Haine et souvenirs

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Les paroles restaient ancrées dans ma tête depuis qu’il me les avait dites. Je ne pouvais pas arrêter d’y penser, ça m’obsédait. L’espace de ces quelques secondes j’avais pu retrouver mon ami d’enfance, celui avec qui j’avais fait les quatre cent coups, avec qui j’avais passé des journées à rire ; à faire des bêtises qui nous menaient à se faire gronder autant par sa mère que par la Reine, ma défunte mère. Cela ne nous empêchait pas de recommencer dès qu’elles avaient le dos tourné.

L’une des bêtises que j’ai préféré commettre fut le jour où Owein et moi nous sommes rendus dans les appartements de ma mère alors que celle-ci était en voyage pour la couronne. Nous y étions allés pour que je puisse essayer la majeure partie de ses diadèmes, mais nous étions jeunes et nous n’avions pas pensé au poids que pesait un diadème…Ce jour là, nous en avons brisé un, et lorsque ma mère est rentrée ce fut la première fois que je la voyais avec autant de colère dans le regard. Je l’avais déçue… Mais cela m'avait donné une leçon, aussi bien au sens propre qu'au sens figuré : la couronne pèse lourd sur la tête de celui qui la porte.

Cependant, cette leçon ne me fut pas d'une grande utilité, car environ un mois après, j'ai eu mon accident. Je ne me souvenais pas de tout et c'était ce qui me portait préjudice, encore aujourd'hui je subissais mon incapacité à me souvenir. Si seulement je pouvais décrire en détail ce qui m'avait attaquée ce jour, peut-être que nous aurions pu trouver une solution aux problèmes que je rencontrais depuis douze longues années. Des bribes de souvenirs m’étaient restées. Je me souvenais que je n'avais pas pu m'empêcher de me rendre dans la forêt d’Onyx, qui bordait le Marais Sacré. C’était comme si une force m'y avait attirée, me sommant de m'y rendre. Je ne savais pas si je m'étais beaucoup enfoncée dans cette forêt lugubre mais je pouvais dire qu'il faisait très sombre et que depuis longtemps il n'y avait plus de sentier tout tracé. Je me souvenais avoir vu deux immenses yeux de couleur différente. L’un était d’un jaune ambré et l’autre d’un bleu glacial. Je ne pouvais pas dire à quelle type de créature ils appartenaient mais ces yeux étaient envoûtants, je ne pouvais détourner le regard. La seconde suivante c’était le trou noir. Plus rien. Je ne me souvenais même pas des soldats qui m’avaient trouvé là, le dos couvert de sang noir poisseux. Je ne me souvenais pas qu’ils m’avaient porté jusqu’au Marais Sacré, pourtant lorsque j’ai rouvert les yeux c’est là que je me trouvais, avec ma mère à mes côtés.

Après mon réveil, tout s’est très vite enchaîné. Notre retour au palais avait été annoncé, un Gardien m’avait conduite dans mes appartements et m’y avait enfermée. De ma fenêtre j’ai pu entendre quelques bribes du discours de ma mère annonçant ma mort au peuple d’Efeilliad. Je me souvenais cependant très bien des réactions emplies de tristesse et de désespoir après cette terrible annonce. Et moi, j’étais là, seule et enfermée dans une chambre qui me paraissait bien trop grande pour la petite fille que j’étais. Je ne comprenais pas très bien les mots que ma mère venait de prononcer. Je ne comprenais pas encore leur sens. Maintenant que j’ai grandi, que je pouvais comprendre ce que ma mère leur avait dit, je lui en voulais de leur avoir menti, ils avaient le droit de savoir la vérité, quitte à ce que le peuple réagisse comme l’ont fait les personnes de la Cour. Le peuple méritait de savoir que j’étais vivante mais changée, au lieu de croire à une mort inexpliquée…

J’en voulais à tout le monde, mais surtout à tous ceux qui savaient. Qui savaient que j’étais loin de la mort, que j’étais même tout près d’eux. Ils n’ont rien fait pour m’aider. Ils m’ont simplement laissée pourrir là, dans le palais qui m’avait vu grandir, faire mes premiers pas, commettre mes premières bêtises. Ils m’ont laissée, sans rien d’autre que la solitude comme amie. C’est de là que venait ma haine, celle envers eux, les gens de la Cour. Je n’ai jamais rien demandé de leur part que je ne méritais pas. Pourtant, je n’ai jamais rien eu de plus que ce qu'un prisonnier, vivant au donjon, avait droit.

J’étais donc cela, une prisonnière et rien d’autre...Il était désormais temps pour moi de prendre ma revanche sur la Cour et sur ce qu’elle m’avait infligé pendant ces douze années. J’allais leur donner une raison valable de me craindre, et ils souffriraient autant que moi j’avais souffert. Ils regretteraient la vie qu’ils avaient lorsque la Reine Qhetheia était encore de ce monde, je le jurais devant Eeyr, je ferais de leur vie un enfer.

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