le début d'un cauchemar
Voilà maintenant une demi-heure que nous avions quitté le Sanctuaire, et c’était dans un silence mortel. Personne n’osait prendre la parole, sûrement parce qu’EÒghan faisait une drôle de tête depuis que nous étions partis. J’étais entre Lume et Owein, ils m’entouraient comme si à tout moment pouvait surgir quelque chose, ou quelqu’un, qui s’en prendrait à moi. En y réfléchissant bien, c’est la raison pour laquelle nous étions maintenant sur les routes à la recherche d’un lieu sécurisé pour moi, alors il est vrai que leur présence autour de moi pourrait être une bonne protection.
Encore une bonne heure s’écoulait et c’était toujours le même silence pesant qui nous accompagnait. Je n’en pouvais plus, il fallait que je parle, à n’importe qui, j’avais enduré ce même type de silence toute ma vie et il était hors de question que cela recommence. Je me tournai donc vers Owein mais dès que j’aperçus sa mine renfrognée je compris qu’il valait mieux le laisser tranquille. J'essayai donc du côté de Lume, mais celle-ci était tout aussi concentrée qu’EÒghan. Je devais donc me murer dans le silence, comme j’avais dû le faire depuis de si longues années. Se rendaient-ils compte que cela finirait par me rendre folle?
Au moment de s’arrêter pour dormir, je croyais qu’enfin nous pourrions discuter mais encore une fois, tout le monde se séparait puis se posait dans son coin sans émettre un seul bruit. Souhaitaient-ils réellement me rendre dingue? Je n’avais pas de réponse à cette question mais si demain matin, aucun d’entre eux ne prononçait un mot c’était sûr que je deviendrais folle, que ce soit leur but ou non. Je bougonnais dans mon coin, seule, râlant après tout le groupe mais malgré mes petits chuchotements je ne parlais pas non plus, respectant en quelque sorte ce silence.
Lors du repas, du moins ce qui y ressemblait, je me dirigeai vers mon ami d’enfance et m’assis à ses côtés, peut-être cela l’inciterait-il à prendre la parole? Mais ce fut un échec. Je poussais un long soupir de frustration et allai vers mon étalon pour lui donner une pomme et pour le caresser. Je fis cela pendant une vingtaine de minutes, ce qui me permit de me calmer et me donna même envie de dormir, je pris donc mes affaires de couchage qui étaient restées à terre près d’un arbre avant d’aller m’installer près du seul être vivant qui semblait apprécier ma compagnie. C’est donc aux côtés de ce sublime cheval que je m’endormis d’un sommeil sans rêve.
Lorsque j'émergeai de mon sommeil le lendemain matin, c’était tout juste l’aube, et pourtant tout le monde était déjà levé et en train de déjeuner les quelques fruits que nous avions emportés. Ce fut à ce moment-là que je compris que ce qui m’avait réveillé c’était eux, le groupe discutait enfin! J’ai bien cru qu’aujourd’hui encore, aucun mot ne serait échangé. Mais tout le monde semblait bien plus détendu que la veille, je me levais donc en un bond et me dirigeais vers eux, en leur disant bonjour. J’essayais de faire apparaître un sourire sur mon visage mais seul un pâle sourire se dessinait. Je supposais que ces années de solitude ne m’avaient pas aidé à sembler avenante et bienveillante mais ma décision était claire. Je devais faire le plus d’efforts possible, alors autant commencer le plus tôt possible! Je m’installais donc près de Lume qui, elle, avait son éternel sourire tendre scotché au visage.
Je lui donnai un petit coup d’épaule signifiant que j’étais bien là, à côté d’elle. Nous commençâmes une conversation portant sur les Gardiens qui nous entouraient. Elle me présenta officieusement tout le monde en me parlant de leur chemin parcouru pour devenir Gardien de Vent. La seule personne dont elle évitait de parler était EÒghan étrangement, je ne savais pas pourquoi mais peut-être que je pourrais lui demander une prochaine fois, pour le moment nous devions lever le camp et continuer notre route vers le Marais Sacré. Lieu que je redoutais encore des années après ce jour tragique qui avait signé mon arrêt de mort.
Une fois nos affaires de nouveau compactées et installées sur le dos de nos compagnons à quatre pattes, nous montâmes sur leur dos et partîmes, toujours en direction du même lieu. Cette fois-ci, le voyage se faisait dans un semblant de bonne humeur, les Gardiens que je ne connaissais pas jusqu’ici, étaient à mes côtés et nous discutions tranquillement tous les quatre. Pour faire les présentations, il y avait tout d’abord Cilistro qui était le plus jeune, un homme châtain, avec de beaux yeux noisettes, de taille moyenne pour un Efeilliade et surtout un sourire avenant et plein de bonté. Il est celui qui m’adressa la parole en premier. Ensuite vient Llion, plus discret que le précédent, le Gardien étant le plus vieux des trois. Llion était bien plus grand que moi, je dirais d’au moins une tête et demie, brun, barbe de trois jours, un regard sérieux qui ne donnait pas forcément envie de rire et pourtant il se laissait aller aux blagues du dernier Gardien : Seimon. Il était plus vieux que Cilistro de quelques mois seulement, mais pour des Gardiens, ces quelques mois étaient une grande différence vis-à-vis de leur entraînement. Il avait de beaux cheveux noir de jais, et des yeux gris perle qui contrastaient fortement avec sa chevelure. De caractère très blagueur, toujours un sourire sur le visage, des yeux rieurs. Il avait réussi à me faire rire en deux temps trois mouvements. J’appréciais beaucoup discuter avec les trois, chacun ayant des thèmes différents à aborder. Cela me permettait d'élargir mes connaissances sur mon propre pays et mon propre peuple. J’étais heureuse que ce soit ces trois Gardiens qu’EÒghan avait choisis pour notre périlleux voyage. Un sourire éclatant habillait mon visage, peut-être mes yeux l’étaient-ils tout autant. Je conversais avec eux avec bonne humeur et entrain, je leur posais également beaucoup de questions sur leur vie et leurs rêves. Je profitais tout simplement de leur présence.
La journée était passée à une vitesse affolante, désormais nous étions à la lisière du bois de Cristal qui était collé à la forêt d’Onyx, forêt tant redoutée. De ce que je me souvenais, le bois de Cristal était ainsi nommé à cause des arbres en son centre qui, il y a bien des siècles de cela, faisaient pousser des gemmes et des cristaux de couleur inimaginable. C’était de ces gemmes et cristaux qu’était née la couronne d’Efeilliade, celle portée par les Reines dès leur couronnement et jusqu’à leur dernier souffle. Peut-être qu’un jour ce serait moi qui la porterait avec sagesse, ou peut-être qu’elle tomberait dans les mains de quelqu’un d’autre, une personne que le peuple aimerait dès le premier coup d'œil. En effet je ne savais pas si un jour je redeviendrais celle que j’étais jadis, que je redeviendrais Achlys Medicys Erolwyn, Princesse héritière d’Efeilliad. Nous le saurions bien un jour, mais ce jour n’était pas encore arrivé. Tout ce que j'espérais, c’était qu’Efeilliad soit dirigé par une femme digne de ce nom, qui saurait oeuvrer pour le bien du royaume.
Je sortis de mes pensées lorsqu’Owein me tendit la main pour m’aider à descendre de mon étalon. Il était vrai que j’avais encore du mal avec l’équitation, étant le seul domaine sportif que je ne pouvais pratiquer au palais. J’acceptai donc son aide et descendis. Je me retournai pour récupérer mes affaires pour dormir puis je rejoignis Llion qui s’affairait à allumer le feu pour la nourriture mais aussi qui nous permettrait de nous réchauffer. Je m’installai à côté de lui et observai attentivement ses gestes.
J’allais commencer une phrase lorsqu’un homme sorti de nulle part et en très mauvais état arriva dans notre campement en nous criant à tue-tête de fuir. L’homme trébucha à cause d’un sac laissé là, et se cogna fortement la tête sur le sol. Nous accourûmes tous vers lui pour essayer de voir s’il allait bien et aussi pour comprendre pourquoi il nous sommait de partir en vitesse mais il répétait inlassablement la même chose : “fuyez vite, avant que le malheur arrive sur vous”. Nos regards à tous se dirigèrent vers EÒghan pour savoir ce que nous devions faire mais celui-ci regardait déjà en direction des buissons, de ceux-là même d’où venait ce pauvre homme à nos pieds. EÒghan semblait murmurer quelque chose, sûrement pour lui-même puisqu’il nous était impossible d’entendre quoi que ce soit venant de lui. Il se tourna brusquement vers nous et à peine avait-il eu le temps de le faire que nous entendîmes le plus sinistre et cauchemardesque grondement qu’Efeilliad ait alors connu. Je frissonnai de terreur, mon cœur s’accélérant à mesure que le rugissement semblait légèrement se rapprocher.
Pourtant, plus le son nous parvenait et plus je pressentais le pire, comme si je savais ce qui nous attendait. Ou plutôt comme si je connaissais la chose qui rugissait, comme s’il s’agissait d’un vieil ami. Dans le cas présent d’un vieil ennemi…
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