La lettre
A l’aube, EÒghan nous réveilla pour nous annoncer qu’il savait où nous nous trouvions. Je me relevai sur mes deux coudes pour lui témoigner mon attention même si ma seule envie était de me rendormir. Toutefois, je ne fis aucune remarque et attendit qu'il nous explique où nous avions échoué. Un soupir grave parvint à mes oreilles, me faisant me retourner pour en trouver la source. Cilistro se réveillait avec une grande difficulté, ce qui me fit lâcher un petit rire. Après cela, je reportai mon attention sur notre chef de groupe. EÒghan ne semblait pas du tout inquiet ce qui me rassurait et je n’étais pas la seule car tout le monde semblait se détendre face au comportement d’EÒghan.
- Bien, maintenant que tout le monde semble à peu près assez réveillé pour m’écouter je vais pouvoir commencer. La mer nous à fait échouer au pied du Bois Royal, nous ne craignons définitivement rien en restant ici quelque temps. Et avant que l’un d’entre vous pose la question, non, je ne changerai pas d’avis. Nous allons rester ici quelques jours, une vingtaine tout au plus puis nous reprendrons la route vers le nord. Notre objectif premier reste le même : mettre en sécurité Achlys.
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J’essuyais une goutte de sang, qui coulait du coin de ma lèvre, avant de me remettre en position offensive, l’épée à la main. J’observais la personne à quelques mètres de moi. Nous tournions autour de l’autre, attendant le moment propice pour frapper en s’assurant une bonne touche. Nous regardions chaque parcelle du corps de l'autre en espérant y trouver une faille, une faiblesse, mais plus je le détaillais, plus j'étais démotivée. Sa posture était parfaite, je ne pouvais l'atteindre sans qu'il ne pare mon coup avec une extrême facilité. Visiblement ce n'était pas mon cas, car quelques secondes plus tard j'étais de nouveau au sol, face contre terre. Je poussai un grognement de frustration mais je me repris très vite. Je devais me maîtriser, ce n'était pas en pestant après mon adversaire que j'allais gagner le combat. Je pris une profonde inspiration, me relevai et attaquai sans attendre. Lorsque j'entendis un juron venant de devant moi je compris avec joie que j'avais atteint ma cible. Mais ce fut de courte durée, je m'étais laissée distraire par cette petite victoire, laissant le champ libre à l'homme en face de moi. Je le sentis. Il venait de m'entailler la joue. La moi d'il y a quelques semaines se serait laissée envahir par un désir de le blesser en retour mais la moi de maintenant prit du temps pour souffler, pour se détendre. Une fois cela accompli, je me levai et tendis une main amicale à mon entraîneur. Llion s'en saisit, heureux de voir que j'avais réussi à retenir mon envie de lui refaire le portrait.
C’était notre rituel depuis maintenant quatre jours. A vrai dire, depuis que nous savions où nous nous situons. J’avais même eu un entraînement avec Lume une fois, totalement différent de ceux que me faisait Llion, mais pas moins intéressant. Avec eux deux, j’exploitais aussi bien mes capacités physiques que psychiques. Chacun son rôle, Llion s’occupait du combat avec armes ou tout simplement au corps à corps, tandis que Lume essayait tant bien que mal de me faire maîtriser mes pouvoirs, ou en tout cas ce qui y ressemblait. Autant, au combat je ne me débrouillais pas si mal que ça, mais dès qu’il s'agissait de se concentrer pour entrevoir cette magie en moi, j’étais vraiment à la ramasse. Mon amie insistait pour que nous recommencions sans cesse, mais je n’avais pas la tête à ça, je ne voulais pas perdre le contrôle si, par je ne sais quel miracle, j’arrivais à prendre possession de mes capacités. De plus, Owein était encore assez distant avec moi, cela me chagrinait plus que je ne l'aurais cru. Cela ne m’aidait pas quand j’étais en plein entraînement et qu'il apparaissait dans mon champ de vision. Mon cœur s’accélérait autant que mon souffle, c’est ainsi que je récoltai autant de blessures, de bleus et même une fois, un hématome. Ce dernier me meurtrissait l’abdomen lors de certains mouvements mais je supposais qu’il fallait voir cela comme une preuve que je devais définitivement améliorer ma concentration.
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Les jours se ressemblaient tous, rien ne venait rompre cette routine qui s’était installée, tout comme nous l’avions fait en restant sur cette plage. Mes entraînements continuaient, parfois simples mais la plupart du temps compliqués et fatigants. Ma relation avec Owein ne s’était, certes, pas dégradée mais cela ne s’était pas amélioré pour autant. Seimon et Cilistro gardaient toujours leurs distances avec moi, ce qui agaçait Llion, qui n’avait de cesse de leur dire que je n’étais pas un danger. Les deux Gardiens ne le croyaient guère, c’est ainsi qu’ils en étaient venu à se disputer et que depuis, ils ne s’adressaient plus du tout la parole. Au contraire, les regards mauvais et les insultes fusaient d’un côté comme de l’autre. Cela avait le don d’exaspérer EÒghan, il ne faisait cependant rien pour les arrêter. De mon côté, je me sentais coupable de cette dispute car j’en étais le centre, mais Llion me répétait que ce n’était en rien ma faute. Cela ne m’aidait quand même pas à me sentir mieux.
C’est donc avec des insultes que cette journée commença, laissant présager un mauvais jour. Les courbatures me firent grimacer, mais c’était à présent une sensation normale, je me battais tous les jours contre Llion, et chaque jour me faisait m’endurcir. Sans oublier que je pouvais désormais lui rendre presque coup pour coup. J’étais, comme qui dirait, fière de mes progrès, mais j’avais encore beaucoup à faire. Cela ne me faisait cependant plus peur.
Une fois levée, je me dirigeai vers la mer pour me laver un minimum. Je m’éloignai du pseudo campement que nous avions construit, pour pouvoir être à l'abri des yeux indiscrets. Une fois que j'estimai être à une distance raisonnable d’eux, j’entrepris de défaire ma tenue. Le corset qui enserrait ma taille était le plus difficile à retirer. Mais Lume m’avait appris à le faire sans son aide. Ce vêtement était le sien, il n’avait rien à voir avec les corsets luxueux que le palais m’offrait. Celui-ci affinait ma taille et gardait mon dos droit, mais il restait sous ma poitrine. J’avais donc par-dessous une chemise ample. Une fois cela défait, je m’occupais de mon pantalon de cuir noir, ce dernier me servait surtout lors des entraînements. Le cuir était plus résistant qu’un simple pantalon en toile, même s'il ne me protégeait pas comme l’aurait fait une armure. Je n’allais tout de même pas m’en plaindre, c’était déjà mieux que rien. Maintenant que j’étais débarrassée de mes vêtements, je m’enfonçai rapidement dans l’eau gelée. Je ne pouvais pas profiter des bienfaits de l’eau, tant j’étais glacée de la tête au pied. Je ressortis donc bien vite de l’eau après m’être savonnée et rincée pour pouvoir me sécher et me rhabiller. J'attendis une vingtaine de minutes avant de pouvoir remettre mes vêtements. Une fois cela fait, je fis le chemin inverse pour rejoindre notre campement sans me presser.
Je n’avais pas spécialement envie de retrouver l’ambiance pesante, les insultes, les regards mauvais. Ici, seule, je pouvais profiter de la nature, de la fin de l’automne qui peignait la forêt de Cristal d’un joli camaïeu rouge-orangé, j’appréciais l’air frais et pur, l’odeur unique de la mer Nazaïr, la vue du Marais Sacré au loin.
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La matinée passait à une vitesse folle, nous allions manger lorsqu’une colombe se posa près de nous. EÒghan s’en approcha et l’attrapa avec douceur. Était-elle blessée? Je n’en étais pas sûre, mais pour quelle autre raison, EÒghan l’aurait-il prise dans ses mains? Ce ne fut que lorsqu’il se retourna vers moi pour plonger son regard dans le mien que je compris pourquoi. La colombe avait amené une lettre. Celle-ci, sans que je ne puisse réagir, atterrit dans mes mains. Cette lettre semblait m’être adressée, mais de qui est-ce que cela pouvait venir? Je le sus car mes yeux se posèrent instinctivement sur la signature en bas de page lorsque je finis de la décacheter : Loraevere.
“Votre altesse,
Je vous écris cette lettre pour vous tenir au courant de ce qu’il se passe ici, au palais. J’aimerais vous parler de sujets bien plus légers comme les banalités ou bien les ragots mais le temps vous est compté, je ne peux donc me permettre de vous faire perdre plus de temps encore pour échanger sur de futiles sujets .
Les gens de la Cour n’ont de cesse de parler de vous comme d’une menace à éliminer. Bien sûr, les Dames parlent en utilisant des sous-entendus, ce n’est, cependant, pas le cas des Messieurs. Si je sais tout ceci, c’est uniquement grâce à mon père, Lord Hlapen. Il s’est rapproché des lords les plus puissants pour participer aux réunions de recherche que mène la Cour avec ferveur à votre encontre. Nonobstant, vous vous doutez, je l’espère, que mon père ne fait ça que pour obtenir des informations importantes et m’en faire part, pour qu’à mon tour je puisse vous en parler. Ainsi, tout ce que vous pourrez trouver dans cette lettre est authentique.
Me voilà donc, assise face à mon secrétaire, la plume à la main pour tenter de vous dire les choses de façon correcte mais je ne saurais y arriver, je ne puis faire autrement que de le dire crûment. Les hommes de la Cour vont bientôt quitter le palais pour venir vers vous, ils viennent pour vous tuer, j’en ai peur. Je ne saurais non plus vous dire avec certitude comment ils ont appris que vous étiez aux pieds du Bois Royal, mais je me suis laissée dire qu’une personne extérieure leur faisait part de tous vos faits et gestes. C’est pourquoi nous vous demandons, je vous demande, je vous supplie même de prendre la route pour aller plus au nord. Dès lors que vous aurez cette lettre entre les mains, j’espère de tout cœur que vous m’écouterez et que vous partirez dans l’heure qui suit.
En dépit de ces mauvaises nouvelles, j’aime à croire que vous vous portez bien et que, peut-être, vous vous êtes fait des alliés qui pourront assurer votre sécurité au péril de leur vie. Je vous imagine, le visage horrifié par ce que je viens de dire, sachant que je me sais incapable de vous assurer que j’en ferais de même si cela était nécessaire. Cependant, vous êtes notre Reine, qu’importe que votre mère ait fait croire à votre décès. Vous êtes bel et bien en vie, mais en danger, et vous êtes celle qui doit monter sur le trône. Quoi qu’il nous en coûte car, sans vous, le royaume n’est plus qu’une terre redevenue sauvage.
Au plaisir de pouvoir correspondre avec vous et pourquoi pas vous revoir.
Votre dévouée,
Lady Loraevere Hlapen”
Je ne perdis pas une minute de plus pour demander à Lume si je pouvais lui prendre une feuille, une plume et de l’encre pour répondre à cette lettre. Elle me répondit par l’affirmative et me tendit ce dont j’avais besoin. C’est ainsi que j’entrepris de répondre à la seule personne au palais qui m’appréciait assez pour vouloir prendre soin de moi en prenant de mes nouvelles et en me prévenant des dangers que j'encourais.
“ Ma chère Loraevere,
Pour commencer je te remercie pour ces précieuses informations, et je vais faire abstraction de ton commentaire sur le fait que je devrais être entouré de personnes prêtes à mourir pour moi (je ne t’en veux pas, n’aie crainte). Je dois dire que cela ne m’étonne guère que la Cour me cherche même si je pensais qu’ils prendraient plus de temps avant de me trouver. Je vais de suite en informer le Gardien de Vent qui mène notre petit groupe.
Pour répondre à ta question implicite, je me porte plutôt bien, je peux même te dire que je me suis faite une amie, elle s’appelle Lume et elle aussi est Gardienne, mais de Feu pas de Vent. Depuis plusieurs semaines, elle m’est d’un immense soutien. Sans elle, je serais devenue folle il y a bien longtemps. Cela fait aussi quelques jours que je m’entraîne avec Llion, il est Gardien de Vent. Je l’apprécie beaucoup pour la patience dont il fait preuve à mon égard et aussi parce qu’il ne me juge pas pour ce que j’ai pu faire depuis le début du voyage. Mais si je te le racontais dans cette lettre, je n’aurais jamais fini de l’écrire.
Cependant, j’ai deux choses à te raconter.
La première, Owein, le fils de l’Eynon, nouvellement régent, et moi nous nous sommes embrassés. Mais depuis il ne m’adresse plus vraiment la parole. Je suis frustrée et inquiète à l’idée d’avoir mal fait quelque chose...Ce que je ne comprends pas par contre, c’est qu’il est toujours là lorsque je suis en danger, ou blessée. A chaque fois, je pense que c’est parce qu’il m'apprécie puis le souvenir de l’Eynon lui ordonnant de me protéger à chaque instant me revient. Et alors mon cœur se serre. Par pitié, dis moi quoi faire…
La deuxième chose, je te prierais de le garder pour toi. Il y a cet homme, Connor, il est avec nous depuis que nous sommes passés par les Bois de Cristal. Il ne nous inspirait pas confiance à Lume et moi. Nous avions raison. Nous avons atterri là où nous sommes à cause d’une tempête maritime. Au matin, je me suis réveillée et Connor avait disparu. C’est un bruit derrière moi qui m’avait fait me retourner. Il était là, la colère perçait dans son regard avant qu’il sorte une dague. Il m’a délibérément attaquée! Je n’ai pas su me défendre, j’étais pétrifiée de terreur. Tu aurais vu son regard, il me paralysait et comme si cela ne suffisait pas déjà, il a usé de magie pour essayer de m’étrangler. Je ne sais pas comment cela est possible mais je te jure sur Eeyr que cela c’est vraiment produit.
Comme tu peux le voir, il n’a pas réussi à me tuer. Llion s’est réveillé avant qu’il ai pu en finir avec moi. Bien entendu, je n’ai pas pu le remercier de s’être réveillé à temps, car, Connor a joué l’innocent qui essayait de m’aider. Depuis il continue à faire comme si de rien était. Je suis toujours inquiète et méfiante, mais que puis-je faire? Personne n’a vu ce qu’il s’est produit. Ce serait sa parole contre la mienne et je ne suis pas sûre d’obtenir assez de soutien face à lui…
Au plaisir de correspondre également et pressée de te revoir.
Bien à toi,
Achlys Medycis Erolwyn”
- Il a quoi? grogna une voix derrière moi.
Llion… Il venait de lire, sûrement par-dessus mon épaule, ce qu’il s’était réellement passé et comment je m’étais retrouvée avec la dague plantée dans l’avant-bras. Et il était furieux. Avant que je ne puisse réagir, il était déjà parti. Il fonçait droit sur Connor et lui asséna un poing dans la mâchoire sans que ce dernier ne le voit venir. Je me ruais vers eux pour stopper la bagarre qui venait de commencer. Llion ne laissait aucune chance à Connor de se défendre. Il attaquait sans s’arrêter. Ses phalanges étaient en sang, tout comme le visage de sa victime. Personne n’osait intervenir, de peur de se prendre un coup par mégarde, mais quelqu’un devait faire quelque chose. Je pris donc une longue et profonde inspiration. J’expirais, et recommençais ces actions pour essayer d’entrevoir la magie en moi. Et avant que je ne puisse m’en rendre compte, cette même brume rouge sortie de mon être pour se diriger droit vers les combattants, s'immisça entre eux et les poussa avec force à l’opposé l’un de l’autre. Je soufflais doucement et petit à petit cette magie revint vers moi et retourna sous ma peau. Je regardais Connor, le visage ensanglanté, je devais avouer que j’étais satisfaite de le voir dans cet état mais je ne le dirais jamais haut et fort. Je tournai mon regard cette fois vers Llion, la fureur n’avait toujours pas quitté son regard, il cracha du sang à côté de lui, se releva et prit la parole.
- Ne t’approche plus d’Achlys. Me suis-je bien fait comprendre? Mieux encore, dégage de nos vies.
Pour toute réponse, Connor gémit de douleur.
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