Symbolique
Donc du symbolique se levant de ces pierres : image de la mort qui croise celle de la vie. Tout comme l’écriture, Solveig, quelques signes griffent le blanc de la page, lesquels bientôt s’effaceront puisque personne n’en apercevra la trace visible. Destin d’un « Journal intime », jamais il ne fera sens qu’à l’intérieur de lui-même. Mais, sans doute, argumenteras-tu que mes écrits, rares certes ceux-ci, je les partage avec quelques amis anciens ou nouveaux rencontrés au hasard des réseaux sociaux. Et tu auras raison, si ce n’est que mes amis ne verront jamais que la surface des choses, l’écume si tu préfères, un poudroiement qui déjà s’efface à l’horizon des consciences. Tout ce qui a été vécu avec intensité au cours de l’écriture, il n’en demeure qu’un simple ris de vent et, bientôt, un vague souvenir hésitant sur la margelle floue des mémoires. C’est là le sort de tous ceux qui, tel le poulpe, retournent leur calotte, montrent leurs viscères à nu, alors il est plus que temps de regagner son antre, de replier sa peau, de retourner dans la conque amniotique primitive puisque c’est là, au sein même du mystère, que tout se lève et murmure son nom, la naissance est proche qui sera déchirure ! Nous sommes pareils au corail de l’oursin, une pâte fragile dont nous ne montrons que les piquants extérieurs, ils sont notre unique protection et disent au monde le risque que nous encourrions si, d’aventure, l’on s’exposait en son intime parution, notre nuit intérieure ne supporterait l’éclair des regards. C’est au plus profond de nous-mêmes que nous sommes nous-mêmes. Le plus souvent, les vérités sont-elles tautologiques.
Alors, comment dissimuler la survenue, parfois, au cours de l’écriture, d’une idée s’effaçant au rythme de sa propre audace ? Fol espoir qu’un jour d’aube grise, parmi la confluence des solitudes, une phrase naisse et se vête de ce beau tissu de l’intemporel. Peut-être quelques vers d’une poésie, un passage en prose s’élevant un peu plus haut que sa prétention ordinaire, une signification insigne se déployant à partir d’une idée, d’un concept, une intuition depuis longtemps présente qui trouve la voie de son actualisation. Alors comment ne pas rêver, au hasard de quelque énonciation, faire naître une belle temporalité, donner essor à une réminiscence au centre de laquelle repose, en toute quiétude, un souvenir d’enfance, un amour survenant à l’adolescence, une émotion au contact d’une œuvre d’art ? Je crois, Solveig, que l’on n’écrit jamais qu’aiguillonné par ce souci de la rencontre d’une métaphore qui ceigne le front de mille étoiles, rayonne au sein de la pupille, s’invagine au plein du corps pareil à un feu de joie. Une subite jouissance, un orgasme aussi bref que l’amoureux qui laisse les amants au bord du divan, accablés d’être encore au monde, pris de vertige à la simple idée de vivre.
Mais le temps jusqu’ici évoqué appelle toujours l’espace. Nous sommes par nature à l’intersection des deux et jamais nous ne pouvons faire l’économie de l’un ou de l’autre. Au travers de mon écriture, tu auras perçu que je suis plus un être de la géographie que de l’histoire, autrement dit que l’espace apparaît toujours en premier qui détermine les lieux et, à leur suite, les temps. Tu sais, tout comme moi, combien une écriture, à condition qu’elle soit suffisamment aboutie, ouvre un monde. Non un monde virtuel qui pourrait avoir lieu quelque part dans les coursives de l’imaginaire. Non, Sol, un monde plus réel que le réel lui-même. Je ne prendrai pour exemple que les nouvelles qui entraînent le Narrateur (mon « Je » en l’occurrence), aux quatre coins de l’Europe pour la simple raison que ce continent exerce une vraie fascination et que j’aurais bien du mal à situer mes personnages en un autre endroit que celui-ci. Tous les sites que je décris, je les vis avec une rare intensité si bien qu’à mes yeux, ils se profilent en des esquisses bien plus concrètes que ceux de la quotidienneté. Vois-tu, je crois qu’une écriture ne trouve sa place qu’à devenir cette nécessité hors laquelle plus rien ne signifie qu’à l’aune d’une vacuité. Je cite, ci-après, si tu me permets cette « immodestie », quelques lignes d’une nouvelle, de manière à ce que les choses consentent à s’éclairer.
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