Un nouvel allié
Au moment où j’ouvris les yeux c’était pour voir mes camarades se démener pour nous sortir d’une violente tempête. Nous étions donc toujours sur les flots et je m’en rendis compte par un autre moyen. Mon estomac était sur le point de me le faire payer. Je me penchai sur le bord de la chaloupe et laissai mon corps faire ce qu’il voulait. Visiblement j’avais dû faire quelque chose de grave par le passé sans m’en rendre compte car non seulement je régurgitais mais c’était de la bile. Cela m’arrachait de longues plaintes. Je sentis une main se poser à plat au milieu de mon dos, pour, ensuite, faire de petits cercles réconfortants. Je me sentais mal en point mais lorsque je tournai mon regard vers les autres je pus remarquer que nous étions tous en mauvais état. Surtout Owein et Llion qui se relayaient souvent lorsque l’autre n’arrivait plus à ramer correctement.
Mais soudain un violent éclair s’abattit à quelques mètres à peine de notre faible embarcation. Cette foudre nous éclaira avec tant d’intensité que je pus voir au loin le Marais Sacré qui s’éloignait de plus en plus. Je ne pus, cependant, pas le signaler au reste du groupe car une violente vague fit retourner notre petit bateau. Au moment où je remontais à la surface je me pris un énorme coup sur la tête. Cela eut un effet sur ma vision qui se troublait et sur mon audition. Il m’était désormais impossible d’entendre quoi que ce soit, y compris l’orage qui grondait au-dessus de ma tête. La dernière chose que je vis, avant de me reprendre un coup, était Owein qui nageait à une vitesse folle pour me rejoindre, je pouvais voir ses lèvres bouger mais toujours aucun son ne me parvenait.
*****
La seconde fois où j’ouvris les yeux, le Soleil était déjà haut dans le ciel et sa chaleur me réchauffait. Je tournai la tête avec précaution du côté gauche et vis seulement des morceaux de bois éparpillés un peu partout. J’avais sous les yeux les restes du petit transport marin que nous avions utilisé la veille. Ou l’avant-veille? Je n’avais aucun repère temporel, hormis que midi allait bientôt sonner ses douze coups. Une fois que l’information fut bien comprise par mon cerveau, je tournai ma tête vers la droite pour y voir tout le monde, parfois face contre terre, ou bien dans des positions qui leur laisseraient des douleurs musculaires. Je tentai de me relever mais des gémissements de douleurs franchirent mes lèvres sans que je ne puisse les retenir. Maintenant que j’avais une vue plus en hauteur, je pus vérifier que tout le monde était bien là.
Owein.
Lume.
Cilistro.
EÒghan.
Seimon.
Llion.
C’est bon tout le monde était là, même Con-
Connor?
Connor n’était pas là. Où pouvait-il bien être? Il y avait deux réponses possibles à cette question. Soit il avait péri lors de la tempête, soit il était le premier à s’être réveillé. Mais même s’il s’agissait de la deuxième option, où était-il allé? Nous avait-il lâchement abandonné ou était-il parti en repérage pour savoir où nous étions et s’il y avait quelque chose de comestible dans le coin?
Un bruit de branche me fit me retourner, ce qui déclencha une douleur sourde dans ma nuque. Je grimaçai de douleur mais lorsque je compris qu’il s’agissait justement de Connor cela n’améliora pas l’émotion sur mon visage. Cependant, quelque chose m’interpellait. Il y avait tellement de colère et de frustration dans son regard que cela me donnait des frissons. Il avançait d’un pas rapide dans ma direction, je voulus me relever mais mon corps n’obéissait qu’à la douleur, et celle-ci indiquait à mon corps de ne pas bouger.
Connor était de plus en plus près de moi, je devais maintenant lever les yeux et la tête pour voir son visage déformé par cette rage sans nom. Mes yeux furent soudainement attirés par une lumière étincelante plus bas. Une dague. Connor avait pris possession, non pas d’une simple dague, mais de celle d’Owein. Son bras commençait à se lever à mesure qu’il était proche de moi et, au moment où la dague s'abattit sur moi, je couvris mon visage de mon bras gauche. Je voulais hurler mais aucun son ne semblait sortir de ma bouche, c’est à ce moment que mes yeux s’ouvrirent pour découvrir un sourire cruel dessiné sur le visage de Connor. Mais ce ne fut pas la seule chose que je vis, sa main droite semblait se resserrer autour du vide, et je compris en un éclair qu’il m’étranglait en utilisant la magie.
Petit à petit je sentais l’air quitter mes poumons, et j’étais là, impuissante, je ne pouvais rien faire pour me dégager de sa prise invisible. Je ne pouvais que subir. Mes yeux se fermaient au moment où sa prise se relâcha. Je toussais et crachais du sang, j’avais l’impression que ma gorge était en feu. Lorsque je pus relever un tant soit peu ma tête je le fis, et mes yeux rencontrèrent sans attendre les yeux de Connor. Ses yeux, d’une cruauté improbable, étaient si sombres que l’on ne pouvait plus discerner sa pupille de son iris. Son rire triomphant et ma respiration saccadée étaient les seules choses qui venaient rompre le silence qui entourait les lieux.
Je continuais de cracher du sang tout en reprenant ma respiration, la dague toujours plantée dans mon bras. Connor me regardait avec une telle satisfaction que cela me donnait envie de vomir. Je tentai de me lever pour me défendre ou contre-attaquer mais il ne m’en laissa pas le temps car déjà il me ruait de coups. Mon ventre n’en pouvait plus, à force de bouger mon bras, la dague en avait fait de même, ainsi mon sang perlait sur le sable. Je restai allongée au sol sans pouvoir me relever lorsque Connor réapparu dans mon champ de vision, avec une épée ténébreuse. Il venait sûrement de la faire apparaître grâce à sa magie qu’il nous avait dissimulée.
Il allait me la planter droit dans mon cœur lorsqu’un gémissement nous parvint, ce qui nous força à rompre tout lien visuel, pour comprendre qu’il s’agissait de Llion qui s’éveillait. Avec célérité, Connor fit disparaître cette épée. Lorsque Llion put ouvrir entièrement les yeux et qu’il pu comprendre, ou du moins supposer, ce qu’il se passait à quelques pas de lui, nous le vîmes froncer les sourcils. Je ne savais pas vraiment ce qu’il comprenait de la situation mais il ne semblait pas très à l’aise à l’idée que Connor soit aussi proche de moi. Mais c’est lorsque je vis ses yeux s’agrandirent de stupeur que je compris que jusqu’ici, il n’avait pas vu la dague qui était plantée dans mon bras. Son regard faisait des allers-retours entre moi, la dague et Connor. Je ne sais combien de fois il le fit mais au bout d’un moment il se mit debout, avec grand mal, et commença à se diriger vers nous. Plus il était proche, plus je voyais le regard de Connor changer du tout au tout. Il faisait en sorte de paraître plus prévenant et moins menaçant. Je n’étais pas certaine qu’il réussirait à tromper Llion et je n’en aurais sans doute jamais confirmation car la seule chose qui importait pour le Gardien était de sortir la dague de mon bras pour ensuite pouvoir me soigner. Je supposais qu’il souhaitait faire cela au plus vite, avant que le reste du groupe se réveille lui aussi. Llion était désormais à genoux, à côté de moi.
- Je ne sais pas ce qu’il s’est passé pour que vous vous retrouviez avec la dague d’Owein dans le bras mais il va falloir la retirer. Vous vous doutez sûrement, votre majesté, que nous n’avons rien à porter de main pour bien vous soigner. Nous allons donc faire de notre mieux, en gardant notre calme, d’accord? Me demanda-t-il
- Je- oui, je crois que je peux essayer, lui répondis-je, peu sûre de moi et de mes capacités.
- Connor, aide moi.
Celui qui m’avait fait cette blessure acquiesça et posa sa main sur mes épaules pour m’empêcher de bouger lorsque Llion retirerait la dague. Cependant, lorsque je sentis les mains de cet être qui ne m’inspirait qu’haine et souffrance, je me figeai, tous mes muscles se tendirent à m’en faire mal. J’espérais que personne ne le remarquerait mais malheureusement les deux hommes à mes côtés furent témoins des agissements de mon corps. Le Gardien me regarda, cherchant à savoir si j’acceptais son contact. Un mince sourire de ma part lui répondit, il me le rendit avec plus de conviction. Llion me fit signe qu’il comptait jusqu’à trois et qu’après cela il retirerait la dague avec le plus de délicatesse possible, sans oublier d’être assez rapide pour me faire souffrir le moins longtemps.
- 1...2...3!
Avec un horrible bruit de succion , la dague sortit de mon bras, m’arrachant un cri de douleur, mais je ne pouvais pas lui en vouloir d’en finir avec ce supplice. Mais comme nous nous en doutions, notre opération réveilla les autres membres du petit groupe que nous étions. Ils grognaient tous des douleurs que leur avait causé cette violente tempête maritime qui s’était abattue sur nous le soir précédent. Leurs regards se tournèrent sans attendre dans notre direction, une mine interrogatrice sur le visage. Mais lorsqu’Owein aperçut sa dague dans les mains de Llion et ma plaie béante et pleine de sang, l’interrogation disparut sous l'inquiétude. C’est ainsi qu’il prit la décision de bousculer tout le monde pour accourir vers moi. Je voyais bien qu’il peinait à m’atteindre, mais il ne se décourageait pas, et lorsqu’il fut à mes côtés il se laissa écrouler sur le sol, à ma hauteur. Il prit mon visage en coupe et, de sa voix essoufflée me demanda :
- Achlys! Comment est-ce arrivé? Comment ma dague a-t-elle pu atterrir dans ton bras? C’est impossible...Elle était à mon ceinturon, je peux te le jurer! s’exclama-t-il à toute vitesse.
- Je- Je n’ai aucune idée de comment cela s’est produit mais...Visiblement c'est arrivé. Répondis-je, peu sûre de ce que je pouvais et devais répondre.
EÒghan me regardait, perplexe. Il ne semblait pas me croire, mais il n’était pas le seul. Lume et Llion jetaient des regards méfiants à Connor. Mon amie car elle soupçonnait depuis le début que Connor n’était pas un homme bon. Et Llion, parce qu’il avait surpris ma silencieuse protestation lorsque Connor avait tenté de me maintenir au moment de m’enlever la dague. Ces trois personnes ne se doutaient pas à quel point ils avaient raison de remettre en cause mes paroles, et de se méfier de cet homme qui, désormais, me terrorisait.
EÒghan toussota pour attirer l’attention de tout le monde, regarda autour de lui, soupira et finit par prendre une grande inspiration avant de nous dire :
- Comme vous pouvez le constater, nous ne sommes plus du tout à côté du Marais Sacré. La tempête de la nuit derrière nous à fait dériver jusque sur cette plage, d’apparence saine comparée à celle que nous avons pu voir près du lieu sacré dédié à Xaasis. Nous allons nous séparer, et avant que vous ne protestiez encore plus, c’est moi qui vais vous attribuer vos rôles respectifs.
Connor et Seimon, vous irez là-haut dans ces bois, je ne sais pas s’il s’agit des Bois de Cristal ou du Bois Royal, mais vous n’avez rien à craindre là-bas. Vous irez donc chercher du bois, le plus sec possible. Faîtes en une réserve, je ne sais pas combien de temps nous allons rester ici mais nous aurons besoin d’un bon feu de camp pour nous réchauffer.
Cilistro, Lume et Owein, vous suivrez les deux autres, mais cette fois-ci pour chasser. Mais pas seulement, essayer de trouver tout ce qu’il y a de comestible : fruits, baies, plantes, etc. En revanche, ne prenez aucun risque inutile.
Llion et Achlys, restez ici. Je compte sur toi mon garçon pour prendre soin de notre Princesse. Soigne la puis occupez vous comme bon vous semble.
Une fois que tout le monde sut ce qu’il avait à faire, le petit groupe se sépara rapidement. Pour ma part, je me levai, avec difficulté à cause des courbatures, et de mes blessures mais je pouvais le faire sans aide nécessaire. Je regardai les autres s'éloigner, puis je me tournai vers mon compagnon de la journée pour lui demander ce que nous pouvions bien faire pour nous occuper. Un sourire mystérieux se dessina sur son visage avant qu’il ne prenne la parole.
- Tu sais, depuis que tu nous a attaqués, je ne cesse de penser à tes raisons, à tes multiples excuses. Et la seule chose que je crois c’est ton sentiment de culpabilité et ta solitude qui ont fait de toi quelqu’un qui ne fait pas facilement la différence entre les gens bons et les gens mal intentionnés. Je pense que tu as besoin de faire confiance à une personne qui peut t'aider à contrôler tout ce qui se passe dans ta tête et ton cœur. J’ai entendu Lume parler à EÒghan de son refus de t’aider à t’entraîner à prendre sur toi. Alors, si tu acceptes, je pourrais te donner ton premier entraînement.
- Ici? Le questionnai-je, incrédule.
- Et bien, à moins que tu aies une autre idée pour nous occuper jusqu’au retour des autres, oui, ici. C’est un lieu idéal ! Il n'y a rien que du sable et la mer autour de nous, tu ne peux rien détruire. Alors? Qu’en dis-tu? A moins que tu ne laisses tes blessures prendre le dessus....
“Merci” fut la seule chose que je réussis à articuler. Llion me fit un sourire éclatant et m’invita d’un geste de la tête à le suivre.
Tout d’abord il prit une petite heure pour soigner ma plaie sur l’avant-bras gauche puis il sortit de son sac une sorte de pommade. Llion m’expliqua que c’était ce qu’il utilisait après ses entraînements, cela fonctionnait sur les courbatures mais aussi sur les coups que nous pouvions recevoir, cela apaisait la douleur.
Une fois cela terminé et que nous fûmes un peu plus éloignés du semblant de camp installé par EÒghan, mon nouvel ami me fit me mettre dans diverses positions. Il appelait ça les positions de base, aussi bien offensives que défensives. Je n’arrivais pas bien à le suivre la plupart du temps, mais il était patient et toujours souriant. Surtout lorsque je finissais l’arrière train collé au sol ou quand je le regardais sans comprendre de quoi il parlait. Nous rigolions tellement que cela me déconcentrait mais à la fois me détendait. Tout au long de l'après-midi, Llion m’apprit les bases des postures du combat au corps à corps, mais il ne s’arrêta pas là. Une fois que je sus à peu près comment me positionner et le nom de ces positions, il me félicita, mais d'une manière un peu spécifique. Sans que je ne puiôsse réagir ou riposter, je reçus une forte bourrasque de vent, qui m’envoya au sol. Je relevai la tête pour voir Llion, les larmes aux yeux à force de rire de moi et de ma réaction. Je ne perdis pas une seconde de plus, je me levai, m’approchai rapidement mais en faisant attention à ne pas tomber et une fois devant le Gardien, je profitai de son hilarité pour lui flanquer un coup de pied dans l’abdomen, l’envoyant, lui aussi, au sol, sans qu’il ne puisse se défendre. Une fois la surprise passée, il me regarda avec cet air que je ne connaissais pas vraiment. Il rayonnait d’un sourire chaleureux et ses yeux exprimait ce sentiment. Oui, c’était ça, un sentiment de fierté émanait de lui. Cela m’emplit d'une joie irrépressible. Pour la première fois depuis douze ans, une personne autre que ma mère, me regardait avec une fierté débordante. Certes ce que j’avais accompli ne semblait pas grand-chose mais manifestement, cela convenait amplement à mon entraîneur.
Nous continuâmes sur cette lancée jusqu’à ce que nous vîmes nos camarades revenir sur le littoral. Leurs bras étaient chargés de viande et de fruits qui semblaient juteux. Juste derrière eux, ils y avaient les autres qui, eux, disparaissaient derrière des montagnes de morceaux de bois. Llion et moi arrêtâmes l’entraînement pour aller aider les autres.
Très vite nous préparâmes le foyer qui accueillerait le feu. Cilistro et Seimon s'occupaient pendant ce temps de préparer le repas. Ils écorchèrent et vidèrent la pauvre bête qui nous permettrait de dîner ce soir, et ensuite ils la suspendirent sur un long et solide morceau de bois. Ce dernier était au-dessus du feu qu’avait invoqué Lume. C’est ainsi que tous ensemble, nous mangeâmes autour d’un bon feu de camp, dans une bonne ambiance, même si je restais la plus éloignée possible de Connor. J’étais donc entre mon nouvel allié, Llion, et Owein. Ce dernier me couvait du regard lorsqu’il m'entendait gémir de douleur quand je bougeais mon bras blessé. Mais, ici, ce soir, sur cette plage, je ne pensais pas à ma blessure. Je profitais de l’instant présent auprès de certaines personnes que j’affectionnais.
Annotations