désespoir et effroi
Plusieurs jours passèrent après l'incident avec le loup, et aussi depuis ce baiser avec Owein. Nous n'en avions jamais parlé et depuis c'était le calme plat, nous nous adressions à peine la parole car le voyage se faisait surtout en silence et le soir nous étions trop fatigués pour parler. Cependant, cela ne nous empêchait pas d’être collés l’un à l’autre le soir. Notre petit groupe commençait peu à peu à me parler de nouveau sans avoir trop peur que je les attaque de nouveau. Lume, elle, était la seule à n'avoir jamais cessé de me parler réellement, elle commençait même déjà à plaisanter sur le sujet. Nous continuions donc notre route vers le Marais Sacré même s'il était de plus en plus compliqué d'avancer au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans la forêt d'Onyx que nous avions atteint deux jours auparavant. La végétation était plus que sauvage ici, elle semblait vivante, se déplaçant pour nous rendre la tâche de cette traversée plus désagréable encore. Il était plus que probable que nous mettrions du temps à atteindre notre destination car il était si simple de se perdre dans cette sombre forêt.
Depuis l’attaque nous n’avions plus croisé de Celeano, quel qu’il soit. Pas de loup ni de hurlement à l’horizon. Mais toutes les personnes du groupe ressentaient leur présence, nous ne les voyions pas mais eux nous observaient. Une fois je demandai à EÒghan de me parler des Celeanos, de me dire quelles espèces étaient concernées. Il me répondit que rien n’était certain mais qu’il y avait les loups, comme celui que nous avions vu. Il a ajouté qu’ils étaient associés au territoire du Marais Sacré. Il a continué en me parlant du Sanctuaire de Khyal, là-bas les Gardiens pensaient qu’il s’agissait de faucons. Pour les Gardiens de Terre, il avait dû émettre une nouvelle supposition en parlant de sangliers et pour les Gardiens de Feu il m’a suggéré de demander à Lume directement, ce que je fis. Celle-ci me répondit qu’il s'agissait d’ours bruns chez eux. Maintenant, quand j’y repensais, j’en avais des frissons… Ce n’étaient que des animaux qui semblaient dangereux au premier abord, peut-être l’étaient-ils alors et qu’ils étaient capables de tuer quiconque croisait leur route sans réfléchir...
La journée nous avancions, ne nous arrêtant que lorsque c’était réellement nécessaire. Le chemin se faisait toujours dans le silence, mais cette fois-ci cela m'arrangeait. Je n’avais pas besoin d’entendre Connor se plaindre du temps long, du fait qu’il était mal installé sur MON étalon et que cela lui provoquait des douleurs au postérieur ou encore de ses accusations contre moi et ce qu’il s’était passé avec le loup. Son comportement nous insupportait de plus en plus à Lume et moi, mais visiblement nous étions les seules que cela agaçait. Régulièrement, mon amie me faisait part des paroles que Connor avait envers moi lorsque j’avais le dos tourné ou encore lorsque je dormais. Je ne savais pas si c’était à cause du coup qu’il avait reçu lors de l’attaque contre le loup ou s’il me détestait tout bonnement. Je ne pouvais cependant rien faire pour avoir une réponse car, si je m'approchais d’un peu trop près, il commençait à s’agiter puis faisait appel aux autres hommes présents pour que ces derniers le protègent de moi...Owein y compris. J’espérais que c’était dans la mesure où cela m’empêchait d’avoir un excès de colère et donc une nouvelle crise. Ces moments-là étaient les plus blessants pour moi, je concevais que l’on puisse se méfier de moi mais j’avais tout de même l’espoir qu’Owein serait au moins de mon côté, même s’il y avait une possibilité que cela soit pour mon bien…
*****
Cela faisait désormais une semaine que nous avancions au ralenti dans cette forêt. De plus, cela faisait quelques jours également que nous avions dû laisser nos chevaux retourner au Sanctuaire. Nos compagnons étaient désormais trop fatigués et la forêt trop dense pour que nous puissions avancer sans difficulté. C’était donc pour faciliter nos déplacements qu’un matin, nous avions décidé de rendre la liberté à nos chevaux. Ce lieu était tellement impénétrable que personne ne semblait accepter l’idée que nous tournions en rond, perdus dans ce sombre endroit. Lieu me causant de plus en plus de cauchemars. Presque toutes les nuits maintenant, je me réveillais, trempée par la sueur, tremblante d’effroi. Lume était la seule à se soucier de mon sommeil agité, les autres n’y prêtaient pas ou plus attention ou alors me reprochaient de les avoir réveillé à cause des gémissements de terreur qui sortaient de ma bouche sans que je ne puisse les contrôler. L’ambiance entre nous était sombre et invivable. Plus personne ne me parlait ou ne s'approchait de moi sans que je puisse voir de la crainte déformer leur visage. Le pire d’entre tous était Connor. Je ne savais comment mais il avait réussi à monter tous les autres contre moi...Au début il y avait Cilistro, puis il y a eu Seimon. Et maintenant, Llion et Owein ne m'adressaient la parole que lorsque Connor appelait au secours, cependant je sentais bien qu’ils commençaient à en avoir assez de Connor qui pouvait les appeler pour un rien. Ce dernier toujours persuadé que j’allais l’attaquer à chaque fois que je le voyais. Ce qui risquait d’arriver s’il continuait son cinéma. EÒghan, fidèle à lui-même, me prêtait toujours aussi peu d’attention qu’avant, nos rapports restaient cordiaux. Pas d’amertume dans la voix, pas de grimace lorsque je m’asseyais à ses côtés le soir lors des repas. Pas de gestes obscènes, pas de regard hautain. Non, lui et Lume ne changeaient pas à mon égard. Désormais Owein restait à distance, jouant le rôle de chevalier en protégeant quiconque se sentant en danger. Ce danger, c’était moi… Ainsi Lume et EÒghan étaient bien la seule chose constante qui me permettait de ne pas devenir folle parmi ces personnes qui parlaient dans mon dos, qui parfois même allaient jusqu’à comploter pour essayer de se débarrasser de moi. J’étais blessée, outrée, révoltée... Mais que pouvais-je y faire? Ils ne me laissaient même pas les approcher pour mettre tout à plat. Je n’avais d’autre choix que de rester à l’écart et me concentrer vers mon but : contrôler ces pouvoirs qui me rongeaient de l’intérieur et avoir ma vengeance sur la Cour.
Après tous ces longs jours à errer dans la forêt d’Onyx, nous aperçûmes enfin une lumière plus éclatante au loin. La nuit allait bientôt tomber, c’est pourquoi nous accélérions le pas, espérant que ce soit la fin de notre calvaire ici et que nous puissions enfin avoir une bonne nuit au Marais Sacré. Dormir dans un lit douillet, des draps soyeux et doux, un oreiller plus que confortable. Et surtout un bon repas chaud. C’étaient là nos motivations pour nous sortir de cet enfer sans nom. La lumière se rapprochait, tout comme nos pas se faisaient plus rapides, plus pressants. C’est alors que nous vîmes enfin les falaises et la mer, nous venions de sortir de ce lieu exilé et vierge de toutes activités humaines. Nous revenions en quelque sorte à la civilisation. Finies les nuits contre le sol dur et humide, les repas sans goût et l’ambiance ténébreuse du groupe! Mais une fois face à la mer, nous cherchions tous du regard le bâtiment qui constituait le Marais Sacré, mais la seule chose que l’on vit fut un lieu en ruines, abandonné depuis peut-être une décennie maintenant. Adieu lit douillet et repas gourmand. Bonjour la solitude et la mauvaise humeur permanente. Le désespoir s’empara de mon être et mes jambes se dérobèrent à cause du désarroi. J’étais là, agenouillée au sol, les yeux rivés sur le Marais Sacré qui me faisait angoisser à l’idée de m’y rendre. Mais après tout ce temps dans la forêt c’était un réconfort de penser que nous y étions presque. Maintenant tous mes espoirs s’étaient évanouis.
Après un court moment, EÒghan prit la parole pour nous informer que nous allions dormir sur place et que demain, au lever du jour nous prendrions la route pour voir les dégâts de plus prêt. Je pris une profonde inspiration et me relevai lentement. Je m’approchai d’EÒghan et me postai à ses côtés. Avec retenue, je lui demandai ce que nous ferions si jamais les dégâts étaient trop importants. Tellement importants que cela pourrait nous empêcher de séjourner au Marais Sacré.
- Dans ce cas, je crois bien que tout sera perdu pour toi. Pour le bien du pays et du peuple, prie pour que le Marais Sacré ne soit que partiellement détruit, où alors ce sera la fin de tout Achlys. La fin des Gardiens. La fin d’Efeilliad. La fin de la lignée Erolwyn.
Ces mots resteraient ancrés dans ma mémoire à jamais, comme le jour où j'eus peur pour ma vie, pour celles des habitants de mon pays, pour celle de Loraevere qui était restée au palais, pour Lume et Owein. J’étais paralysée tant la panique me submergeait. C'est ainsi que je me mis à prier les quatre Dieux Gardiens d’Efeilliad. Je priais Eeyr dieu du Feu, Rekesis dieu de la Terre, Koheia déesse du Vent et enfin Xaasis déesse de l’Eau comme jamais je ne l'avais fait. Depuis longtemps j’avais abandonné les Dieux, pensant que ces derniers eux-mêmes m’avaient laissée pour morte. Pourtant ce soir-là, lorsque la Lune était au plus haut dans le ciel, quand cet astre et tous les autres autour étaient les seules choses qui me permettaient de voir dans la nuit, j’étais toujours là, à prier pour la survie d’Efeilliad.
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