Rapprochement...ou pas

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Aucun de nous ne dormit bien cette nuit-là. Le souvenir du rugissement encore en tête, j’en fis un cauchemar. Celui-ci m’avait ramené à mon enfance au palais, tout d’abord pleine de joie, puis le temps avait tourné. Le ciel d’un joli bleu avait tourné au gris anthracite. Les gens s’étaient mis à hurler à pleins poumons. Ils criaient tout ce qu’ils pouvaient, certains jusqu’à épuiser leurs cordes vocales. Au début, ce n’était qu’un son qui sortait de leur cage thoracique, puis ce son s’était mué en paroles, au commencement peu compréhensible et puis à force tout à fait clair. Ils ne hurlaient pas de peur mais de rage. Et la rage était toujours tournée vers quelque chose ou quelqu’un, et ce quelqu’un c’était moi. Le ciel gris devint bien plus sombre encore, il était devenu aussi noir que de la cendre. Je voulais m’enfuir mais ces personnes qui hurlaient leur rage m’entouraient. Ils m’empêchaient de partir loin d’eux. Provoquant de la panique et de la peur en moi. Je me sentais mal, je commençais à me tenir la tête tant leurs cris me faisaient souffrir, je finis par tomber à genoux avant de hurler à mon tour et de laisser cette magie se diffuser autour de moi. Lorsque j’ouvris à nouveau les yeux, ils étaient tous morts.

C’était en transe que je me réveillai, en attirant l’attention d’Owein qui faisait son tour de garde. Il hésita, puis après quelques secondes de réflexion, il s’approcha à grandes enjambées de moi. Dès qu’il fut à ma hauteur il s’agenouilla et posa doucement le dos de sa main gauche sur mon front avant de me dire que j’étais brûlante, sûrement une grosse fièvre. Cette constatation, je l’avais déjà faite, mais je ne lui en fis pas la remarque. Je me déplaçai légèrement pour pouvoir simplement poser ma tête sur son torse le temps de reprendre mes esprits vis-à-vis de ce cauchemar, que je faisais il y a des années, mais que depuis longtemps j’avais su surmonter. Apparemment j’avais tort, je n’étais pas entièrement débarrassée de ce fichu rêve.

Owein et moi restâmes ainsi pendant un moment, le seul changement qu’il y eut fut qu’Owein s’assit au lieu de rester agenouillé. Tous les deux, collés l’un à l’autre, nous étions bien, rien ne venait déranger cette tranquillité qui s’était installée. Aucun de nous ne vint rompre le silence, nous profitions simplement de cet instant de calme, loin de tout. Owein tourna légèrement la tête vers moi, et posa doucement ses lèvres contre mon front, je savourai ce geste qu’il m’offrit et me calai un peu plus contre lui. J’aurais aimé que cela dure plus longtemps mais l’homme qui nous était tombé dessus hier se réveilla en gémissant de douleur. Notre petite bulle venait de voler en éclat…

Un soupir s’échappa de mes lèvres quand Owein se leva pour aller voir cet homme qui semblait vivre un réel enfer. Je me levai à mon tour lorsque qu’un nouveau rugissement nous parvint, réveillant le groupe au complet. Tout le monde était plus que jamais sur ses gardes, les armes à la main, l’homme de la veille, lui, réussit à faire taire ses plaintes le temps que tout redevienne plus au moins normal. Cela ne dura pas longtemps, peut-être une dizaine de minutes.

- Nous devons partir et vite, déclara EÒghan de sa forte voix.

Personne ne répondit, à la place tout le monde commença à préparer le départ. Je vis EÒghan se diriger vers l’inconnu sûrement pour lui conseiller de rentrer au plus vite chez lui. Seulement, ce ne fut pas le cas, bien au contraire, l’homme allait visiblement nous accompagner, du moins c’est ce que je compris au vu de son visage qui semblait décidé et de sa main qui pointait la direction d’où venait le rugissement. Je ne savais pas si le Gardien finirait par être d’accord avec l’homme mais je priais pour qu’il refuse qu'il vienne avec nous. Malheureusement, les Dieux semblaient être toujours et inlassablement contre moi, car je pus voir EÒghan hocher la tête après quelque temps. Les Cieux semblaient réellement jouer contre moi, mais qu’avais-je fait pour le mériter? Je faisais tout pour faire des efforts et même pour essayer de contrôler cette chose en moi qui me faisait ressembler à une bombe prête à exploser à tout moment. Mais qu’importe...Il fallait que nous nous éloignions de cette bête et des sombres dégâts qu’elle pourrait causer.

Le départ était arrivé à une vitesse folle, une trentaine de minutes après qu’EÒghan ait décidé qu’il fallait partir, nous étions tous déjà sur le dos de nos chevaux, enfin, presque tous. L’homme, qui s'appelait Connor, n’avait pas de cheval, nous dûmes donc nous organiser différemment. On ordonna à ce que je monte derrière Owein et que Connor prenne mon étalon. Cela ne me ravit point mais nous n’avions pas le temps de discuter alors je ne dis rien et montai avec difficulté derrière mon ami.

*****

Plus le temps s’écoulait et plus nous nous enfoncions dans les bois de Cristal. La tension était à son comble car cela faisait maintenant trois fois que nous tombions sur une empreinte au sol totalement démesurée. Personne sur cette terre n’aimerait croiser l’animal ou la créature qui avait laissé ces traces. Je me tenais fermement à Owein pour deux raisons : la première car j’avais peur de tomber, étant très mal installée derrière lui. Et la deuxième parce que je me sentais un peu plus apaisée à son contact. Je ne lui avouerais pas, à moins d’y être forcée, mais j’avais cette impression d’être retombée en enfance. Retrouvant en même temps cette complicité oubliée. Mes pensées me firent serrer un peu plus sa taille, ce qui le fit se retourner vers moi pour me demander si tout allait bien. Je n’eus besoin d’exprimer aucun mot, un sourire éclatant lui répondit pour moi. Owein y répondit de la même manière. Lorsqu’il se retourna de nouveau pour regarder le chemin, je pus poser ma tête sur son dos, continuant de le serrer avec force.

Nous ne nous arrêtâmes même pas pour manger le midi, et nous ne fîmes aucune pause jusqu’au lever de la nuit. C’était uniquement à ce moment qu’EÒghan nous fit nous arrêter. Seulement, ce soir-là, aucun feu de camp ne fut allumé, et aucune discussion ne fut commencée. Mais comparé à la première soirée, celle-ci fut tout de même plus chaleureuse. Owein et moi étions encore côte à côte, nous ne voulions pas nous séparer pour le moment. Ma tête calée sur son épaule, cela me rappelait ce matin lorsque tout allait encore plus ou moins bien. Que rien ne nous pressait. Mais je sentais que ces moments là se feraient rares désormais, et qu’il faudrait par conséquent en profiter lorsqu’ils se présenteraient. Je levai les yeux pour observer mon ami, mon ancien complice, avant d’encercler’ instinctivement son bras au mien. Cela le fit réagir de suite, il se tourna vers moi avant de me faire lâcher prise pour qu’il puisse encercler ma taille. Une fois bien calée entre ses jambes, il m’embrassa le dessus du crâne à plusieurs reprises, cela me fit soupirer de bien-être, un doux sourire aux lèvres et les yeux fermés. J’étais prête à sombrer dans les bras de Morphée.

Lorsque l’heure de dormir arriva, je n’eus pas le courage de me lever pour aller me poser là où mes affaires étaient. C’est donc Owein, tel l’homme de Cour qu’il était, qui me porta avec délicatesse pour m’y déposer. Je n’eus pas le temps de le remercier qu’il se dirigeait déjà vers ses propres affaires. Je l’observais donc se préparer pour dormir jusqu’à ce que Morphée décide de m’arracher à cette contemplation.

Le lendemain matin, je fus réveillée par quelqu’un qui me secouait tel un prunier. Je grognai, oubliant toute grâce dont une jeune femme de la Cour devait faire preuve. Je me frottai les yeux pour que ces derniers s'adaptent à la lumière du Soleil qui était déjà haut dans le ciel.

- Quelle heure est-il? Demandai-je d’une voix ensommeillée.

- Il est presque midi, allez, debout la marmotte. Me répondit la voix de mon ami.

Je râlai une dernière fois et me levai. Je me dirigeai vers le groupe lorsque quelqu’un m’arrêta en se saisissant de mon poignet. Je me retournai aussi vite et découvrit qu’il s’agissait de Lume. Celle-ci n’arborait pas son sourire habituel, ce qui m’alerta tout de suite.

- Que se passe-t-il?

- Connor.

- Oui, et bien? Que se passe-t-il avec lui? La pressai-je.

- Il pose beaucoup de questions sur toi, plus que nécessaire. Je ne sais pas encore si on peut lui faire confiance Achlys…

- Lume, il est peut-être de nature curieuse... Certes, j’aurais tendance à me méfier également, mais s’il fallait se méfier, EÒghan nous l’aurait fait savoir, non?

- Non justement, s’il faut se méfier, il ne dirait rien, pour que nous soyons le plus naturel possible avec lui.

- Seulement en agissant ainsi, nous sommes tout sauf naturelles Lume. Garde un œil sur lui si tu le souhaites, mais sois aimable comme tu l’es avec le groupe, d’accord? Mais...Si tu finis par avoir une preuve que nous ne pouvons pas lui faire confiance, alors viens me le dire à moi, pas à EÒghan, pas à Owein, mais à moi. Est-ce que tu as compris? Lui demandai-je, la voix tremblotante à la fin de ma demande.

- Oui, j’ai compris...Votre Altesse! Ria-t-elle en y ajoutant un clin d'œil, ce qui me fit éclater de rire, attirant encore plus l'attention sur nous, mais de façon bien plus positive.

Dès que nous eûmes fini de rire, nous nous joignîmes aux autres, qui attendaient une explication. Mais même leurs supplications ne nous firent pas leur révéler notre conversation. Même Owein essaya de me soutirer des informations, que je ne lui donnai évidemment pas. Ce n’était pas faute d’avoir essayé d’ailleurs. Cela me faisait sourire lorsqu’après un nouveau refus de ma part, Owein donna un coup dans une petite pierre puis me tourna le dos, partant avec sa mine boudeuse sur le visage.

Lors de notre départ, Owein ne me parlait toujours pas. Je n’avais, néanmoins, pas le choix de monter derrière lui et de l’entourer de mes bras. Il n’eut aucune réaction, même quand je fus à deux doigts de tomber à cause d’un saut trop violent au-dessus d’un arbre mort, couché en travers de notre chemin. Ce fut Llion qui était juste à côté de nous qui me rattrapa de justesse. Là encore, Owein ne s’excusa pas. J’étais agacée par son comportement enfantin, il ne faisait aucun effort tandis que moi je faisais tout pour ne pas le gifler une énième fois. L’exaspération me fit soupirer, ce qui apparemment attira l’attention de l’homme assis quelques centimètres devant moi. Il se tourna légèrement et me présenta des excuses. Ce à quoi je répondis “pour quoi?”. A mon grand étonnement il réitéra ses excuses en précisant son comportement enfantin et également pour ma presque chute de tout à l’heure. Je ne lui répondis rien mais encerclai sa taille plus fermement. Après ça, aucun de nous ne parla jusqu’à ce qu’on s’arrête pour la nuit. Nous étions désormais très proches de la forêt d’Onyx, les lieux étaient plus sombres et les nuits presque glaciales. Une fois que nous eûmes mis pied-à-terre, tout le monde se rassembla et s’assit en cercle. Chacun discutait avec qui il voulait, quelques rires fusèrent, çà et là. De mon côté, Owein et moi nous ne nous lâchions plus. Toujours collés l’un à l’autre parfois en silence et parfois en discutant. Cela me faisait du bien, le savoir près de moi, comme il avait promis de l’être quelques jours plutôt. Nous étions un peu à l’écart du cercle, pour avoir un peu de calme mais pas trop éloignés pour percevoir la chaleur humaine.

Nous parlions bas, de tout et de rien. Lorsqu’un souvenir d’enfance était évoqué nous en rigolions et quand nous parlions de l’avenir qui nous attendait, Owein me serrait fort dans ses bras, en me murmurant des mots pour me rassurer. Il me disait qu’il serait là, près de moi, que le peuple veuille de moi comme Reine ou qu’il me rejette. Il me redit ces quelques mots qui m’avaient réchauffé le cœur lors du départ “Je serais toujours là pour t’aider, plus jamais je ne te laisserai seule face à ta vie, tes problèmes, tes doutes.”. Je lui chuchotai un petit merci au creux de son oreille et déposai un baiser sur sa joue, proche de la commissure de ses lèvres. Nous savourions tous deux cet instant. Owein tourna lentement la tête vers moi, et se pencha encore plus près. Mais c’est ce moment que choisit Connor pour nous interrompre. Je n’eus qu’une envie à ce moment-là, lui exploser la tête contre l’arbre le plus proche.

- Quel est ton problème Connor? Je grognai, clairement mécontente de son apparition.

- Re-regarde derrière toi...Bafouilla-t-il.

Je fis ce qu’il dit et mon sang se glaça dans mes veines. Le problème de Connor avait deux grands yeux qui nous fixaient attentivement. Une lueur dangereuse dans le regard, et un souvenir qui refit surface.

Cette créature... Elle était ce pourquoi les gens me fuyaient…J'en mettrais ma main à couper…

Cet animal était le même qui m’avait attaqué il y a de cela douze ans.

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