Le retour à la réalité
Le vol retour se passe dans une bien meilleur ambiance. Mon frère bientôt trentenaire, se dévoile sur ces mois de silence et me fait lire ces carnets pleins de poésies. Il a compris qu’ouvrir le coffre des malédictions avait altérer ses visions des évènements ainsi que sa vie.
Maintenant, il me faut affronter mes enfants. À peine, le pas de la porte franchie, Mathis m’attaque sans détour. Son ton est sec et son père assis à ses côtés, se sent désolé.
— Papa nous a parlé. Il a dit que ce voyage, c’était pas juste pour voir tonton Tchad. Il a parlé de vengeance, d’archives… C’est quoi cette histoire, maman ?
— Je remarque que tout le monde nous attend. Alors, il faut qu’on parle.
Vanessa, elle est plus inquiète surtout de l’apparence de son oncle. Son frère finit par suivre le mouvement. Je décide de vite revenir au sujet.
— Il y a des choses sur notre famille que je ne vous ai jamais dites. Pas parce que je voulais vous mentir, mais parce que je voulais vous protéger.
— Nous protéger de quoi ?
— De la vérité sur votre grand-père. Sur ce qu’il a fait… et sur ce qu’il nous a fait. De votre grand-mère aussi. Enfin, tout vous dire. Mais avant, j’aimerais comprendre, pourquoi, vous n’avez jamais posé de questions sur vos ancêtres ?
— Aucune idée maman, avec Vanessa, tu sais, on reste des ados, c’est pas l’âge où on s’intéresse à ce genre de chose. Bon, on est prêt tu sais à tout entendre. Tu as été vraiment en danger tonton ?
— Non, non. C’était juste un moyen de faire venir votre mère. J’ai pris les documents pendant mon voyage. Un moyen de savoir ma place, résoudre les mensonges et la peur que la cruauté soit dans nos sang. Elé, je te laisse le soin de commencer, je compléterais si nécessaire.
Il ouvre le sac à dos et dépose tout sur la table basse dans un ordre précis. L’oncle, notre père et notre mère. Je souffle un bon coup et pendant deux heures, c’est religieux.
— Et maintenant… on fait quoi ?
— C’est une décision que nous devons prendre ensemble Vanessa. Brûler ? Où garder et témoigner pour vos enfants ?
— La deuxième option maman, enfin pour moi.
— Mathis à raison, l’histoire de notre famille, ne doit pas être oublier mais au contraire, raconter en nuançant, pas en les glorifiants.
— Comme si Hitler avait eu encore des enfants en vie…
— Merci pour l’exemple mon amour. Bon, je préfère m’en débarrasser ce soir. On est en week-end, ça vous dit d’écrire et compiler tout ça ?
Tout le monde acquiesce et finalement, ce n’est que trois mois plus tard, qu’on reçoit le volume de l’imprimerie. Un vrai dictionnaire dans une couverture en cuir et dont le titre en or donne du cachet. On le lit chacun notre tour, tout les soirs à l’oral et c’est Tchad qui conclut :
— Voyage au bout de l’Enfer est donc l’histoire singulière de notre famille, qui ont toujours tenté le Bien alors que le Mal gangréné. La faute à des reproductions de tableaux aussi laid que le cœur d’un volcan. Pourtant, les derniers représentant, Marx et Violette, ont conçu des êtres de Lumières, Eléonore et Tchad, capable de prendre du recul sur toutes ces ombres.
Sa voix commence à trembler, il referme le livre pour se sécher ses premières larmes avant de terminer :
— Nos ancêtres ont écrit notre histoire, mais nous avons le pouvoir d’écrire la suite.
Personne ne semble respirer. Et pourtant, quelque chose change. La malédiction n’existe plus, c’est une simple légende.
— Je ne veux plus être défini par ce passé. Ni comme une victime, ni comme un héritier. Je veux… autre chose.
Je l’encourage par mon maigre sourire. Il rit un peu gêné avant de reprendre une posture plus sûr de lui.
— Alors écris-la, cette suite.
— Toute ma vie, j’ai cru que je devais être soit comme père, soit l’inverse absolu… Mais ce n’est pas ça, la liberté. Je ne veux pas passer mon temps à fuir, ni à prouver que je suis différent. Je veux juste… vivre. À ma façon.
Il passe une main dans ses cheveux, souffle un deuxième rire léger, presque nerveux.
— J’aime voyager. Me perdre dans des villes où personne ne me connaît. Écrire ce que je ressens, coucher mes pensées sur le papier sans avoir à me justifier. J’ai rempli des carnets entiers de poèmes et de notes sur mes périples. C’est ça qui me fait me sentir… vivant. Je vais prendre un appartement. Un petit endroit à moi, où je pourrai respirer, écrire, être libre. Je veux voir le monde, l’explorer sans avoir l’impression d’être attaché à une histoire qui ne m’appartient plus. Ça, c’est ce que je veux. C’est mon choix. Et pour la première fois, je ne le fais pas pour me prouver quelque chose. Juste… parce que c’est moi.
— Et travailler tonton ?
— Tu es bien drôle Vanessa ! Mais, tu as raison. Non, j’ai beaucoup mieux comme projet ! Ma poésie restera une passion.
— Tu veux surfer avec moi ?
— Mathis, ce n’est pas un métier, mais j’aimerais bien ! Je te montrerais mon talent appris en Australie ! Bref, que disais-je. Ah oui mon métier. Je ne suis pas quelqu’un de bruyant. Je ne serai jamais celui qui hurle des discours enflammés au tribunal ou qui mène des interrogatoires musclés. Ce n’est pas moi. Mais la justice ne se joue pas que sous les projecteurs. Elle existe aussi dans l’ombre, dans l’analyse, dans les détails que personne ne voit. Je veux être celui qui cherche la vérité, qui la déterre là où d’autres ne pensent même pas à creuser.
— Tu es minutieux, créatif et effectivement, tu sais bien approfondir. Quoi d’autre Tchad ?
— J’aurais aimé que tu suives mes premiers pas Tchad, avec un poste dans la recherche scientifique, surtout animal, ça t’irais bien.
— C’est une piste qui ne se ferme pas Nathan. Pour rebondir, on raconte que les introvertis observent tout, qu’ils captent ce qui échappe aux autres. Alors, pourquoi ne pas en faire une force ? Je me vois bien dans l’investigation, dans l’analyse criminelle… Peut-être profiler. Comprendre comment le mal fonctionne pour mieux l’arrêter. Écrire des rapports détaillés, traquer les incohérences, faire parler les faits plutôt que les émotions. Je ne veux pas être un héros. Juste quelqu’un qui veille dans l’ombre. Qui empêche les monstres d’avancer. C’est ça, mon avenir. Et vous ?
— J’aimerais être architecte. Construire des choses solides… Faire quelque chose qui soit intemporel.
— Je pensais que tu voulais vendre des planches de surf.
— Une passion tonton, une simple passion. La mer me défoule dès que j’en ai l’occasion.
Thad hoche la tête, impressionné. Puis, il tourne son regard vers Vanessa qui rougit. Je connais les désirs de mes enfants, je sais d’avance que tout ça plait déjà à mon petit frère.
— Moi, c’est le cinéma. J’adore raconter des histoires, voir comment elles prennent vie à l’écran. J’aimerais être scénariste voir réalisatrice.
— Et toi ma sœur ? Tu es comme moi, une artiste au chômage.
— J’accepte la pique et c’est drôle comme soirée car je n’ai jamais osé avoué ma volonté de reprendre des études, surtout la psychologie. Comprendre ce qui pousse les gens à basculer… et peut-être empêcher d’autres tragédies.
Thad m’observe, un respect silencieux dans les yeux. Puis, il se tourne vers Nathan.
— Et toi, le sage de la famille ?
Nathan éclate de rire, puis prend un air faussement sérieux. Il sert ma main droite et je lui donne l’approbation de lui aussi, surprendre la famille.
— Moi ? J’ai déjà le plus grand rêve qui soit : une famille que j’aime et que je veux voir s’épanouir.
— Aller mon cœur, nous fait pas rire. C’est déjà le cas.
— Bon, ok, j’aimerais ouvrir une librairie. Un endroit où chacun pourrait trouver un bout de lui-même dans les pages d’un livre.
Mon frère se saisit de son verre de vin et nous invite à trinquer :
— Que nos désirs se réalisent, que ce qu’on a appris nous servent de leçon et qu’on puisse tracer notre route sans craindre les ombres. Buvons aussi à nos anciens, à notre sang, qu’ils ne soient jamais oublier, bon ou mauvais, on a tous quelque chose à tirer de leurs passages sur Terre.
Nous avons grandi dans une histoire que nous n’avions pas choisie. Une histoire marquée par la violence, la peur, l’incompréhension. Une histoire d’amour déformé, d’obsession, de secrets trop lourds à porter.
J’ai longtemps cru que le silence était la seule réponse. Que cacher le passé, c’était protéger mes enfants, Thad… moi-même. Mais le silence n’efface rien. Il fait juste pourrir les blessures dans l’ombre.
Cette histoire n’est pas un conte de fées. Ce n’est pas une romance lumineuse. C’est une dark romance, une danse entre l’ombre et la lumière, entre l’amour et la douleur, entre l’héritage et la liberté.
Mais même dans les ténèbres, il y a des choix. Il y a l’amour véritable, celui qui ne détruit pas mais qui relève. Il y a la rédemption, même imparfaite. Il y a le courage d’affronter ce que l’on est… et de devenir ce que l’on veut être. Nous sommes les témoins du passé, mais nous ne sommes pas ses esclaves. Aujourd’hui, nous avons libérer nos chaines et le voyage au bout de l’Enfer se transforme en voyage au bout du Paradis.
Maman, Manon, Zoé, les autres victimes, ont vous oubliera jamais. Ceci est votre histoire tout comme celle de mon père, de mon oncle, de Quentin, de K, de ces êtres complexes que sont les humains. Pardonner est symbolique pour tourner la page.
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