CH VIII À la recherche de maître G - 1. Prostration
Après cet événement, je restais plusieurs jours cloitrée chez moi. Pour me nourrir, je n’osais plus aller dans les magasins habituels et préférais tout commander par téléphone.
Par mesure de précaution, je déposais la somme exacte en liquide de ce que je devais payer sur le seuil de mon entrée afin de ne pas ouvrir au livreur. Clair, je préférais éviter de me retrouver nez à nez avec Terminator.
D’abord, j’entamai une période de digestion pendant laquelle, alitée la plupart du temps, les images de ma mésaventure repassèrent en boucle dans ma tête.
Encore une fois, un cortège de questions leur fit écho, me mettant dans tous mes états. Que s’était-il passé pour que les choses déraillent ? Qu’avais-je fait de mal ? Payais-je pour toutes mes coucheries avec les stars du grand écran ?
Pressentant l’imminence d’autres questions plus dérangeantes, j’attrapai le morceau de pellicule cramée qui avait représenté l’un des affreux. À mes yeux, cet objet existait réellement. Je sentais bien sa rugosité entre mes doigts tout comme son odeur désagréable. Il n’était pas possible que je l’invente. D’une façon continue, j’entends. Une hallucination dure-t-elle en permanence ? Non, cet objet témoignait que je n’étais pas folle. J’avais bel et bien vécu la course poursuite dans la ville avec Jack Sparrow puis l’agression avec John McClane.
Plusieurs fois lors de ces ressassements infernaux, je fondis en larmes. Des crises violentes comme je ne pensais jamais en connaitre. Le corps hoquetant, je poussais d’horribles cris de souris prise au piège et cognais de toutes mes forces sur mon oreiller ma rage et ma détresse. Je sombrais ensuite dans le sommeil pour des durées plus ou moins longues.
Ayant baissé les stores électriques de ma chambre et n’en sortant que rarement, je fus très vite incapable de deviner l’heure qu’il était. Était-ce le jour ? Était-ce la nuit ? Je n’aurais su répondre et d’ailleurs je m’en battais.
À un endroit que je ne cherchais pas à identifier, mon Iphone 7 se manifestait par intermittence, réceptionnant toutes sortes de messages. À moitié inconsciente, j’y répondais parfois d’une voix moribonde : « Steve ? Steve c’est toi ?... Pardonne-moi, Steve… Il va falloir que tu rappelles. Je suis trop fatiguée… ».
De temps en temps, l’homme génial m’apparaissait en rêve. Fringué décontract’ et équipé d’un micro-cravate, il présentait sa nouvelle invention au monde. Dans la salle, le public composé en grande partie de journalistes étrangers était suspendu à ses lèvres, disposé à recueillir chacune de ses phrases comme une prophétie. Cependant, au beau milieu de son introduction, son regard se troublait et d’une voix chevrotante, il annonçait :« Mais je ne peux pas continuer sans vous parler d’abord de la personne qui a inspiré ce projet. Sans elle, il n’aurait jamais vu le jour et j’ignore si je serai devenu un leader. Stacy, mon amour, lève-toi ». Les joues en feu, je me levais sous les regards admiratifs des gens. Le sourire plein d’une infinie tendresse, Steve me tendait les bras. Un halo de lumière blanchâtre nous enveloppait, chaud, doux, protecteur. Nous ne nous quittions pas des yeux. Autour de nous, les êtres et les objets avaient disparu. Plus de scène, plus de sièges, plus de spectateurs. Il n’y avait plus que nous. Notre couple, son cerveau brillant, mes jambes fabuleuses.
Puis, au moment où j’atteignais l’homme de ma vie, tout basculait. Son sourire charmant se changeait en un rictus hideux. Ses traits, telles des bêtes rampantes, se mettaient à onduler. Ses cheveux et sa barbe poussaient. Jack Sparrow me faisait face, s’esclaffant comme une baleine avinée.
Médusée, je ne bougeais plus. S’il n’y avait eu que lui et son rire atroce. Mais non, dans mon dos, d’autres rires méchants s’élevaient. Je n’avais pas besoin de me retourner pour les identifier. En fait, je ne les connaissais que trop bien. Celui de James Bond, d’Indiana Jones, de l’inspecteur Harry… Uniquement des rires célèbres, appartenant à des héros de blockbuster !
Je me réveillais toujours à cet instant, trempée de sueur et haletante. Puis, après avoir recouvré mes esprits, je m’apitoyais à nouveau sur moi, chialant comme pas possible. Combien de temps demeurais-je dans cet état lamentable ? Je ne saurais le dire. Peut-être une ou deux semaines. Une Stacy que je ne connaissais pas, faible, looseuse et déprimée, avait pris le dessus sur la battante et avait bien failli avoir sa peau.
Quel fut l’élément qui déclencha le retour de la winneuse ?
Là encore, je serais bien incapable de me prononcer. Peut-être cela date-t-il du jour où, par mégarde, j’avais vu mon reflet désastreux sur la fenêtre de la cuisine ? Un frisson intense m’avait labouré l’échine. Je ne m’étais pas reconnue. Et si je m’étais couchée par la suite comme à mon habitude, il est certain que cette vision d’épouvante m’avait chamboulée. Mais peut-être aussi qu’en mon for intérieur, je ne pouvais pas rester comme ça. Tandis que je devenais une loque, petit à petit la Stacy battante se refaisait une santé et remontait la pente. Oui, cet abattement n’avait été qu’un intermède. Juste un temps de répit pour permettre à la guerrière de se remettre en selle.
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