je confesse
M.25.11.20
Les vieux, au moins, ils avaient la confesse.
J'ose à peine me figurer la jouissance moissonnée chaque semaine : chez le curé, l'accès sans restriction à l'intimité des paroissiens, la satisfaction de sanctionner à loisir, juger sans jamais s'éloigner du juste ; chez les confessés, le relâchement de toutes les rancœurs, des fantasmes de dévotes, l'aveu du pire toujours pardonné.
Le corps produit de la chaleur, et le principal dispositif de ventilation trouve son embouchure au niveau des lèvres.
Ergo, celui qui se tait trop longtemps boue ses maux, la pression grimpe et accroît le risque d'explosion, d'où la vertu purgative du verbe.
Autem, un patient qui s'aère en ouvrant la bouche prend le risque de nourrir ses feux : il ne doit pas les déverser n'importe où, à moins de tempêter si fort qu'il gagnât la sûreté de les éteindre tout à fait ; la vie commune ne s'accommoderait pourtant pas de pareils coups d'éclats.
Sic, la confesse confère aux fidèles une opportunité de se déverser hermétiquement : le fluide vicieux se transvase dans l'oreille du prêtre. Le prêtre ne dit mot, c'est pourquoi son cœur est noyé d'huiles ardentes qu'il accueille depuis toutes les bouches. Il se complaît dans son rôle de réservoir, et emploie son temps tout entier à chauffer, chauffer la bile du monde jusqu'à vaporisation. Il doit à tout instant zinguer son crâne, tiraillé par les brumes de perversion. S'il cille les paupières, c'est pour y enchaîner des monstres, et s'il cèle ses failles, c'est pour que jamais ne s'en extirpe le Malin.
S'il craque et vide son sac, s'il régurgite un poison si longuement distillé, il offre à son âme une fraîcheur que seuls les profanes peuvent se permettre, le mal demeure et poursuit ses offices. En revanche, si le curé reste fidèle et dolent, s'il macère dans le brouillard jusqu'à la messe, il peut enfin s'ouvrir. Face à la foule des croyants, le verbe n'est plus pâteux, encroûté comme il avait été vomi, non : les péchés individuels s'amalgament en un seul souffle, invisible et léger. Le prêtre en a extrait l'essence, laissant croupir le concret et le personnel dans le creux de son foie.
Voilà le fond d'un sermon : une buée incandescente, la souffrance d'un peuple montant au ciel. La paroisse y accoure pour témoigner du miracle, vérifier que leur cafetière à démons remplit son rôle.
L'ecclésiaste qui se mêle de régler les mœurs des autres est un couard qui voudrait qu'on le ménage en fautant moins, que chacun boue dans son coin sauf cas d'urgence. Il oublie sa fonction : martyr par procuration, cruchifié d'office pour le confort commun. Le chrétien accompli laisse son prochain pécher, l'invite à sa table et lui dit : "Je m'en charge", aussi absurde que cette gratuité puisse paraître. Ce que je trouve étrange, c'est qu'on ait cru bon d'imposer seulement au prêtre d'être chrétien, qu'il supporte sans être soutenu, qu'on lui délègue sans qu'il puisse reléguer. Tous les profanes peuvent alors joyeusement commettre leurs atrocités pour alimenter la passion d'un autre.
La confesse ayant été bannie des us, désormais, chacun porte ses fautes et les boue dans son coin. On cadenasse nos désirs secrets, de peur que de mauvaises âmes ne s'en emparent pour nous tourmenter. Nous sommes tous devenus de petits curés auto-alimentés, soucieux au lieu de sociaux, qui nous remplissons d'ennuis goutte à goutte. Pour vidanger un peu et garder la barre, nous nous saturons d'oubli, nous nous assommons de psys.
De vapeurs buccales, nous ne voyons jamais plus qu'un mince filet, aux premiers froids de l'hiver. Rien à voir avec les immenses nuages qui flottent au loin, et qui semblent évadés des cœurs béats des anciens hommes. Nous succombons à l'assistanat par voie de cigarettes, joints et pipes, c'est dire le manque de fumée ! Quand nous osons crapoter, c'est seulement par bouffées noires, abstraites, indigestes.
Pourtant, il serait si simple de couler, d'abattre les barrages, de se présenter tout entier comme une faille sanglante. Mais non, nous restons emmurés dans l'attente d'une confesse même après la mort des confesseurs. Ils nous ont confisqué la salive, nous ont consignés à leurs oreilles cupides.
Songez-y la prochaine fois que vous vous ensevelirez dans les bras d'un amant : et si ses pulsations cardiaques n'étaient que les larges remous d'un fier samovar ? Combien de fiel ardent dégoulinerait de ses lèvres s'il choisissait soudain de véritablement tout confier ? Les aveux modernes calcinent des lustres, atteignent des chaleurs volcaniques, solaires. Ils s'évadent en de terribles foudroiements, que je chasse comme des tornades. Qu'ils viennent de moi, d'amis ou d'inconnus, je capture les secrets fugitifs, les mouds dans mon giron, comme un mormon les marmonne dans ma marmite buccale, et les fonds en lettres éthérées. Je les confesse, en quelque sorte, à mon échelle. Je prends le magma du monde, l'apaise et le file.
Peut-être je m'y adonne par masochisme, ou par curiosité. Surtout je crains ce qui advient à ceux qui, honteux d'avoir exprimé leur fureur, en ravalent les éclairs et s'entêtent à rester citernes. On n'a pas de cuve de rechange.
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