Chapitre 16

6 minutes de lecture

Date : 15 février 2025

Heure : 03h00

La maison était plongée dans un silence oppressant, seulement troublé par le sifflement du vent qui s'infiltrait à travers les volets mal ajustés. À cette heure de la nuit, tout semblait figé, comme si le temps lui-même hésitait à avancer. Arnold, étendu sur son lit, les yeux grands ouverts, observait le plafond sombre. La lumière froide de la lune, filtrée par les rideaux, dessinait des ombres irrégulières sur les murs, ressemblant à des formes fantomatiques qui dansaient au gré du vent.

Le sommeil refusait de venir, comme c’était le cas depuis des semaines. Chaque fois qu'il fermait les yeux, les images du passé et de l'inconnu se mêlaient dans son esprit. Violette. Sa petite fille, qui devenait chaque jour plus étrangère à ses yeux. Ses pouvoirs, son lien mystérieux avec la mer et la lune… Tout cela échappait à son contrôle, et surtout, à sa compréhension.

Arnold était un homme de science. La médecine, les faits, la logique avaient toujours été ses points d’ancrage. Mais depuis la naissance de Violette, ces fondements se fissuraient. Il avait essayé, d’abord, de rationaliser tout ce qui arrivait. Les tests médicaux, les examens… Ils n’avaient révélé aucune anomalie physique. Pourtant, il voyait sa fille faire léviter des objets, changer la température de l’air autour d’elle, et même projeter une étrange lueur argentée dans la pénombre. Il n'y avait aucune explication rationnelle à cela. Et c’était ça, le problème.

Il se redressa brusquement, le cœur battant à tout rompre. Une peur sourde, presque irrationnelle, l’avait envahi. La peur de ne plus rien savoir sur la vie. De ne plus rien comprendre.

Il se leva, ses pieds nus touchant le sol froid, et se dirigea vers la petite bibliothèque qu'il avait installée dans le bureau. Depuis des semaines, cette pièce était devenue un refuge pour lui, mais aussi un tombeau de certitudes brisées. Les étagères étaient désormais encombrées de livres sur la médecine, la science, mais aussi sur des sujets auxquels il ne s’était jamais intéressé auparavant : les mythes, la magie, les légendes. Chaque jour, il ajoutait de nouveaux volumes, espérant y trouver une réponse, un espoir de comprendre ce qui arrivait à sa fille.

Mais plus il lisait, plus il se perdait. Le contraste entre la rigueur scientifique qu’il avait toujours défendue et les forces mystiques qui semblaient gouverner la vie de Violette le poussait dans une spirale d’angoisse. Son esprit rationnel se brisait peu à peu, incapable de faire face à cette nouvelle réalité.

Arnold s’assit à son bureau, ouvrant un livre au hasard. Le texte, pourtant clair, lui semblait désormais un amas de mots vides. Rien ne faisait sens. Il n'y avait aucune certitude à laquelle se raccrocher, rien qui puisse le ramener à la sécurité de ses anciennes croyances. Son esprit était envahi par le chaos de l’inconnu.

Heure : 04h30

Fatigué et vidé de toute énergie, Arnold se laissa aller contre le dossier de son fauteuil, ses yeux se fermant malgré lui. L'obscurité l'enveloppa bientôt, et dans cet état de demi-sommeil, un rêve étrange prit forme.

Il se trouvait sur une plage déserte, la mer s’étendant à perte de vue sous un ciel noir et orageux. Le sable sous ses pieds était glacé, et une brume épaisse se levait des vagues. Il marchait lentement, ses pas s’enfonçant dans le sable mouillé, quand une silhouette apparut à l’horizon.

Un homme se tenait là, dos à lui, regardant la mer avec une intensité silencieuse. Arnold s’approcha, incertain, mais quelque chose dans cette scène le poussait à avancer. Plus il se rapprochait, plus l’air devenait lourd, comme si une tempête approchait.

Lorsque l’homme se tourna finalement vers lui, Arnold s’arrêta net. Ce visage… Il lui était familier, mais pas de la manière dont un souvenir s’impose à l’esprit. Il ressemblait à lui, mais plus vieux, plus marqué par le temps, comme une version de lui-même venue d'un passé lointain.

« Qui êtes-vous ? » demanda Arnold, sa voix résonnant étrangement dans l’air immobile.

L’homme le regarda avec un mélange de tristesse et de résignation.

« Je suis ce que tu deviens, si tu continues à chercher des réponses là où il n’y en a pas. »

Arnold sentit un frisson parcourir son échine.

« Que voulez-vous dire ? »

L’homme, qui semblait à la fois proche et distant, fit un pas en avant, ses yeux se plongeant dans ceux d’Arnold avec une intensité glaçante.

« Tu crois que tout peut être compris, que tout a une explication. Mais certaines choses échappent à la logique, à la science. Certaines vérités ne peuvent pas être saisies, et plus tu les cherches, plus tu t’éloignes de ce qui compte vraiment. »

Arnold secoua la tête, confus et frustré.

« Non… Il doit y avoir une explication. Il y a toujours une explication. Ma fille… Je dois comprendre ce qu’elle est. »

Le visage de l’homme s’assombrit, et il regarda vers la mer, ses traits se durcissant.

« J’ai fait la même erreur. J’ai tenté de contrôler ce que je ne comprenais pas. Et ça m’a coûté tout ce que j’aimais. »

Arnold sentit son cœur se serrer, une panique sourde montant en lui.

« Qui êtes-vous ? » demanda-t-il à nouveau, sa voix presque un murmure.

L’homme se tourna une dernière fois vers lui, ses traits figés dans une expression de tristesse infinie.

« Je suis le père de Lavande. »

Ces mots frappèrent Arnold comme une vague glaciale. Le père de Lavande… Celui dont il avait entendu parler à travers le conte, celui qui avait lui aussi perdu pied face aux pouvoirs inexplicables de sa fille. Le mythe se répétait, et Arnold se retrouvait face à son propre futur.

L’homme commença à disparaître, se fondant dans la brume qui montait de la mer. Arnold tenta de courir vers lui, mais ses jambes refusaient de bouger. Il restait figé sur place, prisonnier de ce rêve étrange, incapable de faire face à cette vérité terrifiante : il était en train de suivre les mêmes pas que cet homme oublié, de s'enfoncer dans une quête de sens qui ne ferait que le mener à la ruine.

Heure : 05h00

Arnold se réveilla en sursaut, trempé de sueur, son cœur battant à tout rompre. La pièce était silencieuse, plongée dans l’obscurité. Le livre qu’il avait tenté de lire était toujours ouvert sur le bureau, mais les mots semblaient flous à ses yeux fatigués.

Il se leva, chancelant légèrement, et se dirigea vers la fenêtre. Dehors, la nuit était encore épaisse, mais une fine lueur à l’horizon annonçait l’approche de l’aube. La mer, calme et sombre, semblait l’observer de loin, mystérieuse et impassible. C’était la même mer que dans son rêve, cette mer qui avait pris Lavande, et qui pourrait bien prendre Violette si rien n’était fait.

Pour la première fois depuis des mois, Arnold se sentit démuni, vidé de tout espoir de compréhension. Il avait passé sa vie à croire que tout pouvait être compris, qu’il y avait toujours une réponse, une explication rationnelle. Mais ce rêve… Ce rêve lui avait montré une vérité plus profonde, plus effrayante : il était en train de perdre tout ce qu’il connaissait, tout ce qu’il aimait, parce qu’il refusait de lâcher prise.

Il sentit une larme rouler sur sa joue. La peur de ne plus rien savoir sur la vie, sur sa propre fille, sur ce que l’avenir leur réservait, le paralysait. Il avait passé des mois à tenter de comprendre Violette, à chercher à la guérir, à la contrôler, mais peut-être… Peut-être que ce n’était pas la bonne voie. Peut-être que la réponse n'était pas dans la science, ni dans la médecine, mais dans l’acceptation. L'acceptation que certaines choses échappaient à sa compréhension.

Il resta là, immobile, fixant l’horizon, avec le sentiment écrasant que quelque chose venait de se briser en lui. Il savait qu'il était à un tournant. S’il continuait sur ce chemin, il risquait de devenir cet homme du rêve, de tout perdre en cherchant des réponses qui n’existaient pas.

La peur de l’inconnu le rongeait, mais il devait faire un choix. Accepter que Violette était au-delà de son contrôle, ou continuer à se battre contre des forces qui le dépassaient.

Il murmura dans le silence de la pièce :

« Je ne veux pas finir comme lui… »

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