsque je me réveillai une fois encore, je me dis que cela devenait trop répétitif. Je me redressai doucement sur mes coudes et vis la même chambre que la fois d’avant. Je tournai avec douceur ma tête vers la porte qui venait de s’ouvrir, et découvris Owein avec une petite mine d'excuses. Je levai un sourcil pour lui montrer mon incompréhension. Il ne répondit pas tout de suite mais je sentais qu’il allait bientôt commencer à m’expliquer ce qu’il s’était passé suite à mon début de crise.
- Personne n’a été blessé ne t’en fais pas, tout s’est arrêté lorsque tu t’es évanouie suite au coup que je t’ai infligé. Nous n’avons eu aucun mal à te ramener au sanctuaire, au contraire! Les Gardiens t’ont tous porté à un moment donné, si je puis dire sans broncher. Comment te sens-tu d’ailleurs, je ne t’ai pas demandé, excuse-moi.
- Je me porte bien Owein, mais je dois me lever pour partir désormais. J’essaierai de trouver un endroit hors de vue, où personne ne pourra me trouver. Puis je tenterai de quitter le pays. Si j’y parviens, je t'enverrai une missive. Dans le cas contraire, ne fais rien d’irréfléchi pour tenter de me protéger ou quelque chose du genre. Compris ?
- Non. Il est hors de question que tu quittes le Sanctuaire de Khyal et encore moins Efeilliad ! C’est ton royaume, et tu en es la Reine légitime. Tu te dois d’y régner.
- Je ne suis même plus Princesse! Alors être la Reine ? Sérieusement, Owein, réfléchis deux minutes. Personne ne voudra de moi pour diriger ce royaume, le peuple ne sait même pas que je suis bien vivante. Et de toute manière les habitants ne me feraient pas confiance…
Le silence accueillit mes dernières paroles avec froideur. Je n’osais pas lever les yeux vers mon ami, je ne voulais pas y voir un quelconque sentiment qu’il pourrait avoir envers moi. Je ne voulais aucune pitié, aucune tristesse, rien. Il aurait très bien pu refuser de m’aider à m’échapper lorsque Qhetheia nous a quittés, et ne pas m’emmener voir ce Gardien. Il faut dire que s’il n’y avait pas Owein, il y aurait eu de grande chance pour que les Gardiens me refusent l’accès à leur lieu si pieux, si pur.
Je poussai un long soupir de frustration. Jusqu’ici, Owein n’avait fait qu’obéir aux ordres de son père, mais s’il n’avait pas voulu le faire alors je serais encore au palais de Mintery. Déjà petit il avait un sacré caractère : s’il ne voulait pas faire quelque chose, alors il ne l’effectuait pas. Des tas de souvenirs me revenaient mais ce n’était pas le moment pour se remémorer notre passé commun. Non pour l’heure je devais faire un choix : rester auprès d’Owein et des Gardiens ou partir loin de toute cette histoire. Et là encore deux options s’offraient à moi. Soit je prenais un temps pour y réfléchir mûrement, soit au contraire je prenais la décision maintenant, sur le tas. Je me décidai à lever le regard vers Owein et y vis de l’appréhension. Cela finit de m’achever.
- Je reste au moins ce soir, pour réfléchir uniquement. Le prévins-je. Je ne sais pas quoi décider pour le moment, tant c’est important, cependant cela ne garantit aucunement un séjour à long terme. Et je pourrais confirmer le proverbe qui dit que la nuit porte conseil.
Owein esquissa l’ombre d’un sourire mais redevint vite sérieux, comme il sied à un jeune homme de son rang. Il s’approcha lentement de mon lit, sur lequel je me tenais toujours mi- allongée mi- assise. Je me mis à penser qu’il prenait énormément de temps pour franchir seulement quelques petits mètres. Néanmoins une fois qu’il fut à côté de moi je me demandai la raison de son comportement étrange. Je devais désormais me tordre le cou pour pouvoir le regarder droit dans les yeux. Il se baissa à ma hauteur et m’embrassa le front. Je tressaillis légèrement lorsque je sentis ses lèvres sur ma peau. Que signifiait ce geste? Je ne me souvenais pas que ma mère puisse avoir déjà fait cela lorsque j’étais enfant, quand j’étais encore une jeune enfant normale. Avant l’accident. L’accident. Ce moment restera à jamais gravé dans ma tête et sur mon corps. Ce souvenir qui continuait encore de me hanter la nuit après des années. A cet instant je compris. Je compris qu’il m’était impossible de pouvoir vivre seule dans ce monde, sachant que je n’en connaissais que les horreurs. Je ne survivrais pas plus d’une heure. Tout compte fait, ma décision était prise, si je voulais quitter un jour Efeilliad il fallait indéniablement que je reste en vie. Et pour cela, je devais rester avec Owein. Seul lui pouvait me protéger des autres et de moi-même. Je pris une petite inspiration avant de prendre la parole.
- Owein ? L’appelai-je dans un chuchotement.
- Oui ?
- Finalement, je vais rester un moment au Sanctuaire. Il n’y a que là que tu pourras m’empêcher de faire du mal au peuple que ma mère, et sa mère avant elle, avaient tant chéri. Si je pars, qui plus est sans toi, alors Efeilliad sera perdu.
- C’est agréable de t’entendre dire cela. Je me pose tout de même une question. Est-ce seulement le fait que tu puisses mettre en danger la vie d’autrui qui t’a fait changer subitement d’avis ? Ou y a-t-il autre chose encore ?
- Peut-être as-tu raison. Peut-être qu’il y a une autre raison derrière ce revirement de situation, Cependant-
-Cependant tu n’es pas prête à me le dire. Complèta-t-il ma phrase. Ou simplement n’es-tu pas prête à te l’avouer. Ajoute-t-il plus bas.
Je me doutais qu’il était conscient que j’avais entendu sa deuxième phrase, mais je n’y répondis pas pour autant. Je m’allongeai précautionneusement sur mon lit pour tenter de dormir, même si je venais de reprendre connaissance quelques minutes à peine auparavant. Owein comprit le message et se dirigea vers la porte avant de me souhaiter une bonne nuit. La dernière chose que je vis avant de sombrer une nouvelle fois dans les bras de Morphée fut la lune d’un rouge sang somptueux.
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