Le Gardien

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Ce soir, le sommeil me fuit. L'excitation agite chaque parcelle de mon corps. Demain, sera le jour de la grande quête.

Je frémis devant l'épreuve qui m'attend. Serai-je à la hauteur ?

Je passe plusieurs heures à refaire mes plans pour atteindre l'objectif que je me suis fixé, puis à lister les tâches que je devrais accomplir avant de pouvoir mener ma quête à bien : accumuler deux-cents d'or supplémentaires pour l'armement, trouver le plan de la base, ranger le lave-vaisselle...

La longueur de la liste finit par avoir raison de ma nervosité et je tombe dans un sommeil profond.

Au réveil, pas un bruit dans mon abri, sept heures et demi pourtant. Impossible de faire mes provisions au risque de déclencher les foudres parentales. J'attrape un livre sur ma table de chevet pour tenter d’accélérer le temps. En vain. Comment tenir jusqu'à neuf heures du matin ?

J'attrape un deuxième ouvrage que je dévore trop rapidement. Puis un troisième.

Lorsque j'entends le bruit d'une porte, je décolle du matelas tel un ressort. Je me fraye un chemin au milieu des Legos qui jonchent le sol. Grâce à des années de pratique et une parfaite maîtrise de l'équilibre, je traverse sans encombre le terrain miné.

J'ouvre le battant et me trouve nez à nez avec le Gardien.

Je frissonne. Comment l’affronter ? J’ai bien réussi à passer le barrage à de nombreuses reprises mais il n’est jamais garanti que la stratégie du week-end précédent fonctionne encore le suivant.

Bonjour maman, est-ce qu’après le petit-déjeuner je peux jouer à la console ?

On verra après avoir mangé. Une chose à la fois.

La tactique numéro un n’a pas fonctionné. Si je veux maximiser ma réussite, il me faut laisser un peu de temps avant de tenter la numéro deux. Je suis ma mère jusqu’à la table et, pour mettre toutes mes chances de mon côté, je l’aide à installer le petit-déjeuner. Je vais même jusqu’à couper les tartines et les mettre à griller. Si avec ça, je n’obtiens pas le passe Jeux vidéo.

Cette après-midi, nous allons chez Clément. On part vers quatorze heures. D’ici là, tu veux faire quoi ce matin ?

Jouer à War Robots.

Devant l’absence immédiate de réaction, je m’empresse d’ajouter :

Après avoir fait mon lit, rangé ma chambre, m’être habillé et lavé les dents.

Un sans faute. Normalement… Je sens une goutte froide couler sur mon cou le temps que le Gardien ne réfléchisse à la proposition. Ai-je donner le bon mot de passe ? D’un coup, le doute m’envahit. Et si ce n’était pas le cas ? Quel morceau manque-t-il pour obtenir le précieux Graal ? Non, je ne peux pas échouer si près du but, après tous les efforts que j’ai fournis ! J’ai besoin de ce passe pour acheter un Fujin dont le bouclier arrêtera les missiles et les balles, au risque de voir Mathéo réussir cet exploit avant moi. Maëlys n’aura alors d’yeux que pour lui.

Pour être sûr de ne pas perdre le cœur de ma princesse, je tente une dernière cartouche :

Je joue une heure et ensuite je t’aide à préparer le déjeuner, si tu veux.

Ma gorge se noue. Faites qu’elle dise oui ! Faites qu’elle dise oui !

C’est d’accord. Merci de ta proposition.

Je sens une vague pétillante déferler sur mon corps. J’ai une soudaine envie de bouger, de danser, de sauter. J’ai passé l’épreuve du Gardien, à moi le Fujin !

Puis d’un coup je me souviens : nous sommes en vacances mais papa, lui, télétravaille et occupe l’antre sacré. Le tsunami joyeux reflue en même temps que s’éloigne la possibilité de jouer à War robots. Mes épaules s’affaissent.

Ma mère me demande, pleine de sollicitude :

Qu’est-ce qu’il y a, ça ne va pas ?

Je réponds tristement :

Je peux pas jouer, papa travaille.

Si, sur ta tablette.

Oui, mais pas à War robots.

Tu feras un autre jeu.

Elle ne peut pas comprendre. Je sais qu’elle fait de son mieux mais nous ne parlons décidément pas le même langage. Maëlys est perdue. Je vois déjà Mathéo se pavaner avec un sourire en coin. Je le provoquerai bien en duel celui-là !

Mon père sort de l’antre tant convoité :

Chérie, Christian me propose d’aller travailler chez lui, il me prêtera la machine de découpe de carrelage et on profitera de la pause déjeuner pour qu’il me montre comment elle fonctionne.

D’accord. Attends.

Ma mère disparaît avant de reparaître avec une boîte d’œufs dans les mains.

Nos poulettes ont trop pondu, on pourra pas tout manger, t’as qu’à leur offrir cette boîte.

Un ange gardien veille sur moi, j’exulte.

Arrête un peu de t’agiter dans tous les sens ! C’est agaçant !

Oh non, je ne dois pas prendre le risque de fâcher le Gardien au risque de me voir soumis à une épreuve supplémentaire. Ne pas bouger. Rester calme. Ne pas bouger. C’est trop dur !

Maman, je peux sortir de table ?

Bien sûr.

Je me précipite dans ma chambre et saute sur mon lit. J’utilise ensuite ce surplus d’énergie pour me préparer et ranger ma chambre en un temps record. J’ouvre la porte de la pièce tant convoitée. J’appuie sur le bouton de la console. Rien.

Je réessaie avant d’entendre ma mère s’exclamer avec contrariété :

C’est pas possible ! Encore une coupure de courant ! La deuxième ce matin !

Non, le sort s’acharne !

Oui, mais un véritable guerrier ne baisse jamais les bras. Je m’assois sur le canapé et me concentre sur ma respiration. Inspir. Expir. Le temps s’étire. J’attrape un ongle et le ronge avant de passer au deuxième. Lorsque j’arrive à l’auriculaire, l’écran affiche enfin la mise en route. Youpi !

C’est moi qui prend la console ce matin. Tu l’as déjà eu hier ! affirme mon petit frère.

Non, c’est faux.

Si, c’est vrai !

Je sens un volcan prêt à exploser en moi. Au moment où je vais craquer, j’entends ma mère crier de la cuisine :

Laisse ton grand frère tranquille, c’est toi qui a joué à la console hier. Si tu veux faire des jeux vidéo, utilise ta tablette.

C’est pas juste ! ponctue mon cadet en sortant de la pièce les pieds frottant sur le parquet.

A moi l’armure, Maëlys et la jalousie de Mathéo !

Manette en main, j’appuie sur démarrer. Ce matin j’ai réussi ma quête… A moins qu’elle ne vienne juste de commencer ?

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