Llion s’était enfin calmé mais il refusait de m’écouter. Il ne comprenait pas pourquoi je ne voulais pas en parler. Il disait que Connor méritait la mort et rien de plus, car, après tout, il avait attenté à la vie de la Reine. C’est là que je dus le couper pour lui rappeler que je n’étais pas Princesse et encore moins Reine. Il me regardait, tentant d’assimiler mes paroles. Son visage restait impassible tandis qu’il tentait d'accepter le fait que je n’avais aucun titre, du moins officiellement.

Quelques minutes s’écoulèrent avant qu’il ne me promette de laisser Connor tranquille. Après cette promesse de faite, nous décidâmes de retourner voir les autres. Lorsque j’avais séparé les deux hommes, Llion avait préféré s’éloigner pour retrouver son calme. Je l’avais suivi puisque, s’il s’était battu, c’était à cause de moi. J’appréciais son dévouement mais cela me mettait un peu mal à l’aise. Jusqu’où aurait-il pu aller si je ne l’avais pas séparé de Connor? Sur le chemin, nous ne parlions pas mais parfois nos regards se croisaient. J’étais gênée de voir son visage un peu amoché, cela lui donnait un air de soldat qui rentrait d’une bataille gagnée d’avance.

Une fois de nouveau auprès des autres, nous vîmes Connor dans son coin, sa ration de nourriture dans sa main gauche, sa gourde d’eau dans sa main droite. Il mangeait à l’écart du groupe, il nous lançait des œillades mauvaises de temps à autre à Llion et moi, mais nous nous en moquions. Nous rigolions avec Lume et parlions de sujets légers. L’heure de dormir arriva bien vite, si vite que cela me fit me rappeler que je devais parler avec EÒghan de ce que m’avait dit Loraevere dans sa lettre. Je me levai donc pour me diriger vers lui, il ne sembla pas apprécier ma venue mais je ne pouvais pas attendre plus longtemps. C’est pourquoi je ne prêtai pas attention à l’avertissement qui prenait place dans son regard.

- Je vois bien que vous ne souhaitez pas ma présence à vos côtés maintenant mais je dois vous dire ce que m’a révélé mon amie. Elle m’a parlé des projets de la Cour à mon égard. Ils ont réussi à obtenir notre localisation. Ils viennent pour moi, Loraevere m’a suggéré d’aller plus au nord sans perdre de temps. Je sais que vous aviez prévu de rester ici aussi longtemps que possible, mais je crois que ce temps-là est désormais révolu…

Il hocha la tête sans rien dire, puis après quelques secondes à méditer mes paroles, il prévint le reste du groupe que nous partirions le lendemain à l’aube. Il regarda ensuite Connor et lui dit d’un ton égal :

- A mon réveil, tu seras parti. N’essaie même pas de nous voler des vivres car si je devais le faire, je te retrouverais. N’essaie pas non plus d’attenter une nouvelle fois à la vie d’Achlys ou à n’importe qui. Maintenant, tout le monde va se coucher, les prochains jours risquent d’être longs.

Au milieu de la nuit, je ne dormais toujours pas, impossible pour moi de fermer l'œil rien qu’une minute. J’étais méfiante à l’idée que Connor soit obligé de partir alors que tout le monde dormait. Il pouvait les massacrer à tout moment malgré l’avertissement d’EÒghan, et moi je serais dans l’incapacité de réagir, la peur et la culpabilité me serreraient les entrailles, je pouvais le garantir. Un léger bruit me fit tourner la tête. J’aperçus Connor se lever, récupérer ses affaires et partir. Sans tuer personne, sans rien voler, sans faire d’esclandre. C’est sur cette image, qu’enfin, mes yeux se fermèrent.

*****

Je fus réveillée par une main me caressant doucement le dos, j’ouvris mes yeux avec difficulté. L’aube commençait à pointer le bout de son nez. Je m’étirai quand une silhouette familière se dessina devant moi. Owein, me tendait la main pour m’aider à me relever, je l’acceptai mais avec réticence. Une fois sur pied, il m’indiqua que nous déjeunerions plus tard, que nous nous mettions dès maintenant en route vers la Chapelle Talamh. Le lieu des Gardiens de Terre. Je ne savais pas si je devais me réjouir de retourner dans un lieu emplit de magie, mais ce n’était pas moi qui prenais les décisions. Je ramassai mes affaires en pensant à ces longues journées de marche qui nous attendaient. Je sursautai lorsque Lume posa sa main sur mon épaule, elle venait me signaler que notre départ était imminent. Je lui fis un grand sourire, finissant de mettre mes affaires dans mon sac avant que celui-ci finisse sur mon dos. Je passai mon bras sous celui de mon amie et c’est ainsi que le voyage commença, Lume et moi, bras-dessus, bras-dessous.

*****

La première journée, nous traversâmes le Bois Royal sans encombre. Je passai la journée avec Lume, lui racontant ma première rencontre avec Loraevere et comment elle m’avait aidé alors que je venais de perdre ma mère. Elle semblait porter une grande attention à mes paroles. Elle me demandait des détails sur son physique, sur sa personnalité. Je ne pouvais pas combler entièrement sa curiosité, car je ne l’avais vu que deux ou trois fois. Alors je faisais de mon mieux pour lui expliquer mes suppositions à son sujet. Je lui racontais comment je l’avais trouvée resplendissante lorsqu’elle était venue pour la première fois jusqu'à mes appartements. Sa timidité plus que visible, la douceur de sa voix, sa gentillesse à mon égard. Lume n’avais de cesse de me dire qu’elle avait qu’une hâte : rencontrer cette jeune femme qui avait su être assez avenante pour que je me sente plutôt bien en sa présence sans avoir à m’amadouer pendant des jours.

Les deux jours suivants, j’étais entre Llion et Seimon, tous deux faisaient office de garde du corps. Nous avions quitté les bois, nous laissant donc à découvert. Ils ne se parlaient toujours pas comme avant mais au moins les insultes avaient cessé. Llion me parlait du prochain entraînement que nous aurions, une fois arrivés là-bas. Je lui montrai mon enthousiasme en lui donnant un petit coup de coude et en lui offrant un sourire en coin. Cela le fit sourire à son tour, content de mon engouement pour les leçons qu’il me donnait. Je le remerciai une nouvelle fois de m’aider avec ses entraînements et ses conseils. Chaque jour je m'améliorais, mais ce n’était pas le cas avec Lume, je restais au point mort avec ma magie. Je n’arrivais toujours pas à la maîtriser lorsqu’elle était projetée en dehors de moi.

Lors du troisième jour, Owein était à mes côtés, nous gardâmes le silence. Par moment je le regardais à la dérobée, et au bout de plusieurs minutes, je pus me rendre compte qu’il faisait de même. Cela me fit rire, il tourna donc la tête vers moi, le regard interrogateur avant de me parler pour la première fois depuis plusieurs jours.

- Qu’est-ce qui te fait rire ainsi?

- Oh, rien du tout...répondis-je malicieusement

- Je ne te crois pas un seul instant. Allez, dit moi, insista-t-il en m’offrant son sublime sourire.

- Rien, c’est juste que je suis heureuse que tu sois de nouveau toi-même, dis-je les lèvres pincées, comprenant trop tard que j’avais mal choisi mes mots.

- Comment ça? Me questionna-t-il

- Et bien… Depuis que nous nous sommes embrassés tu agis comme si je n’existais pas. Et lorsque tu fais attention à moi, c’est uniquement pour me regarder comme si j’étais un danger ou une folle...Là, tu me regardais comme avant, comme...Comme une amie, soufflai-je

Il me regardait avec étonnement.

- Dis...Tu me le dirais si tu regrettais ce qu’il s’était passé? Demandai-je en sentant les larmes me monter aux yeux.

- Bien entendu! Pour qui me prends-tu? Ronchonna-t-il, vexé

- Alors pourquoi? Pourquoi m’évites-tu? Pourquoi me regardes-tu comme si j’étais une erreur? Les larmes perlaient au coin de mes yeux à présent, suite à ces questions que je posais. As-tu ressenti du dégoût? Pleurnichai-je

- Non, bien sûr que non Achlys!

- Alors dis moi pourquoi tu n’es plus le même!

- J’avais peur d’accord?! J’ai peur de ce que je ressens pour toi parce que ça fait des années que je ne t’avais pas vu. Parce que lorsque je te vois sourire comme lorsque nous étions petits, je me souviens que pendant de longues années, ce sourire que j’aime tant avait disparu, remplacé par les larmes. J’ai peur de te blesser, je ne veux pas que tu redeviennes cette jeune fille triste...Pas alors que tu apprends de nouveau à vivre comme une jeune fille sans problème. J’ai peur de tout gâcher parce que je n’ai aucune idée de comment agir avec toi maintenant que nous nous sommes embrassés. Je ne savais pas si c'était sur le coup de l’émotion que tu avais répondu à mon baiser ou si tu en avais envie tout autant que moi...

Je ne réfléchis pas plus et pris mon courage à deux mains et posai une nouvelle fois ma bouche sur la sienne. Je m'agrippais à sa chemise, et lorsque je sentis ses mains sur ma taille, me pressant contre lui, mes mains se dirigèrent d’elles-mêmes dans ses cheveux. Ce baiser était long mais passionné. Nous profitions de ce moment, loin des autres, loin des problèmes qui nous attendaient, tapis dans l’ombre. Nous étions dans notre bulle et pour la première fois, personne ne vint rompre cet instant de bonheur. Sa main droite vint se placer sur ma joue, il y faisait des petits cercles avec son pouce. Je ne voulais plus le lâcher mais nous devions nous séparer pour continuer notre marche. Une fois séparés, Owein déposa un tendre baiser sur mon front avant de m’inviter à reprendre la route, nos mains entrelacées.

Bien plus tard dans la journée, nous aperçûmes la Chapelle Talamh se dessiner au loin, nous arrivions après quatre jours de marche intense. Je souris à Owein, il y avait un magnifique champ de fleurs qui entourait l’édifice. Je me mis à courir vers ce lieu magique, rigolant comme une enfant. Je fus vite rejointe par Owein, ce dernier m’attrapa par la taille, nous faisant tomber ensemble. Rigolant à gorge déployée, nous profitions de cet instant enfantin. Owein déposa de tendres baisers partout sur mon visage avant de terminer par ma bouche.

Lorsque nous nous levâmes, EÒghan discutait avec des gens que je n’avais pas vu sortir. Je supposai qu’il s’agissait du gérant de ce lieu et de quelques Gardiens qui devaient conseiller leur chef. Nous nous dirigeâmes vers eux, et une fois à leur hauteur, je pus voir leurs visages horrifiés. EÒghan nous expliqua que les Gardiens de Terre se faisaient de plus en plus attaqués par les Celeanos, et qu’ils perdaient du terrain à chaque nouvelle bataille… Ils avaient besoin d’aide et avant que je ne puisse réellement réagir, Owein se proposa pour les aider à repousser les sangliers. Les Gardiens le prévinrent que ces animaux n’étaient pas de taille et de corpulence normales, que s’il venait aider, il était probable qu’il soit gravement blessé à la fin de la bataille.

- Monsieur, j’ai participé à beaucoup de batailles sans jamais reculer, ce n’est certainement pas aujourd’hui que cela va changer. Je vous aiderai. Surtout si cela permet à Achlys d’être en sécurité. Je l’ai promis à mon père, le nouveau Régent, je ne faillirai pas à ma promesse. Vous pouvez compter sur moi.

Je le regardais, à la fois admirative et apeurée à l’idée qu’il puisse ne jamais se relever de cette bataille. Mais c’était son choix, je me devais de le respecter.