le Marais Sacré
Après avoir passé la moitié de la nuit à prier, je m’endormis tardivement, mon cerveau en ébullition, pensant à ce qui nous attendait là, au bord de la mer Nazaïr. Plus j’y réfléchissais et plus je sentais un mal de crâne arriver. C’était la principale raison pour laquelle je n’avais presque pas dormi et donc pourquoi j’étais d’une lenteur infernale le lendemain à l’aube lorsqu’EÒghan nous réveilla pour que nous nous mettions en route au plus vite.
On aurait pu croire que le Marais Sacré était juste à côté, peu difficile d’accès, mais, en vérité, il se trouvait sur une île, niché sur un énorme rocher. Certes il restait près de la berge, mais cela complexifiait notre chemin, De plus une fois au bord de la mer nous ne saurions probablement pas comment aller jusqu’au lieu tant attendu. Mais visiblement cela n’inquiétait que moi, tout le groupe avait l’air serein, sauf peut-être Llion qui restait en arrière, tout juste deux pas devant moi. Je sentais sa frustration comme on sent la salinité de l'eau de mer lorsqu'on s'en approche. Lui non plus, ne savait pas comment nous allions faire, mais il n’osait pas poser la question à EÒghan, tout comme moi. A l’arrière du groupe il y avait Llion, Connor, Lume et moi, et nous gardions tous le silence, pour ne pas changer. Cependant, cela ne me dérangeait pas aujourd’hui. Étrangement, c’était apaisant, je regardais l’horizon au loin, comme lorsque j’étais au palais de Mintery et que je m’évadais à sa simple contemplation.
Nous sommes très vite arrivés sur la plage. Une plage faite de sable noir...Tout le monde tiqua en remarquant ce détail. Jamais à Efeilliad nous n’avions eu du sable noir. Ce n’était pas bon signe, mais cela ne nous arrêta pas, nous continuâmes notre route sans penser à s'il y avait un danger à marcher dessus. Nous foncions tête baissée, suivant EÒghan et sa marche rapide. Tout aurait pu mal tourné, car dès l’instant où mes pieds touchèrent la plage, je me sentis aussitôt submergée, comme lors de l’attaque contre le loup. Sauf que cette fois-ci ce n’était pas de la rage, mais plutôt un sentiment d’appartenance. Je n’en fis part à personne, je gardai la tête basse pour regarder où je marchais et me tus jusqu’à ce que nous arrivâmes au bord de la mer.
Nous trouvâmes une petite chaloupe qui avait pour but d'amener les personnes jusqu’au rocher du Marais Sacré, mais au vu de son état nous comprîmes tout de suite que cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas été utilisée. Le chef de notre petite compagnie n’hésita pas un seul instant et monta à bord, nous intimant d’en faire de-même. Tout le monde s’exécuta sans rechigner. Seuls Owein et Llion n’étaient pas montés pour pouvoir pousser la chaloupe à la mer et une fois cela fait ils montèrent et se placèrent au centre pour s’emparer des rames. C’est ainsi qu’ils nous dirigèrent pendant de longues minutes à travers les flots qui peu à peu s’agitaient, rendant la traversée difficile et nous donnant à tous la nausée. J’étais sur le point de régurgiter le faible repas de la veille et de ce matin mais on ne m’en laissa pas le temps, notre petite embarcation venait de se heurter à cette roche qui nous surplombait de toute sa hauteur. Je levai ma tête en espérant voir la fin de cet édifice naturel mais je n’en vis pas le bout. Cela vous faisait vous sentir tout petit, insignifiant, inutile. J'avalai difficilement ma salive et commençai à me lever pour descendre de ce bateau infernal et être libérée des secousses de la mer capricieuse. Lorsque je touchai ce qui ressemblait le plus à la terre ferme, je me sentis tout de suite moins malade. J’accordai un faible sourire à Lume qui me demandait si tout allait bien puis elle m’offrit son bras comme soutien en retour. Ensemble nous retournâmes auprès des autres pour écouter ce qu’EÒghan avait à dire.
- Si mes souvenirs sont bons, nous devrions trouver une porte quelque part sur l’un des côtés. Cherchez tous et si vous la trouvez criez, ou trouvez n’importe quoi pour prévenir les autres. Achlys tu vas avec Lume, vous ne vous lâchez pas toutes les deux, c’est bien compris?
- Oui EÒghan, répondit-on en même temps.
Après notre réponse synchronisée, il fit signe à tout le monde de se disperser pour se mettre au travail. Lume et moi nous dirigeâmes vers le nord-est et nous commençâmes à observer méticuleusement les parois du bâtiment pour être sûres de ne pas passer à côté d’une éventuelle porte. Les minutes s’égrenèrent, puis les heures, sans que personne ne trouve quoi que ce soit qui ressemble de près ou de loin à une entrée. Le moral commençait à nous quitter, Lume et moi, lorsque nous entendîmes la voix de Seimon résonner. Nous nous regardâmes une fraction de seconde avant de nous mettre en route pour le retrouver au plus vite.
Très vite nous aperçûmes plusieurs formes au loin formant les contours d’êtres humains, nous étions les dernières arrivées. Une fois sur place nous découvrîmes qu’il y avait effectivement une sorte de porte ancrée dans la roche, les hommes s’écartèrent lorsque je voulus m’en approcher, attirée par elle. Avec légèreté je posai ma main sur cette porte de bois, avec plus de détails encore que les portes du palais. Je la poussai sans avoir à forcer dessus, elle s’ouvrit seule dans un grincement indiquant sa vieillesse et son épuisement à force d’avoir été ouverte et fermée. A force d’avoir été violentée par les guerres, les conflits, le vent violent de la mer, les tempêtes. Nous ressentions tout cela rien qu’en voyant les détails d’une porte et le bruit qu’elle faisait en s’ouvrant. L’obscurité était l’unique chose que nous pouvions voir à l’intérieur de ce corridor. Je ne réfléchis pas une seule minute et fonçai à l’intérieur sans me soucier des autres et de l’absence de lumière. A peine avais-je parcouru quelques mètres que je dûs me résoudre à faire demi-tour pour retrouver les autres à l’extérieur et attendre qu’ils daignent entrer à leur tour.
Nous étions tous engagés dans ce couloir qui était censé nous mener au Marais Sacré, posté en haut de ce rocher en mer, mais plus nous avancions plus il y avait cet odeur putride qui nous entourait, cependant nous ne vîmes rien de plus que le bout de nos pieds grâce à Lume qui nous éclairait avec une mince flamme au creux de sa paume. En plus de nous apporter visibilité, cela nous apportait aussi de la chaleur. Nous continuâmes notre marche même si cette odeur néfaste nous répugnait, jusqu’à arriver à un endroit où les parois nous laissaient un passage plus large. Nous nous trouvions désormais dans une salle circulaire qui débouchait ensuite sur un escalier abrupt. Mais ce que nous trouvâmes dans cette salle nous laissa pantois, sous le choc.
Des dizaines et des dizaines de corps de loup décomposés gisaient sur le sol, mais pas que… Nous pouvions distinguer parmi tous ces squelettes des ossements humains. Il s’agissait vraisemblablement de Gardiens d’Eau. Mais aussi d'étranges restes de corps qui semblaient mélanger la structure osseuse d’un homme et d’un loup... La mort régnait en ces lieux, nous donnant à tous des frissons. Je me sentais mal, je me sentais nauséeuse, je devais sortir de cette pièce au plus vite, mais mon corps ne m’en laissait pas le temps et me fit sombrer dans un noir profond pour la énième fois.
*****
Mes yeux s’ouvrirent et je pus constater que nous n’avions pas bougé d’un pouce. Depuis combien de temps étais-je dans les vapes? Visiblement pas aussi longtemps que je ne l’avais cru. Lume et Llion étaient à mes côtés, vérifiant que je n’avais aucune blessure crânienne. Un soupir de soulagement me fit comprendre qu’au pire des cas j’aurais une belle bosse à l’arrière de ma tête. Mes deux compagnons m’aidèrent à me relever en faisant bien attention à ne pas être trop rapide pour éviter de me donner des vertiges.
- Restez là vous trois. Nous allons monter pour voir s’il est possible de nous y reposer, dans le cas contraire nous repartirons sur la plage, ordonna EÒghan.
Je ne saurais dire depuis combien de temps nous étions là, assis, entourés de tous ces cadavres. L’ambiance était morne, personne n’osait parler, après tout, c’est comme si nous étions dans un cimetière au vu de tous les corps qui reposaient là. Nous ne voulions pas troubler leur repos. Alors Lume, Llion et moi, nous nous regardions dans le blanc des yeux, triturant nos mains par nervosité, sans savoir quoi faire exactement tant que le reste du groupe ne serait pas revenu.
Nous dûmes attendre encore de longues minutes avant de voir Owein et les autres descendre l’escalier. Tous restèrent à une distance respectable de moi, avant d'annoncer que le Marais Sacré n’était, certes, que peu détruit mais que cela faisait trop longtemps qu’il était abandonné pour que ce lieu soit vivable pour un long moment. Je sentis mon propre visage se décomposer suite à cette nouvelle déplaisante. Nous devions faire demi-tour et rejoindre la plage, cette étendue de sable qui me faisait frissonner rien qu’à l’idée de retrouver son contact, même indirect. Je demandai à Lume son aide pour me relever, mais elle n’eut pas le temps de répondre que, déjà, je me retrouvais debout, portée par Llion. Je le remerciai, tandis que les autres nous attendaient dans le sombre couloir qui nous mènerait vers la lumière de dehors. Vers la lumière éclatante du soleil qui finalement avait disparu depuis longtemps derrière l’horizon.
Il faisait nuit noire, aucun astre n’éclairait l’eau mouvementée de la mer. Plus d'une fois nous avions été sur le point de nous faire renverser. Les vagues violentes nous empêchaient d'avancer à un rythme régulier. Nous devions changer de rameurs régulièrement, leurs muscles épuisés à chaque nouvelle secousse. Plus je regardais la berge et plus j’avais cette impression que nous nous en éloignions. La mer nous emportait loin de cette terre, comme pour nous protéger d’un danger.
Peut-être avais-je un sixième sens car, lorsque je tournai une nouvelle fois le regard vers la plage, je vis des loups… Leurs yeux brillant de rage, leur gueule ouverte d’où j’imaginais s’échapper de la bave. Je sentais leur coeur battre à une vitesse folle, ils avaient faim, et si par malheur nous atteignions la plage… Ils nous dévoreraient sans pitié.
- Je ne voudrais pas vous inquiéter, mais...On ne peut pas retourner sur la terre ferme...A moins que vous vouliez vous faire dévorer par des loups enragés... prévins-je.
Ils tournèrent leur tête comme un seul homme et des hoquets de surprise fusèrent de toutes parts.
- Owein, Cilistro demi-tour. Maintenant! Nous allons devoir nous contenter du rocher du Marais Sacré pour la nuit. Indiqua EÒghan
Mais la mer nous avait trop fait dériver pour que nous puissions atteindre de nouveau ce lieu, autrefois béni par Xaasis.
- EÒghan, nous allons devoir nous contenter de la chaloupe! Cria Owein pour couvrir le raffut que faisait la mer. Nous ne pourrons pas retourner là-bas, l’océan est contre nous, certes il semble nous protéger de la plage et d’une mort certaine mais pas du reste!
La nuit serait longue si nous devions rester tous dans cette petite embarcation, peut-être même ne supporterait-elle pas notre poids face à la violence de la tempête qui s'annonçait. Mais avions-nous seulement le choix? C’était la mort, dévoré par des loups enragés ou prier Xaasis de nous laisser une chance de nous en sortir, au pire des cas, nous serions dévorés par les flots.
Je pris une profonde inspiration et pour la deuxième fois depuis longtemps je priai une nouvelle fois. Lorsque je rouvris les yeux, c’était pour voir un magnifique loup, toujours le même depuis le Sanctuaire de Khyal, dressé haut sur les falaises qui nous avaient accueillis la nuit dernière. J’eus l’impression qu’il était là pour moi, et moi seule. Pas pour faire de nous son dîner mais pour me protéger de ses semblables. Pour rester à mes côtés jusqu’à ce que mort s’ensuive. Je le sentais au fond de moi, je le reverrai bientôt, au moment où j’en aurais réellement besoin. Et peut-être même pourrais-je être là quand lui aura besoin de moi, même si ce ne serait que par ma présence. Peut-être n’aurait-il pas besoin de mes pouvoirs mais uniquement de mon soutien.
Un imperceptible hochement de tête de ma part, puis de la sienne et je m’effondrai épuisée par cette journée.
Annotations