j'explore
07/02/19
Tous les jours, pour aller en cours, il me fallait gravir un étage par une cage d'escalier particulière. Dès qu'on poussait la porte, on était pris par une vague de nausée : c'était qu'il y régnait une atmosphère lourde, chaude et poisseuse, qui rougissait la vue et amortissait l'ouïe. Couplez cela au plus putride des parfums, sorti semble-t-il de nulle part, et vous vous représenterez assez bien cet enfer de trente marches, pas toujours assez rapidement parcourues pour pouvoir retenir son souffle. Une minute dans une journée, ce n'est certes rien, mais j'avais l'œil qui tirait aux mystères, toujours prêt à fouiller dans les recoins obscurs. Aussi, préoccupé de ce que le cas de l'escalier s'aggravait au fil des semaines, gagnant en dégoûtance jusqu'au haut-le-cœur, j'en vins un jour à interroger des amis. Contre toute attente, ils eurent une moue d'incrédulité face à ma plainte : aucun ne sentait l'étrange aura qui m'emmaladissait. Aucun ? Ils confirmèrent en riant. Pendant quelques temps encore, je tentai d'ignorer ce mal, mais n'y tins vite plus : une curiosité mêlée d'angoisse me tirait par le col. À l'approche de la cage, ma poitrine se serrait, ma bouche se tordait et mon attention s'intensifiait : il fallait savoir. J'ai longtemps tenté de trouver le concierge qui sans doute m'aurait éclairé ; je ne l'ai jamais croisé. Et puis, à quoi bon, si j'étais le seul à ressentir ce malaise ? Peut-être n'était-ce qu'une de ces psychoses somatisées que quelque symbole escalatoire activait en ce lieu précis ? Je n'avais pas l'habitude de m'arrêter aux hypothèses psychologiques, car j'avais déjà vu dans ma courte existence de bien curieux phénomènes, qui savent se garder de toute explication. Cela suffit à me convaincre de creuser plus loin, et un matin, sur un coup de tête, je décidai de ne pas sortir au premier étage. La peau parcourue de frissons, je grimpai quatre à quatre au deuxième, troisième... Et plus je me rapprochais du plafond, plus l'air me compressait, faisait papillonner mes paupières et bouchait mes tympans. Je titubais désormais, gravis les dernières marches en gémissant, l'ultime en trébuchant. Les poumons brûlaient, les tripes se tordaient, tous les sens se déchiraient. Face à moi, sur un crochet, pendait le concierge empalé, dégouttant une eau brune et poudreuse. Le crochet tenait sur une barre de fer rouillé, qui s'élançait tout droit, un homme embroché tous les cinq mètres, crevant la porte du dernier étage. Celle-ci semblait s'ouvrir non plus sur un simple couloir scolaire, mais bien sur une autre dimension dont le panorama s'étalait partout devant : entre d'immenses colonnes de fumée rouge, mille ouvriers aux ailes de coléoptères suspendaient des hommes pour en extraire une gelée orangeâtre dont ils recouvraient les limites de leur dimension pour l'étendre et conquérir la nôtre. Valait-il vraiment la peine de prendre le temps d'examiner cette vermine mandibulaire ? Je haussai les épaules en m'éloignant. De toute façon, les gens ne se sentiraient même pas massacrer.
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