Félix et Fanny foutent
08/01/19
Aujourd'hui l'on se marie plus que pour ça. L'étau pénal qui enrobait les illustres nœuds du mariage s'est peu à peu desserré, si bien que ce type d'alliance n'offre plus qu'un avantage, d'ordre pécuniaire. Fédor, en se noçant à Fanny, l'avait bien en tête, sans pourtant en peser les conséquences.
Cinq ans après les faits, Fanny invite un jeune homme – un facteur – Félix – au foyer conjugal. Elle lui prend osément la main, et la place sur sa poitrine – un glapissement s'élève, mais si ténu, qu'on n'en ouït rien. Fanny, pour tromper l'ennui, vaque à quelque embrassade. De nouveau, ni elle ni l'amant n'entend les glapissements qui poignent à côté. On en vient au baiser, qui se plurielle ; les caresses s'aventurent de mieux en mieux, de membre en membre, les perles de sueur commencent d'embaumer l'air de la chambre. En face, derrière le mur, ça piaille, geint, grogne et frappe le front contre les tables, assez fort pour que d'un coup :
"C'était quoi ? s'inquiète Félix."
Fanny sait mais ne dit mot, renvoie juste un langoureux élan de langue. Le facteur le reçoit, et, finissant les formalités déballatoires, conclut l'affaire dans un han ! Dans la salle contiguë, c'est la chienlit : quelqu'un crie, s'époumone, s'arrache la trachée en fracassant les murs. Félix s'est résolu à penser qu'il s'agit d'un voisin turbulent, et dans une dernière poussée crurale, s'épand à son gré, se tend en s'épanchant, puis tombe flasque dans un état de piteuse satisfaction des sens. Fanny se désincarcère, s'achemine à la salle attenante où, par terre, dans une flaque rougeaude, gît un gusse – son époux – Fédor, qui ne fait plus que pleurer. Son respir est abîmé, concassé par trop d'hurlements.
Son corps nu est recouvert de grosses cloques, qui sont en fait des souches de cornes. Voilà l'avantage : les cocus sont cornus. À chaque adultère une nouvelle paire, qui croît au fur de l'offense. En cinq ans d'aventures, Fanny a parsemé Fédor de ces excroissances éléphantines à chaque recoin de peau. Les éclosions s'avèrent douloureuses, une torture spectaculaire pour le mari, mais nécessaire si l'on en veut récolter les gains. Fanny s'empare justement de la scie à os, et s'attaque aux deux nouvelles, bien recourbées comme celles du bélier. Fédor l'avait pourtant bien prévenue qu'il n'en pouvait plus : il n'y avait plus un centimètre à exploiter. Les dernières cornes, à court d'alternative, sont sorties des orbites, embrochant les yeux et tendant leurs cordons au rythme de leur pousse, jusqu'à la rupture. Aveuglé, amoché et saignant à grosses goulées, il pleure et se sent mourir. Fanny finit d'arracher les cornes, les nettoie et les range dans un caisson, en prévision de la vente de cet onéreux ivoire d'homme. Elle se penche sur son Fédor. Il est parti pour de bon. Alors, elle retourne au salon où Félix fume insouciamment, et l'enlace tendrement. Elle aura grand besoin d'un nouvel époux.
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