Chapitre 18

5 minutes de lecture

Date : 28 février 2025

Heure : 02h00

La nuit était tombée depuis des heures, et la maisonnette au bord de la mer était plongée dans l’obscurité. Le bruit des vagues était presque apaisant, un murmure constant qui semblait vouloir effacer les pensées tourmentées d’Arnold. Mais malgré l’apparente tranquillité du monde extérieur, l’esprit d’Arnold était en ébullition. Le sommeil le fuyait, comme s’il refusait de lui accorder le moindre répit.

Assis dans le salon faiblement éclairé par une petite lampe, Arnold fixait une pile de livres étalés devant lui sur la table basse. Des ouvrages médicaux, bien sûr, mais aussi des textes plus étranges : des légendes locales, des récits de folklore, des mythes qui parlaient de magie ancienne et d’enfants nés sous des étoiles particulières. Des histoires qui, quelques mois plus tôt, lui auraient semblé ridicules.

Mais maintenant, tout semblait différent.

Il se pencha en avant, ses coudes appuyés sur ses genoux, ses mains entrelacées. Ses yeux étaient fatigués, mais son esprit ne cessait de tourner en boucle les mêmes questions : et si tout cela était vrai ? Et si Violette faisait réellement partie d’un monde qu’il ne pouvait pas comprendre, un monde où la science n’avait plus de place ?

La science…

Il avait toujours cru que tout pouvait être expliqué, que la raison et la logique finiraient par triompher. Mais face à Violette, ces certitudes s’étaient effondrées. Ses pouvoirs, ses connexions mystérieuses à la mer et à la lune, l’étrange lueur argentée qui émanait parfois de son corps… Rien de tout cela ne pouvait être analysé, décortiqué, compris. Et plus il essayait de la comprendre, plus il se perdait lui-même.

Il se leva soudainement, la chaise grinçant sous le poids de son mouvement brusque. Il se dirigea vers la fenêtre du salon et écarta légèrement le rideau pour observer l’extérieur. La lune était haute dans le ciel, baignant la mer d’un éclat argenté. Le reflet des vagues semblait danser doucement, comme une invitation silencieuse.

C’était là, il le savait. Ce lien que Violette avait avec cet élément. Quelque chose d’invisible, d’indéchiffrable, la connectait à la mer. Et lui, il se trouvait complètement impuissant face à cette vérité.

Son esprit repartit vers ses dernières conversations avec Jeremy. Son ami avait tenté de le rassurer, de lui dire qu’il n’était pas le père de Lavande, que son histoire n’était pas écrite d’avance. Mais chaque nuit, ce rêve revenait. Ce rêve où il voyait cet homme, brisé par l’impossibilité de comprendre, de contrôler. Ce père qui lui ressemblait tellement, qui était devenu une version effrayante de lui-même.

Il fallait qu’il prenne une décision.

Arnold prit une profonde inspiration et retourna vers la table. Il repoussa les livres médicaux d’un geste brusque et saisit l’un des textes de légendes locales. Un vieux livre, aux pages jaunies et aux bords usés. Il l’avait feuilleté à plusieurs reprises, mais chaque fois, il l’avait reposé, refusant de croire en ce qu’il lisait. Mais maintenant… il n’avait plus vraiment le choix.

Il ouvrit le livre, ses doigts glissant sur les mots gravés sur le papier. Le texte parlait d’enfants comme Violette. Des enfants nés sous des circonstances spéciales, reliés à des forces naturelles, qui portaient en eux un pouvoir ancien, mystique. Il y avait des récits de miracles… mais aussi des tragédies. Ces enfants, s’ils n’étaient pas guidés correctement, finissaient souvent par être consumés par leur propre puissance. Comme Lavande.

Cette idée le terrifiait. Violette était encore si petite, si innocente. Mais il savait que ce pouvoir, s’il n’était pas maîtrisé, pourrait la détruire. Tout ce qu’il avait toujours redouté semblait se réaliser.

Le bruit léger d’un mouvement derrière lui le fit sursauter. Il se retourna, le livre toujours dans ses mains. Mariana se tenait dans l’embrasure de la porte, ses cheveux épars tombant sur ses épaules. Elle le regardait avec une certaine inquiétude, comme si elle savait déjà ce qui le hantait.

« Tu ne dors pas encore ? » demanda-t-elle d’une voix douce, s’approchant lentement.

Arnold secoua la tête, un sourire fatigué étirant ses lèvres.

« Non… Je n’y arrive pas. »

Mariana s’assit à côté de lui, son regard tombant sur le livre ouvert. Elle savait de quoi il s’agissait, sans même avoir à poser de questions. Elle connaissait ces récits, ces légendes. Elle y croyait. Pas lui. Pas encore.

« Arnold, tu ne peux pas continuer comme ça, » murmura-t-elle. « Violette a besoin de toi. Elle a besoin que tu l’acceptes telle qu’elle est. »

« Telle qu’elle est ? » répéta Arnold, presque avec amertume. « Mais qu’est-ce qu’elle est, Mariana ? Je… je ne la comprends pas. Je ne comprends plus rien. »

Mariana posa une main sur la sienne, essayant de l’apaiser.

« Ce n’est pas ta faute. Ce qui lui arrive échappe à la science. Mais cela ne signifie pas que tu ne peux pas être là pour elle, que tu ne peux pas l’aimer. Elle n’a pas besoin que tu la comprennes, Arnold. Elle a juste besoin de toi. »

Ses mots étaient simples, mais ils portaient en eux un poids immense. Arnold sentait ses convictions vaciller, ses certitudes se fissurer. Il n’avait jamais envisagé de simplement… accepter. De laisser de côté son désir de tout expliquer, de tout contrôler. Mais comment pouvait-il être le père dont Violette avait besoin s’il ne comprenait rien à ce qu’elle était ?

« J’ai ce rêve, » avoua-t-il soudainement, le regard perdu. « Ce rêve où je rencontre le père de Lavande. Il… il me dit que je vais devenir comme lui, que je vais tout perdre en cherchant à comprendre. »

Mariana resta silencieuse un moment, laissant Arnold exprimer ce qui le tourmentait depuis des semaines.

« Je ne veux pas perdre Violette, Mariana, » continua-t-il, la voix tremblante. « Mais si je n’arrive pas à comprendre ce qu’elle est, comment puis-je la protéger ? Comment puis-je être un bon père ? »

Mariana lui sourit doucement, un sourire empreint de tristesse et de compréhension.

« Parfois, être un bon père ne signifie pas tout comprendre. Cela signifie être là, quoi qu’il arrive. Accepter qu’elle est différente, et qu’elle a besoin de toi, même si tu ne peux pas tout expliquer. »

Arnold baissa les yeux, ses pensées tourbillonnant dans un tourbillon de doutes et de peurs. Cette idée, celle d’accepter l’inconnu, de vivre avec une réalité qu’il ne pourrait jamais complètement comprendre, le terrifiait. Mais en même temps, il savait qu’il n’avait plus le choix. Il ne pouvait pas continuer à s’épuiser en cherchant des réponses là où il n’y en avait pas.

Il se tourna vers Mariana, et pour la première fois depuis des semaines, il se sentit un peu plus léger.

« Je vais essayer, » murmura-t-il. « Je vais essayer de l’accepter. Même si je ne comprends pas. »

Mariana serra sa main avec douceur.

« C’est tout ce que je te demande. »

Ils restèrent assis là, dans le silence de la nuit, tandis que la lumière de la lune baignait doucement la pièce. Arnold savait que ce chemin serait difficile, que ses instincts de médecin le pousseraient encore à chercher des réponses. Mais pour la première fois, il envisageait de laisser une place à l’incertitude, à l’inconnu.

Pour Violette.

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