ils pressent
20/05/19
Ah ! Que je regrette le bon vieux temps, où l'on savait sans comprendre, et faisait bien sans avoir rien appris, plutôt que de dépendre de nos sciences modernes éternellement inexactes ! Aux heures encore rurales, les familles subsistaient par une sorte d'intuition profondément humaine, legs tacite de mille ans de lutte contre les pièges de la nature.
J'ai retrouvé il y a peu une vieille carte postale, qui m'a révélé la mesure de l'abîme qui nous sépare : on y voit, au dessus du sous-titre Dimanche au pressoir, une photographie en noir et blanc. L'image représente une grappe de femmes enchiffonnées, qui tendent des nouveaux-nés aux culs roses devant la gueule béante d'une presse à raisin. La machine consistait en une simple bassine de bois, où posaient trois bambins de trois pommes, pleins de sourires. En y regardant de plus près, on remarque que l'aspect légèrement translucide des gamins trahit leur excitation : de fait, un seul enfant sautillait dans sa cage, détriplé par un temps de pose non respecté. À ses pieds, on devinait l'ombre d'une pile de bébés piétinés.
Encore une des pratiques oubliées des livres d'histoire, surtout bons à celer ce qu'on ne veut plus voir : à la naissance, un homme est fait d'un seul os d'une dureté stupéfiante. Si on ne le brise pas de la bonne manière et dans les bons délais, le squelette se solidifie définitivement, de sorte à provoquer la paralysie totale. La Pangée osseuse doit en outre être fracturée aux endroits adéquats, pour que les éclats calcaires se cartilagent en d'efficaces articulations.
Mais à l'époque, pas besoin de comprendre pour se livrer au rite réjouissant de la presse à nourrissons ; pas besoin de guérir, puisqu'on prévenait sans même y songer. Pourquoi croyez-vous donc que les parents, professeurs, aînés et patrons de tous horizons battaient-ils si volontiers les gosses de tous âges ? Non point pour les punir, moins encore par une sorte de plaisir cruel ou de volonté de domination reconduite génération après génération : il s'agissait simplement d'un élan altruiste, instinctif, avec pour seule fin d'attendrir et de fluidifier le corps juvénile. Pourquoi les enfants eux-mêmes s'évertuent-ils à tant irriter tout leur entourage au gré de singeries inopinées, si ce n'est pour appeler le bâton, qui, pendant mâle du sein maternel, leur est nécessité native ?
Voilà qu'on a oublié ce noble devoir d'éducation, et l'on se refuse jusqu'à la moindre fessée, la plus petite gifle. Cette absurdité a même été inscrite dans la loi ; les soi-disant "droits des enfants" les préviennent justement de rester en bonne santé ! Les pauvres ne sont pas même capables de nous reprocher notre négligence, car il nous appartient d'avoir conscience de leurs besoins. À défaut, ils rivalisent de maladresse de sorte à se cogner et tomber le plus souvent possible. Sots comme nous sommes, nous les soignons avec condescendance : ils ne pleurent point de douleur cependant, mais du désespoir de n'avoir une force supérieure et doctement dispensée pour se tailler un corps sain. Personne pour compléter le bobo d'une fracture ! Las ! Nous sommes réduits à torturer l'esprit seul, malgré qu'on en aie... oh ! Je dois vous laisser : mes petite-section sortent bientôt de sieste.
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