Chapitre 1

6 minutes de lecture

Date : 26 octobre 2024

Heure : 9h30

Deux semaines s’étaient écoulées depuis que Mariana avait raconté pour la première fois l’histoire de Lavande à Matheo. Depuis ce soir-là, le conte avait pris racine dans l’esprit du jeune garçon, qui ne cessait de réclamer cette histoire, fasciné par la mystérieuse figure de Lavande. Chaque soir, avant de s’endormir, il demandait à sa mère de lui raconter encore et encore le récit de la jeune fille à la peau violette.

Ce matin-là, Mariana devait se rendre à un rendez-vous médical pour vérifier que tout allait bien avec sa grossesse. Elle était désormais dans son huitième mois, et chaque visite était une étape de plus vers l'arrivée de sa petite fille. Comme Arnold, son mari, devait opérer ce matin-là, elle décida de confier Matheo à sa belle-mère, Louise, la mère d’Arnold.

La maison de Louise était une grande demeure ancienne, faite de pierre grise, entourée de jardins bien entretenus où chaque fleur semblait avoir été soigneusement choisie et plantée. Un saule majestueux dominait l’entrée, ses branches tombantes créant une atmosphère à la fois accueillante et mystérieuse. À l’intérieur, l’ambiance était feutrée, les murs ornés de tapisseries aux motifs floraux, et des meubles en bois massif témoignaient du bon goût traditionnel de Louise.

Louise, une femme d’une soixantaine d’années, portait toujours une expression de calme, mais ses yeux perçants trahissaient une vigilance constante. Elle avait les cheveux gris soigneusement coiffés en un chignon strict, et portait ce matin-là une robe en laine de couleur prune, assortie à un châle drapé sur ses épaules. Elle avait une habitude, presque un tic, de réajuster sans cesse son châle, comme si elle cherchait à se protéger d’un froid invisible. Ses mains, fines mais fermes, étaient souvent occupées à lisser le tissu ou à serrer les poignées de ses chaises en bois sombre.

Matheo, enjoué, courait autour de la maison, une petite voiture en main, tout en parlant sans arrêt de Lavande. Lorsqu'ils arrivèrent chez Louise, le petit garçon se précipita vers sa grand-mère, les yeux brillants de l'excitation propre à son âge. Louise l'accueillit avec un sourire, mais une ombre d'inquiétude passa brièvement sur son visage en entendant le nom de Lavande prononcé à plusieurs reprises.

« Matheo, mon chéri, pourquoi parles-tu tout le temps de cette histoire ? » demanda Louise, fronçant légèrement les sourcils.

« Maman m'a raconté l'histoire de Lavande ! C'est une fille avec la peau violette, et elle peut faire plein de trucs magiques ! » répondit Matheo avec enthousiasme, ses petites mains agitant la voiture en l'air comme s'il illustrait un vol magique.

Louise échangea un regard préoccupé avec Mariana.

« Mariana, je dois te dire que ce n'est pas une bonne idée. Parler de Lavande n'a jamais porté chance à personne. C'est une vieille légende, et elle n’apporte que des ennuis. Les enfants ne devraient pas être exposés à ce genre d’histoires, cela peut leur attirer des malheurs. »

Mariana sourit, essayant de dissiper les craintes de sa belle-mère.

« Louise, ce ne sont que des histoires. Elles sont faites pour être racontées, pour stimuler l'imagination des enfants. Je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit de mal à cela. »

Louise ne se laissa pas convaincre si facilement. Elle ajusta son châle sur ses épaules, un geste qu'elle répétait fréquemment lorsqu'elle était anxieuse ou contrariée.

« Mariana, tu devrais vraiment faire attention. Ces légendes ont une part de vérité, même si nous préférons les ignorer. J'ai entendu des histoires... des histoires de familles qui ont été maudites après avoir trop parlé de Lavande. Des tragédies. »

Mariana fronça légèrement les sourcils, mais garda son calme. « Louise, je comprends ton inquiétude, mais je ne crois pas aux malédictions. Matheo est un garçon curieux, et je préfère qu'il entende des histoires de ma part plutôt que d'imaginer des choses bien pires par lui-même. »

Louise secoua doucement la tête, son visage empreint de gravité. « Croire ou ne pas croire, cela ne change rien au fait que ces histoires sont puissantes. Elles plantent des graines dans l'esprit des enfants, et ces graines peuvent devenir quelque chose de dangereux. »

Mariana, sentant la conversation tourner en rond, décida de ne pas insister davantage. Elle embrassa son fils et sa belle-mère, puis prit la route pour son rendez-vous, laissant derrière elle les avertissements de Louise.

Le trajet se fit sous un ciel gris, typique de l’automne, les feuilles mortes tapissant les trottoirs d’une fine couche orange et brune. En arrivant à la clinique, Mariana se sentit un peu plus légère, éloignée des préoccupations de sa belle-mère. La clinique était moderne, lumineuse, avec des murs aux tons apaisants de beige et de vert pâle. Les infirmières, souriantes et efficaces, l'accueillirent chaleureusement, et elle s'installa dans la salle d'attente, caressant son ventre où la petite fille semblait particulièrement agitée ce jour-là.

Après quelques minutes, elle fut appelée et le médecin procéda aux examens habituels. Tout se déroulait bien, le bébé grandissait à un rythme normal, et son activité était jugée saine, bien que notablement plus énergique que la moyenne.

« Rien d’inquiétant, » la rassura le médecin avec un sourire. « Vous avez simplement une petite athlète en devenir ! »

Mariana sourit en entendant cela, bien que l’agitation constante de son bébé continue de l’intriguer. Était-ce simplement une coïncidence, ou y avait-il quelque chose de plus ? Elle chassa vite ces pensées, les attribuant à l’imagination débordante que le conte avait réveillée en elle.

Arnold, son mari, arriva avec un peu de retard, son visage fatigué par une longue matinée de chirurgie. Arnold était un homme de grande stature, au visage anguleux, avec des cheveux bruns légèrement grisonnants sur les tempes, signe de l'âge et de la sagesse acquise au fil des ans. Ses yeux bleus, habituellement perçants et concentrés, trahissaient aujourd'hui une légère fatigue. Il portait toujours une montre en argent qu'il consultait fréquemment, un tic hérité de ses années de travail intense en tant que chirurgien de renommée.

« Désolé pour le retard, » dit-il en déposant un baiser sur le front de Mariana. « Comment va notre petite fille ? »

« Tout va bien, » répondit Mariana avec un sourire rassurant. « Elle est juste très active, mais le médecin dit que c'est normal. »

Arnold hocha la tête, soulagé. Ils discutèrent brièvement des détails du rendez-vous, et Mariana fut heureuse de voir qu’il n’y avait rien d’inquiétant à signaler. Cependant, Arnold semblait préoccupé, comme s'il avait autre chose en tête.

En quittant la clinique, Arnold partit chercher Matheo chez sa mère, tandis que Mariana rentra à la maison. La demeure familiale, située dans un quartier résidentiel cossu, était spacieuse et élégante, une belle maison en pierre entourée d’un grand jardin que l'automne transformait en un tapis doré. L'intérieur, décoré avec goût, mélangeait le moderne et le classique, avec des touches personnelles telles que des photos de famille encadrées et des œuvres d'art abstrait que Mariana avait choisies elle-même. Ils n'avaient pas à se plaindre de leur situation financière, et chaque pièce de la maison respirait le confort et le raffinement, sans pour autant être ostentatoire.

Mariana, une fois rentrée, se dirigea vers la cuisine. Elle se servit un verre de sirop à la pêche, sa boisson de prédilection depuis qu'elle était enceinte, une envie qui avait remplacé son ancien amour pour le chocolat. Puis, elle alla s'installer dans le salon, devant la cheminée où un feu crépitait doucement, projetant des ombres dansantes sur les murs. Elle s'enveloppa dans un plaid doux et moelleux, savourant ce moment de calme, loin de la pression du quotidien.

Un peu plus tard, la porte d'entrée s'ouvrit et elle entendit les voix de Matheo et d’Arnold résonner dans la maison. Ils la rejoignirent dans le salon, où Matheo se précipita pour raconter sa journée avec une énergie débordante.

« Maman, grand-mère m'a dit qu'il ne fallait pas parler de Lavande, mais je lui ai dit que c'était juste une histoire ! » déclara Matheo, l'air à moitié fier, à moitié intrigué.

Arnold, qui s'était assis à côté de Mariana, la regarda avec une certaine gravité.

« Mariana, je pense que tu devrais arrêter de lui raconter cette histoire. Ma mère a raison, ce n'est pas le genre de conte qu'un enfant devrait entendre encore et encore. Cela pourrait lui faire plus de mal que de bien. »

Mariana leva les yeux au ciel, exaspérée par la superstition ambiante.

« Arnold, ce n'est qu'une histoire. Matheo aime ça, c'est tout. Je ne vois pas où est le mal. Il faut arrêter de croire que les légendes ont un pouvoir réel sur notre vie. »

Arnold soupira, mais ne poursuivit pas la discussion. Il connaissait la détermination de sa femme et savait qu'il ne servirait à rien d'insister ce soir. Cependant, une ombre d’inquiétude continuait de planer au-dessus de lui. Il embrassa tendrement Mariana, puis alla aider Matheo à se préparer pour la nuit, laissant sa femme se reposer devant le feu.

Mariana resta un moment, enveloppée dans la chaleur du foyer, son esprit divaguant entre la tranquillité de l'instant et les vagues appréhensions qui semblaient rôder à la périphérie de sa conscience. Lavande, cette figure fictive, continuait à occuper une place étrange et persistante dans sa vie, comme un écho lointain d’un passé qu’elle ne comprenait pas encore.

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